Rencontre réalisée à l’occasion du Jean Merlin Magic History Day 2015.
Jean Merlin et Jean Régil présentent Bébel comme un artiste.
Jean Régil : « Deux mots me viennent à l’esprit pour le définir : le talent et la gentillesse. »
Jean Merlin : « Je l’ai découvert dans la rue en train de tricher honnêtement ! »
Bébel arrive sur scène, s’installe derrière une table et demande à une personne de venir l’assister. C’est parti pour une heure de spectacle de cartomagie.
Bébel : « Je ne joue pas aux cartes mais je préfère jouer avec. Je commande les cartes, je leur parle…»
Vont se succéder des classiques revisités et des créations de Bébel, sur un rythme d’enfer, comme le bonneteau, le 10 poker deal, les as gangsters, suivez le chef, Reset, triomphe, l’ambitieuse, la carte à l’étui, La Dame de trèfle qui pique mon cœur, Mabillon, La pensée fantômes, Le harem et cette liste n’est pas complète…
Après cette démonstration, Jean Merlin entame la discussion avec l’artiste.
Jean Merlin : « La rue est ce qu’il y a de plus dur. C’est l’école la plus difficile en magie, les gens peuvent se barrer à tout moment ! »
Bébel : « Je travaille à l’instinct et j’aime les challenges. J’ai une technique pour retenir les gens. Quand on en a un, on peut en avoir cinquante ; c’est ensuite du feeling. »
Jean Merlin : « Tu es né en 1963 à Nanterre. Les enfants de Banlieue, s’ils se battent, réussissent dans la vie. Qu’est-ce qui t’as décidé à travailler ? »
Bébel : « Très vite, j’ai évolué atypiquement. Ça n’est pas une décision de ma part. Les choses se sont faites au fil du temps par envies. Je cherchais à m’améliorer et pas à être le meilleur.
On apprend la magie par des concepts, des principes généraux. On voit le pire et le meilleur avec la génération Internet, qui soit dite en passant favorise la copie. »
Jean Merlin : « Quelqu’un t’a défini ainsi : humilité, malice et grande prouesse. »
Bébel : « On garde un groupe de personnes avec la passion qui conduit à tout. Il faut être passionné pour retenir son public. La magie m’a appris à mieux communiquer. »
Jean Merlin : « On reconnaît quelqu’un à travers ses goûts. Qui a-t-il dans ta bibliothèque ? »
Bébel : « Des livres sur la magie de scène et de salon. J’ai commencé ma carrière par un numéro de cabaret. Je me suis vite ennuyé et je me suis orienté vers la cartomagie. Il me fallait du changement, une structure plus improvisée. J’éclate les systèmes et les cadres. C’est un état d’esprit à adopter ; j’aime manipuler les concepts. Sinon, j’ai des livres de sciences, des romans surréalistes et de la science-fiction. »
Jean Merlin : « Une discothèque ? »
Bébel : « Pas grand-chose. Il fut un temps où j’allais en boite de nuit en manipulant mes cartes. Cela m’a appris la rythmique. »
Jean Merlin : « Des vidéos ? »
Bébel : « De magie, oui. »
Jean Merlin : « Vas-tu à des spectacles autres que de magie ? »
Bébel : « Oui, à des concerts, au théâtre, cela m’arrive. J’ai fréquenté pendant pas mal de temps le Caveau de la Bolée à Paris. J’aime me confronter à différentes expériences et différents artistes. »
Jean Merlin : « Tu as une admiration pour les grands escrocs. As-tu développé des concepts de triche ? »
Bébel : « Non je préfère le spectacle. J’ai l’impression qu’il y a une certaine éthique chez eux. Les scénarios, le maquillage, etc. Cela demande beaucoup de talents différents. »
Jean Merlin : « Tu t’intéresses à la spiritualité. Comment passe-t-on de la technique à la spiritualité ? »
Bébel : « Pour moi, la spiritualité est une philosophie. C’est un outil qui me permet d’ouvrir un monde imaginaire. Je crois qu’aujourd’hui les magiciens sont désenchantés. »
Jean Merlin : « Tu fais partie des gens qui sont embêtés par le débinage. »
Bébel : « Nos motivations motivent tout ce que l’on va faire ensuite. Je ne m’inquiète pas du public mais du magicien. Il faut qu’il comprenne la notion de secret pour que cela ait un sens. Notre démarche est de tromper. Le secret fait partie du détournement d’attention. Le débinage sur Internet est une fausse excuse. Les magiciens n’ayant plus beaucoup de travail, tout est mis sur Internet pour le grand public : des conférences, des DVD, des notes. Un cercle vicieux de magie pour magiciens. Leur envie est de faire du commerce. »
Jean Merlin : « Tu as travaillé au Théâtre du Rond-Point et sur le film Les amants du Pont-neuf de Leos Carax. »
Bébel : « J’ai donné des cours à Denis Lavant pour une scène du film. »
Jean Merlin : « Tu as travaillé à la Comédie Française grâce à Abdul Alafrez. Il est là avec nous. »
Abdul Alafrez : « Je travaille plutôt au théâtre. En ce moment je prépare un spectacle avec douze violoncellistes sur de la musique contemporaine.
En 1992, Anatoli Vassiliev m’a appelé pour son spectacle Le Bal Masqué de Mikhail Lermontov pour une scène de tricherie au début de la pièce. Il fallait trouver un deuxième magicien. Il fallait montrer des choses secrètes et il me fallait un technicien des cartes. Bébel avait une qualité innée, une présence naturelle sur scène.
Nous avions un peu de texte. Bébel arrivait avec toute sa science et était droit dans ses bottes. Je me souviens d’un effet magique où un as de pique se collait sur le rideau d’avant-scène qui était transparent. »
Bébel : « Moi, je ne me souviens plus trop de cette expérience. »
Abdul Alafrez : « Il fallait trouver comment montrer et agrandir les choses et les effets pour qu’ils soient visibles. Nous avons fait confiance à la mise en scène pour suggérer des choses. Il y avait entre autre, le tour des 4 cartes, le tour du phénix, celui du pharaon, une histoire de carte cornée… »
Bébel : « Ce qui était intéressant était l’interactivité avec la scène. »
Abdul Alafrez : « Je voudrais parler du spectacle de Bébel : Belkheir ou Une carte ne vous sauve pas la vie pour rien. Un spectacle extraordinaire avec une personne sur scène et un jeu de cartes. Moi-même, j’ai passé ma vie à entremêler d’autres arts comme la danse, le théâtre et la musique. Souvent, des magiciens essaient de mettre du théâtre dans leur magie et inversement mais cela ne marche pas. La magie est un langage qui repose sur le temps et le rythme. Pour qu’un spectacle de théâtre et de magie soit convainquants, il faut qu’il soit bilingue, il faut un échange commun. Belkheir est un spectacle de Bébel et c’est aussi du vrai théâtre. Il y a également un vrai travail de vidéo derrière… »
Jean Merlin : « Bébel, pour le spectacle Belkheir, tout a commencé par un projet qui s’appelait L’Histoire secrète des cartes, les cartes m’ont choisies. »
Bébel : « C’était la première fois que je travaillais en équipe. Il faut accepter l’autre, sa conception. Le mécanisme d’un tour est toujours la même chose, on démontre quelque chose. Comment changer ce rapport ? Je veux me servir de la magie pour l’emmener ailleurs, c’est ainsi que j’ai imaginé que les cartes avaient une vie. Un voyage dans l’imaginaire où le pouvoir du magicien n’existe plus, où celui-ci devient comme le spectateur : un témoin.
J’ai constitué un dossier. On est parti en Indes avec Raphaël Navarro pour voir de la magie traditionnelle de rue. Ensuite, j’ai rencontré Roger Le Roux le directeur du Cirque-Théâtre d’Elbeuf. On m’a présenté un premier metteur en scène, un magicien et j’ai refusé. J’ai ensuite fait la connaissance d’Anne Artigau. (qui monte rejoindre Bébel et Jean Merlin sur scène). »
Anne Artigau : « Bébel est avant tout un chercheur. Nous avons eu l’idée de ce spectacle où le magicien disparaît au fur et à mesure de la pièce. Il fallait également parler du concept de la projection vidéo sans que cela soit de l’illustration. Il y avait quatre caméras, visibles du public, braquées sur Bébel, qui était aussi suivi en plan rapproché.
J’ai sentis cette envie chez Bébel de construire un spectacle de théâtre visuel où les arts se conjuguent ensemble, où la magie serait perçue comme un art, ou la performance serait transformée en un propos.
La cartomagie ne parle pas comme nous. Elle a un langage propre, une vie particulière de par le jeu, la voyance, les histoires… Les cartes sont très expressives.
En ce moment, nous travaillons sur un deuxième spectacle en effaçant le comédien et le personnage pour laisser que les cartes en scène. Des cartes qui ont un rapport à la mort. Nous avons fait un travail de préparation en amont en dehors du close-up traditionnel. Nous avons réfléchi à un concept de l’effet qui ne soit pas marqué. Nous voulons plutôt marquer le propos pour ne pas perdre l’histoire et effacer de nouveau le magicien. »
Bébel : « il y a un automatisme du magicien qui s’intéresse au côté technique… »
Jean Merlin : « Mesdames, messieurs, ce soir vous avez vu quelque chose d’étonnant car Bébel s’est livré à vous ! »
Bébel : « Oui, je fonctionne à l’instinct. Vous avez eu de la chance. »
A lire :
– Djénane.
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