Extrait de la revue L’Illusionniste, N° 47 de novembre 1905
S’il est vrai que celui qui a beaucoup vu peut avoir beaucoup retenu, Arnould pourrait en raconter long car les cinq parties du monde lui sont familières. Mais, comme le sage, il se dit que la parole est d’argent et le silence est d’or, il préfère généralement écouter que parler. Cependant, quand il se départit de son habituelle réserve sa conversation, documentée et émaillée d’anecdotes est des plus captivantes.
Né à Paris en 1850, Gustave Arnould fit de très solides études au Lycée Bonaparte. Après la guerre, où il accomplit son devoir comme engagé volontaire, il put se livrer à ses deux passions favorites : les voyages et la prestidigitation. C’est en 1873 qu’il débute dans notre art, il fait vite du chemin, car nous le retrouvons en 1875 au théâtre de Saïgon. Après un séjour chez le vice-roi de Canton, devant lequel il présente la malle des Indes, il entreprend un voyage d’exploration dans l’intérieur de la Chine, au cour duquel il est appelé a faire une remarque importante pour l’histoire de la magie. A cette date la Prestidigitation était, contrairement à l’opinion générale, complètement inconnue des chinois qui ignoraient tout à fait l’existence d’un art des illusions. On rencontrait, parmi eux, des acrobates, des jongleurs, des équilibristes surtout ; mais aucun magicien ou faiseur de tours de passe-passe. A quelque temps de là, un naufrage le jette sur les côtes du Tonkin ; après quarante jours de marche au hasard, il est, enfin, recueilli à l’ambulance d’Haïphong; dans une paillote construite pour la circonstance et décorée du nom de « Théâtre Français », il donne une séance de prestidigitation et une autre de comédie, dont la recette lui permet de s’embarquer pour Saïgon, là plusieurs représentations dans les théâtres, cercles et cafés sont, pour lui, des plus fructueuses.
Rentré en France, Arnould fit des contrats de music-hall avec l’ombromanie remise à la mode. En 1890, une tournée en Amérique lui fournit l’occasion de donner des séances avec Bosco, retiré à Mercedes (République Argentine). En 1891-92, il fonde à Hélouan (Egypte), un théâtre de prestidigitation, dont le programme magique, agrémenté de scènes humoristiques, d’imitations, de projections, de fantoches lilliputiens et aussi d’expériences de mnémotechnie tout à fait renversantes, a le don d’attirer l’aristocratie du Caire. Le Khédive d’alors y fréquentait et fit, plusieurs fois, venir l’artiste dans ses palais du Caire, de Koubé, etc. La mort imprévue de ce prince mit fin à cette florissante entreprise. En 1896, Arnould fut appelé à remplacer Duperrey, au théâtre Robert-Houdin. Il occupe ce poste avec honneur jusqu’en 1898, époque à laquelle M. Méliès cède pour quelque temps sa direction.
A ce moment, le cinématographe venant de faire son apparition, il se passionne pour cette découverte. On peut voir sur les premières vues cinématographiques, obtenues par M. Démeny, notre ami Arnould faisant des tours de cartes. Un tableau composé de ces photographies, orne le laboratoire de psychologie de la Sorbonne. C’est souvent du reste que cet artiste au talent si souple et si varié est appelé à collaborer aux travaux des grands savants de notre époque. Son nom figure dans un grand nombre de livres de science. On le retrouve dans L’Encyclopédie Larousse, dans l’austère Revue des Deux-Mondes, etc. Il n’est pas jusqu’au Journal des Voyages, qui n’ait publié le récit de ses aventures.
Enfin, depuis 1899, il présente dans les Music-Halls, un curieux numéro intitulé : Moch’ et Tok, explorateurs fantaisistes qui n’est en somme que de la prestidigitation appliquée. Disons en terminant, qu’Arnould est le plus modeste et le plus serviable de tous les magiciens, il ne compte que des amis parmi ses confrères.
Note de Didier Morax :
Arnould s’appelait Gustave Adrien Zaleski. J’ai découvert qu’il travailla sous le nom « Les Walton’s, leurs incroyables Fantoches » vers 1878. Puis sous le nom de Moch et Tok après avoir travaillé au Théâtre Robert-Houdin. Il a collecté les boniments des tours exécutés au Théâtre Robert-Houdin et il les a couché sur un document unique. Grâce à lui on sait que Dieudonné, et Lespinasse ont travaillé sur la scène du Théâtre Robert-Houdin alors que leur nom n’apparaissait nulle part ailleurs. Arnould est mort le 13 février 1920 à Ris-Orangis.
Crédits photos – Documents – Copyrights : Collection Christian Fechner / Akyna / Didier Morax. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.