Mise en scène : Daniel Krellenstein. Costume : Lucie Toupin. Arrangement musicaux : Katy Varda. Création : juin 2011.
Le rideau de scène est ouvert et nous pouvons découvrir le décor de la future représentation : un grand tableau d’écolier, un grand Taquin monté à la verticale et entre les deux, une banderole avec des cartons suspendus représentant des lettres alphabétiques. Une fois les spectateurs bien installés dans leur siège, le régisseur du spectacle prend la parole pour présenter de façon humoristique et décalée cette « conférence », ce « bref exposé de dix minutes » sur la mémoire prodigieuse, une discipline spirituelle popularisée par Jacques Inaudi (1857-1950), considéré comme l’un des plus prodigieux calculateurs mentaux de tous les temps.
Arrive alors sur scène le conférencier Benoît Rosemont habillé d’un veston à fleurs (des roses en référence à son nom), d’une chemise, d’un nœud papillon, d’un pantalon à pince, de lunettes rondes et d’une montre à gousset. Son allure le fait passer pour une personne coincée au sens propre et figuré ; coincé dans le temps et dans son comportement policé. En effet, il s’adresse au public dans un langage en vieux français avec de belles tournures de phrase et une attitude de vieux garçon. Un des nombreux leitmotive du spectacle le verra s’adresser à sa mère (comme Norman Bates, en moins psychopathe… quoi que) ou faire la cour aux femmes qu’il invite sur scène, de façon maladroite et empruntée. Benoît Rosemont se présente comme mnémoniste (travaillant des techniques pour structurer sa mémoire) et, à l’aide d’un carton (sur lequel est écrit « compliment d’accueil »), il parle en rimes et propose aux spectateurs une série « de récréations mnémoniques et autres divertissements qui se font avec les nombres ».
L’alphabet
Le premier contact que l’on a avec la mémoire c’est à l’école quand on apprend l’alphabet. Benoît Rosemont se propose de mémoriser l’alphabet à l’envers pour s’échauffer cérébralement. Puis il récite une moitié de l’alphabet à l’endroit (de A à M) et l’autre à l’envers (de Z à N). Il récite ensuite l’alphabet dans un ordre complètement aléatoire. Il invite ensuite un spectateur à monter sur scène et se présente ainsi : « Benoît Rosemont, comme une rose sur un mont ! » (un des leitmotive du spectacle). Le spectateur va « accrocher » et isoler sur un ruban rouge 13 lettres nommées au hasard par les spectateurs dans la salle. Le mnémoniste nomme ensuite les 13 lettres ainsi que celles non choisies, qui restent sur la structure. Pour finir, il récite, à nouveau, les 13 lettres choisies mais à l’envers.
Le jeu du Taquin
Benoît Rosemont propose au public de jouer avec les nombres grâce au Taquin, un jeu solitaire en forme de damier créé vers 1865 aux États-Unis par Sam Loyd. Le modèle proposé sur scène est disposé à la verticale pour une meilleure visibilité avec un cadre sur pied en bois composé de 15 petits carreaux numérotés de 1 à 15 et une case laissée vide pour permettre le glissement des pièces. Le jeu consiste à remettre dans l’ordre les 15 numéros après un mélange quelconque. Pendant qu’un spectateur est invité à mélanger les cases du Taquin, le mnémoniste range consciencieusement ses lettres de l’alphabet dans de petits sacs brodés spécialement par sa mère. Un moment de comédie ponctué par la phrase « c’est maman ». Il place alors un bandeau sur ses yeux et propose de reconstituer le Taquin dans l’ordre en quinze secondes, mais n’y arrive pas. Il tentera l’exercice plusieurs fois au cours du spectacle…
Le calculateur prodige
Benoît Rosemont présente cette expérience qui a fait la popularité du grand Jacques Inaudi. Deux grandes calculatrices sont distribuées dans la salle et une autre spectatrice va utiliser son smartphone avec l’option calculatrice. Benoît Rosemont va alors deviner les extractions de racine carrée consécutives de trois nombres donnés au hasard entre 1 et 100. Le premier est élevé au cube (4 chiffres), le deuxième à la puissance 4 (6 chiffres) et le troisième à la puissance 5 (10 chiffres).
« La première calculatrice, c’est la main » dit Benoît Rosemont, qui donne l’exemple de la table de 9 avec la technique du doigt baissé. Il va alors se servir en magnésium dans un petit pot en verre pour reprendre des forces ; une préparation de son apothicaire qui évoluera en pot à cocaïne avec une paille (autre leitmotiv du spectacle). « Bien remonté », il va de nouveau tenter de résoudre le jeu du Taquin mais échoue de nouveau.
Le jeu du Bingo
« L’apprentissage des départements français à l’école était un excellent exercice pour la mémoire. Aujourd’hui, le jeu du Bingo a pris la relève et sauvera la géographie en France ! » dit Benoît Rosemont. Une spectatrice est invitée à tirer au hasard 6 billes numérotées dans un bocal transparent en contenant 95. Les nombres sont marqués sur le tableau d’écolier en nommant à chaque fois le département et sa préfecture. Le mnémoniste élève alors au carrée les premiers nombres et note le résultat. Les deux suivants sont élevés au cube, puis à la puissance 4 et le dernier à la puissance 5.
Calculs fantaisistes
Benoît Rosemont va se lancer dans plusieurs opérations fantaisistes mais finalement logiques pour quelqu’un ayant consommé trop de magnésium ! Il demande : « combien il y a de semaines au mois de février ? » et annonce : « 13 semaines » à la grande stupéfaction de la salle. Il se propose alors de démontrer ses dires dans une série d’opérations en ligne irrésistible qui amuse les enfants et donne des maux de têtes aux adultes. Benoît Rosemont va de nouveau tenter le Taquin en se donnant, cette fois-ci, 2 minutes mais échoue encore !
Le numéro de téléphone
Benoît Rosemont demande 5 nombres de deux chiffres entre 1 et 100 pour composer un numéro de téléphone d’aujourd’hui. Il répète l’opération avec une nouvelle série de 5 nombres pour composer un numéro de téléphone dans 100 ans. Il récite ensuite la série des 10 nombres après les avoir mémorisé, sur une danse de tango.
Le jeu du Oui et du Non
Benoît Rosemont pose une série de questions (décalée, surréaliste et drôlissime par thématique, dont une à rallonge en lisant un « timbre-poste ») pour déterminer une suite aléatoire de « oui » et de « non » qui sera inscrite au hasard par une spectatrice dans les 18 cases d’une spirale dessinée (un coquillage paléolithique) sur le tableau d’écolier. Le mnémoniste se tourne vers le tableau et mémorise alors rapidement la suite en partant du centre du coquillage. Il demande au public de nommer n’importe quel nombre de 1 à 18 (jusqu’à épuisement) et nomme les « oui » ou les « non » inscrits à la place qui correspond.
Après l’avoir appelé par de petits noms doux et imagés, tout au long de l’expérience, Benoît Rosemont remercie la spectatrice et lui fait la cour en lui offrant trois bouquets de fleurs artificielles. Le mnémoniste se propose alors de réciter à nouveau le numéro de téléphone à rallonge, dix minutes après l’expérience précédente et réussit. Il se gratte la tête de plus en plus, ce qui a pour effet de le décoiffer et de lui procurer une allure comique. Il reprend alors du magnésium pour attaquer la dernière expérience de sa conférence.
Les 20 mots
Voici un numéro de mnémotechnie célèbre mais jamais exécuté de la sorte ! Un tableau numéroté de 1 à 20, sur lequel vont être inscrits 20 mots, de préférence originaux ou incongrus, désignés par le public. Une personne monte sur scène pour assister le mentaliste en inscrivant les mots des spectateurs à l’emplacement qu’ils veulent. Pour le 10ème mot du tableau, un numéro de série est inscrit, composé de lettres et de chiffres différents. Benoît Rosemont, le dos tourné au tableau, va mémoriser un par un les 20 mots et leur numéro pour les réciter ensuite suivant un ordre aléatoire dicté par le public. Plus l’expérience avance dans le temps et plus le mentaliste stresse et se touche les cheveux ou défait son nœud papillon et ses boutons de chemise pour dramatiser la situation (qu’il maîtrise totalement). Une fois les 20 mots devinés avec leur numéro, il doit deviner les numéros de 5 mots épelés au hasard puis faire l’inverse avec les numéros. Il complète la liste dans le désordre. Pour finir en apothéose, il récite toute la liste à l’envers de 20 à 10 et de 1 à 10, plus le numéro de série du 10ème mot. Mal de crâne assuré pour les spectateurs !
La surprise du Taquin ou le Carré magique
Benoît Rosemont, à l’énergie débordante, se relève les manches et veut en découdre une bonne fois pour toute avec la résolution de ce Taquin maudit ! Il demande un nombre au hasard à un spectateur. Il propose de résoudre le Taquin « à l’envers », c’est-à-dire derrière le cadre mais le résultat semble encore raté… il s’agit en fait d’une ruse pour conclure la séquence en carrée magique impromptu où chaque colonne additionnée à la verticale et à l’horizontale donne le même résultat (le nombre choisi). Mais aussi en diagonal, au centre et aux extrémités !
Conclusion
Ce spectacle créé il y a plus de dix ans sous le nom de Mnémosys est extrêmement bien rodé. La mise en scène, le rythme, le répertoire et le personnage sont au diapason pour offrir au public des moments de virtuosité qui ont demandé, en amont, un énorme travail de la part de son auteur pendant des années et un entrainement quotidien. Durant 1h30, Benoît Rosemont s’adonne à une gymnastique cérébrale digne des plus grands athlètes et nous sommes stupéfaits de ses capacités et performances. Pour faire passer les démonstrations de calculateur prodige et de mnémo-mentaliste, souvent austères et rébarbatives, l’auteur opte pour la comédie et c’est un pari gagnant. La performance de l’artiste est double, car en plus de ses extraordinaires facultés mentales, son personnage de fils à maman est absolument délicieux. Nous rions beaucoup pendant la représentation car la performance de comédien est bien réelle et Benoît Rosemont s’amuse malicieusement avec le public en accentuant ses manières, ses mimiques et ses tics de langage. C’est ce décalage entre le sérieux des expériences et la posture clownesque du mnémoniste qui donne au final un grand spectacle, unique dans le domaine ultra formaté du mentalisme.
Bibliographie de Benoît Rosemont :
- La magie, éditions Gallimard jeunesse, 2010. Livre de découverte de la magie, à destination des enfants à partir de 8 ans.
- Le Mémento de la mémoire, éditions Fantaisium, 2013. Guide pratique pour apprendre et pratiquer la mnémotechnie.
- On fait comme si, autoédition, 2016. Écrire et mettre en scène un spectacle magique.
- Le Calendrier Vivant, notes de conférence, autoédition, 2018. Tous les secrets du Calendrier Perpétuel qui a fait la réputation de nombreux « calculateurs prodiges ».
- Les vingt mots mémorisés… et plus !, notes de conférence, autoédition, 2018 (réédition augmentée en septembre 2020). Découvrir les secrets de la méthode des lieux et construire sa table de rappel pour présenter des expériences de mémoire prodigieuse.
- Libre, notes de conférence, autoédition, 2021.
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