Levée de rideau : un tableau abstrait est posé sur un chevalet. A côté, se tient un jeune homme costumé. Celui-ci regarde la toile l’air dubitatif. Il a le look du jeune intello New Yorkais à lunette, tournant la tête dans tout les sens pour essayer de comprendre ce qu’il a devant les yeux. Il décide d’aller voir l’objet de plus près et brave l’interdit. En touchant l’œuvre, celle ci va s’immiscer dans la troisième dimension et prendre possession du regardeur.
Arthur Trace, ce jeune magicien américain est d’une créativité folle ! Alors que la majorité des numéros de magie se complaisent dans leur univers fermé, lui va voir du côté des Beaux-arts, chercher l’inspiration et inventer une forme hybride où la magie n’est qu’un accessoire au service d’une vision artistique très pointue.
Ce numéro astucieux renvoie le spectateur à sa propre intelligence. On en ressort grandit.
Arthur Trace est un artiste conceptuel, comme on peut le dire d’un artiste plasticien. Il a le sens de l’esthétisme et de la composition. Il a compris que tout numéro doit s’appuyer sur une histoire solide que le public peut suivre et comprendre aisément. C’est le premier degré. Le deuxième degré, c’est de faire voyager le spectateur dans un univers singulier et qu’il puisse emporter quelque chose une fois le spectacle terminé. « Post modern art » est un spectacle presque total, qui s’approprie la magie, la peinture et la musique jazzy. On sent derrière cette œuvre un énorme travail de story-board.
Arthur Trace réinvente l’art de la manipulation en lui donnant un sens profond. Ayant touché le tableau, le jeune homme en fait apparaître une balle qui n’est plus matérialisé sur sa surface. Le rond plat se transforme en sphère tridimensionnelle. Comme envoûté par cette forme, le manipulateur fait glisser cette balle entre ses doigts à une rapidité folle. Il la multiplie, en change la couleur pour quelles réintègrent au final le tableau.
Ensuite, il fait apparaître un pinceau et un pot de peinture blanche. L’envie lui prend de devenir artiste, de participer à une œuvre « in situ ». Il tâche par accident sa veste de costume. Sur le tissu apparaît une trace blanche rectangulaire de la dimension d’une carte à jouer. Cette tâche se matérialise. Il prend celle-ci entre ses mains et commence une séquence de manipulation avec back and front, apparition d’éventails « de peinture » et de couleurs. Au final, ces formes colorées réintègrent, comme les sphères, le tableau.
Pour conclure, ce regardeur actif donne « le dernier coup de pinceau » à son œuvre, en lui ajoutant la reproduction de ses lunettes à une plus grande échelle.
Le tableau abstrait du début se transforme en tableau figuratif, qui appartient à l’imaginaire de cet amateur d’art. Ici, l’art est de détourner les accessoires classiques de la prestidigitation.
Une question délicate: comment de nos jours pratiquer la manipulation des boules et des cartes ?
– En restant figé dans des clichés dépassés qui n’ont comme seul but que d’étonner le spectateur ?
– En réfléchissant sur l’objet et son sens profond ?
Arthur Trace a opté pour la 2ème solution. Pour lui c’est avant tout une question de forme. Et comme disait Alfred Hitchcock, « de la forme naît le sens ». Ainsi, les boules et les cartes deviennent des forces géométriques contraintes au pouvoir de la création. Le personnage lui-même est soumis à ce changement structural. On le ressent dans sa gestuelle saccadée qui donne à son corps une allure abstraite similaire au tableau.
Le titre du numéro « Post modern art », peut se lire à double sens. C’est le passage du modernisme au post modernisme. L’œuvre d’art moderne porte en elle les règles auxquelles elle obéit par oppositions aux règles établies par la tradition (ex : Paul Klee en peinture). Le postmodernisme est marqué par le retour de l’œuvre sous le joug des règles et procédés que la modernité avait répudiés. Ces termes sont applicables par rapport à l’évolution de la magie. La période moderne révolue, il faut aujourd’hui savoir regarder le passé pour mieux créer, s’inspirer de tous les grands magiciens, mais aussi de tous les arts pour mieux réinventer « le quotidien ».
Donnons au public une vision singulière de l’art et de la magie. L’art post moderne est par essence un art maniériste, qui mange et digère les autres arts pour créer une forme hybride et singulière. Le tableau que l’on a devant les yeux, à la fin du numéro est une interprétation de l’artiste, une vision décomplexée de l’art et de la prestidigitation. Pour le futur, il faudra s’y faire. Bienvenue dans la post modernité !
A lire :
– le compte-rendu de sa conférence.
– Son Interview.
A visiter :
– le site de l’artiste.
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Arthur Trace. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.