Un radiesthésiste, M. L. V., craignant que je ne fusse partiale, m’a écrit ces lignes : « La radiesthésie repose sur des lois scientifiques qui sont les mêmes que celles de la T.S.F., à savoir que tous les corps émettent des radiations, qui leur sont propres, autrement dit, des ondes. Ces ondes détectées par un sujet bien doué provoquent des contractions involontaires qui lui font actionner ses amplificateurs, baguette ou pendule.»
C’est la description même du vieil art des sourciers pratiqué depuis des siècles et que tous ceux qui ont vécu à la campagne connaissent bien. Quel enfant ne s’est promené des journées entières, la baguette de coudrier à la main, dans l’espoir de découvrir des sources ? On pare cet art ancien du nom de « science nouvelle » et l’ambitieuse radiesthésie ne se borne plus à vouloir découvrir des sources, mais aussi les maladies, les minerais, les cadavres disparus.
Démonstration de polarisation humaine par Alfred Bovis radiesthésiste (1935).
Les radiesthésistes sont singulièrement dépourvus de cette patience modeste qui est le propre des savants. Ils s’attaquent à des tâches ambitieuses avant même d’avoir fait la preuve que leur « science » était capable de déceler le moindre filet d’eau. La Revue du Génie militaire a publié il y a peu de temps une enquête dont nous extrayons quelques témoignages de savants. Le sous-directeur du laboratoire de géologie du Muséum écrit à propos de la recherche des points d’eau par les sourciers : « Disons-le tout de suite, ceux-ci sont décevants, et la proportion des échecs est en moyenne de 80%. »
Un ingénieur des Ponts et Chaussées en Algérie écrit : « Les travaux de vérification ont abouti dans ces régions à un échec complet. L’eau n’a été trouvée qu’aux emplacements que le service géologique avait indiqués. » Un professeur de géologie dans une grande université : « J’ai eu de nombreuses occasions de contrôler au cours de 32 années hydrologiques, en ma qualité d’expert du gouvernement, les résultats de forages entrepris sur les conseils de rhabdomanciens. 80% de ces résultats ont été négatifs. »
Charles Zumstein, le poète sourcier du Sundgau (Photo DNA).
Ce chiffre de 80% est à peu près la proportion indiquée par les lois du hasard. Un savant écrit : « Tout se passe comme si le hasard était seul à intervenir dans les recherches des sourciers. » Un ingénieur des mines confirme : « La consultation d’un sourcier présente un peu moins de garanties que le tirage à pile ou face. » Pourtant, si les radiesthésistes ne s’employaient qu’à chercher des sources ou des minerais avec des pendules et des branches, ils ne causeraient pas dans l’esprit de nos contemporains de forts grands ravages.
Mais les choses se compliquent et le danger apparaît lorsque mon correspondant m’écrit : « A ces quelques phrases, vous m’objecterez l’insuccès des radiesthésistes dans les recherches effectuées au sujet de la disparition de Nicole Marescot et de Jean Mermos. Si nous considérons les points de repère sur lesquels on a pu se baser pour ces différentes opérations, nous voyons d’une part quantité d’objets ayant appartenu à la petite disparue promenés en tous sens pour faciliter la besogne des chiens policiers. D’autre part, une publicité intense sur la disparition de Jean Mermos avec production multiple de photographies. Si, comme nos travaux nous permettent de l’affirmer, tout objet ou photographie s’imprègnent de radiations identiques à celles de leur propriétaire, et par conséquent émettent sur une même longueur d’onde que celui-ci, vous comprendrez que votre recherche sérieuse est impossible et que ceux qui pratiquent dans de telles conditions ne peuvent qu’aller à des échecs. »
Illustrations tirées de La physique occulte ou traité de la baguette divinatoire (Pierre De Vallemont, 1693).
Nous entrons en pleine magie, exactement dans ce que les ethnographes, qui étudient les Boros ou indigènes australiens, nomment « la magie sympathique ». Le vocabulaire a beau emprunter sa dignité à la science, ces histoires de photos qui brouillent les ondes ne sont que des contes magiques de primitifs. Certains radiesthésistes vont jusqu’à dire que le nom prononcé de Nicole Marescot ou de Jean Mermoz a la même valeur « en ondes » que le corps même du disparu. On retrouve la vieille technique des envoûtements ou la méthode des signatures (que bon nombre de médecins homéopathes employent d’ailleurs) par laquelle on soigne, par exemple, les maladies mentales par des noix (parce que les noix ressemblent vaguement aux hémisphères cérébraux) et les maladies de foie par toutes les plantes de couleur jaune parce que c’est la couleur de la bile.
Abbé Mermet (1866-1937). « Créateur du diagnostic radiesthésique, promoteur de la téléradiesthésie, inventeur du rayon fondamental des corps et de divers autres modes de perception. »
Finissons-en avec la radiesthésie, cette vieille magie qui veut se faire passer pour une science d’avant-garde exactement comme l’astrologie. Voici comment M. Canac, dans une excellente étude parue dans la Revue des Deux Mondes, rapporte les expériences du docteur Rendu sur la radiesthésie : « Une masse d’argent fut placée successivement dans dix pièces différentes d’un appartement et 86 radiesthésistes furent invités à interroger leur pendule pour dire où elle se trouvait. Comme il y avait dix pièces dans l’appartement, il y avait chaque fois une chance sur 10 de tomber juste. Sur 860 épreuves, les téléradiesthésistes ont donné 86 réponses exactes. C’est précisément la proportion de 1/10ème indiquée par les lois du hasard. »
Image tirée de A tour in Wales par Thomas Pennant (1726-1798).
« En même, temps, 31 autres personnes indiquaient au hasard ce qui leur passait par la tête. Leur proportion de réponses exactes fut du même ordre : le pendule n’a servi à rien. » Les radiesthésistes ne se sont pas tenus encore pour battus. Ils ont expliqué leur échec après coup : « Les uns accusent la rémanence. Le métal laisserait dans la pièce des effluves qui peuvent agir sur le pendule. Inversement, quand il a été placé, les effluves mettent un certain temps à imprégner le milieu ambiant. D’autres accusent les interférences de la pensée »…
Jacqueline Chantereine, actrice et radiesthésiste (1926).
Le docteur Rendu a fait une remarquable collection des explications saugrenues que les radiesthésistes, pris en faute, multiplient avec la malice candide des enfants menteurs. Au cours d’autres expériences l’un, pour expliquer ses insuccès, « invoque la présente sur le sol de marrons, de luzerne et de pissenlit. Cet autre s’accuse d’avoir tenu, pendant l’expérience, la pointe du pied droit en l’air. Un troisième, qui se spécialisait, on ne sait pourquoi, dans la détermination du sexe des écrevisses, se trompe et s’excuse en disant : « Les écrevisses ayant été apportées pêle-mêle dans un panier, les influences mâles s’étaient mélangées aux influences femelles. » Un autre qui avait échoué sur le même problème, mais avec des oursins, explique que les pointes de ces animaux éparpillent les radiations »…
Nous sommes, en pleine farce. Cette farce ne résiste pas à une expérience bien conduite et obéissant aux règles sévères du travail scientifique.
PS : II en est de même pour l’astrologie. Je renvoie mes lecteurs aux excellents articles publiés dans la page scientifique de l’Humanité, par notre camarade Pierre Labérenne.
– Extrait de Trafiquants de Mystère (13ème partie) parue dans journal L’Humanité du 21 janvier 1937.
A lire :
– Des Gris-Gris aux petites annonces.
– Géographie des voyantes.
– Filtre d’amour.
– La devineresse qui questionne.
– La visite au FAKIR.
– Horoscope par correspondance.
– Guérison des maladies.
– Littérature de l’au-delà.
– Parlons d’argent.
– Les Sphinx.
– Confidences des voyantes.
– Protestations et réponses.
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