Comment êtes vous entrée dans l’univers de la magie, (le déclic) ?
Lorsque j’ai reçu cette interview, je me suis demandé à quel titre je pouvais y répondre, n’étant ni professionnelle, ni célèbre. Mais sans doute la vision des amateurs, étant différente, a aussi son intérêt…
Moi, je baigne dans un univers magique depuis toujours. Car toute mon enfance, j’ai vécu dans un monde assez fou, étrange et inquiétant, où il n’y avait pas de limite claire entre le réel et l’imaginaire, où les objets n’étaient pas morts, où les mots avaient la pesanteur et la consistance des choses. Cet univers avait quelque chose d’envoûtant, mais aussi de terrifiant car il était imprévisible et indomptable.
Devenue adulte (et après des années de psychanalyse), j’ai pu accéder au monde des autres, c’est-à-dire des gens normaux. Ce fut un immense soulagement, et pourtant, je gardais la nostalgie de cet ailleurs, de ce monde dans lequel avaient poussé mes racines. Je rêvais d’un moyen d’expression qui me permette d’en transmettre quelque chose, tout en l’apprivoisant pour le rendre soutenable, voire attirant.
Et un beau jour, j’ai assisté à Dijon au « Gala des Artistes Médecins » ou j’ai pu voir un magicien présenter la superbe routine de corde de Francis Tabary. Ce fut le déclic. J’étais émerveillée par cette chorégraphie de mots jouant sur cette corde pleine de vie et de malice. Et le magicien qui nous envoûtait était médecin, comme moi ! Je me suis alors imaginée que la pratique de la magie pouvait m’être accessible, à moi aussi.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris?
C’était il y a une bonne dizaine d’années. J’avais un peu plus de trente ans. Après ce gala, j’ai trouvé le club AFAP de Dijon et passé mon examen d’entrée. J’ai beaucoup cherché, écouté, échangé, acheté et lu.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse un événement vous a-t-il freinée ?
Les personnes qui m’ont aidée ? Il y en a tant ! J’ai beaucoup bénéficié des stages CIPI par la richesse du contenu, mais tout autant par les rencontres et les échanges informels. J’y ai rencontré les Gilson, Pierre Edernac, Pierre Brahma, Henri Mayol, Mask, Salvano, Christian Gabriel ! Et surtout Elisabeth Amato et James Hodges que j’ai eu la chance de revoir ensuite et à qui je dois énormément.
Je dois beaucoup aussi à des amis magiciens : en particulier ceux du club de Dijon et plus particulièrement Arslonga (nous partageons la même passion de la scène), Alban William et ses précieux conseils (c’est lui qui a écrit Colombes Passion), mon ami et complice Michel Neveu, et bien sur Pierre Guédin dont la générosité n’a d’égale que son immense culture magique. Il y a aussi Alexandre Ivanov, originaire de Bulgarie et qui allie un excellent niveau technique à une personnalité très riche. Pour lui, la magie est le don d’un message, le partage d’un peu de lumière. Il m’a accompagnée patiemment dans mes recherches, tout en m’éclairant de ses idées et de ses conseils. Et enfin, Geneviève Renouard, mon professeur de théâtre, qui m’a fait découvrir le jeu théâtral et m’a soutenue et rassurée dans mes cheminements. Les opportunités, ce sont les concours que j’ai tentés. J’en ai retiré quelques prix, quelques engagements, et surtout de précieuses critiques qui m’ont permis de progresser.
Ce qui m’a freinée dans la pratique de la magie, c’est d’avoir réalisé depuis mon entrée en magie, la chose la plus magique qui soit… la mise au monde de deux enfants (j’en ai trois). Plus un boulot qui me passionne mais me prend beaucoup, (je suis psychiatre). Mais là aussi, qu’y a-t-il de plus magique, que de rendre la vie à ceux pour qui elle s’était éteinte ou ceux pour qui elle n’était tissée que de semblant et d’impossible ? Étant donc très prise, je n’ai pas pu faire le quart de la moitié de ce que j’aurais souhaité et j’ai avancé très lentement, mais je ne voulais pas non plus passer à coté de l’essentiel.
Dans quelles conditions travaillez-vous?
La magie est avant tout pour moi une recherche : et pas seulement la recherche autour de la construction d’un numéro, avec le choix des tours, de la technique, la construction du matériel, la mise en scène théâtrale et chorégraphique, l’écriture d’un scénario ou d’un texte, l’élaboration du personnage. Tout cela est très -trop- vaste et je m’y perds souvent. Et c’est là que le travail en commun devient essentiel. Mais aussi recherche intérieure. Car un numéro est de la même matière qu’un rêve.
En effet, je dois faire un aveu : au début j’ai utilisé la magie de manière égoïste comme un moyen d’expression et non comme un but: trouver une forme, de manière imagée ou symbolique, pour traduire ce que je porte en moi et qui ne peut passer par les mots. Pour le partager, mais aussi le mettre au jour, l’éloigner de moi ou tenter de l’apprivoiser. Mais lorsque le numéro avait ainsi pris forme et vie, cela avait des effets profonds sur moi et me poussait à évoluer intérieurement. Si bien que, rapidement, le numéro ne me convenait plus du tout, était comme « dépassé ». Et je repartais alors à la recherche de nouvelles formes qui aient à nouveau du sens.
Évidemment, cela ne me permettait guère d’avancer « professionnellement » parlant. Je ne parvenais jamais à avoir un numéro assez abouti. On m’a souvent aussi reproché un présentation pas assez commerciale et à juste titre, j’en avais bien conscience. Ce n’était simplement pas mon but. Autre critique, tout à fait justifiée: j’étais trop dans ma bulle.
Mais depuis peu, les choses ont changé pour moi. Est ce le signe de plus de maturité ? Après plus d’une dizaine d’années de magie et à 46 balais, il serait temps…Mais peu importe ! Je suis moins à la recherche de l’insondable du tréfonds de l’autre de moi- même (je me moque…). J’ai beaucoup plus le désir d’aller à la rencontre du public, de partager un moment d’émotion, de tenter une rencontre. Mais pas à partir de rien.
J’aimerais qu’un spectacle soit une relation d’une grande intensité car débarrassée du fatras des convenances et de la poussière des mots inutiles. J’aimerais pouvoir dire: « Public je t’invite chez moi, dans mon monde. Je te donne ce que je suis. Et à travers ton regard, tu me renvoies quelque chose de moi, tout en livrant dans ton interprétation quelque chose de toi que tu ignorais et qu’à mon tour je te renvoie ».
Je rêve ? C’est pourtant ce que moi-même j’ai vécu en assistant à certains spectacles. Je ne me sentais plus tout à fait la même après, plus riche, de nouvelles portes s’étant ouvertes pour moi.
Il me faut pour cela chercher maintenant la forme qui aura sens pour le public, et qui lui donnera envie de me suivre.
Puis-je y parvenir ? Je n’en sais rien, mais l’aventure vaut d’être tentée.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ? Quelles sont les prestations de magiciens qui vous ont marquée ?
J’aime particulièrement la scène qui est en elle-même un lieu magique. La scène nous plonge d’emblée dans un autre monde avec ses lumières irréelles, sa musique envoûtante, sa gestuelle élaborée. Je me souviens avoir ressenti des frissons pendant le numéro de Roxane. J’adore l’histoire de Tina Lenert. Je suis émerveillée par Finn John. J’ai été touchée par le double personnage de Norbert Ferré. Je me régale devant l’humour et la créativité d’un Duraty ou d’un Mimosa. Je ne goûte guère les grandes illusions. Sauf le numéro de Yunke, (le numéro du carton transpercé), car on y vit une histoire symboliquement très intense. En mentalisme, j’ai été totalement emportée par le spectacle d’Elisabeth Amato, qui parle, à travers ses tours, de la vraie magie : celle de la vie, des rencontres, du désir.
Citez un ou deux tours qui vous viennent à l’esprit comme les plus beaux à regarder, puis les plus beaux à pratiquer.
Une des images les plus belles à mes yeux est la disparition Ashra. Aussi pour ce qu’elle représente symboliquement. A pratiquer ? J’aime tout particulièrement le toucher sensuel et vivant des cordes et des foulards. Ainsi que les tours où se sont les objets qui ont leur vie propre (mon préféré c’est le foulard dansant).
Quel conseil? Quel chemin conseiller à un magicien débutant?
Je me sens toujours débutante, à chercher, à me poser des questions. Disons que les conseils que j’ai glanés et qui m’ont paru les plus porteurs sont:
– Ne pas avoir peur, pour la construction de son personnage, d’utiliser ses défauts. C’est ce qu’on a en soi de plus original et de plus intéressant (mais c’est tellement facile à dire et tellement difficile à faire…).
– Lorsqu’on a une idée à soi (donc relativement originale voire un peu déroutante), savoir ne pas y renoncer, même si on a bien du mal à lui trouver l’habit qui lui fera passer la rampe.
– Écouter attentivement tout conseil et toute critique, mais n’en faire qu’à sa tête. Je m’explique. On ne peut se voir soi-même (même à travers une caméra) et l’oeil des autres est irremplaçable. Cela permet de repérer dans son numéro les points faibles. Donc ne rejeter aucune critique, même celles qui pourraient paraître, au premier abord, inadaptées. Mais ne jamais suivre à la lettre les propositions et suggestions. Garder sa personnalité et chercher ses propres solutions. Quitte à errer quelque temps.
– Faire confiance à ce que l’on a en soi, à ce qui nous pousse, nous surprend, nous dépasse, qui est en nous mais qui semble venir de plus loin que nous. Accepter de ne pas avoir la totale maîtrise et pourtant se faire confiance. De tous les conseils, c’est celui qui s’avère à mes yeux le plus précieux.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle?
Je me réjouis de voir la magie s’orienter vers plus d’originalité, de créativité et d’émotion. C’est aussi une très bonne chose de privilégier le travail collectif, car on ne peut pas réussir à être tout à la fois metteur en scène, acteur, costumier, scénographe, et magicien.
J’attend que la magie s’ouvre plus encore sur l’extérieur : la vie, l’humain, et les autres arts. Qu’elle cesse de se croire « la reine des arts » et sache reconnaître qu’il y a tant de choses bien plus intensément magiques que beaucoup de spectacles dit « de magie », dans la peinture, la littérature, la danse, et même dans la vie de tous les jours pour qui sait voir et entendre.
Quelle est l’importance de la culture dans l’approche de la magie?
La culture a plusieurs branches : la culture artistique c’est à dire la découverte des autres arts est certainement essentielle pour se façonner un « esprit magique », acquérir une perception du « merveilleux qui est en toute chose ». Mais est-ce cela qu’on appelle habituellement la culture ? Je ne sais pas. Si c’est collectionner un savoir comme on épingle des papillons, il me semble qu’il manque une dimension. Quant à moi, j’oublie le plus souvent les noms et les titres des oeuvres pour n’en garder que ce qui a fait sens pour moi. Je n’arrive pas à faire autrement. C’est une position à laquelle il manque aussi une dimension. Et pourtant je suis fascinée par les passionnés qui emmagasinent un savoir encyclopédique sur un sujet. C’est là une autre domaine de la culture qui est d’ordre historique ou technique et sans doute essentiel pour se situer, savoir où l’on va, et garder les pieds sur terre, ce qui évite probablement les atterrissages douloureux (comme ils peuvent l’être pour moi).
Vos hobbies en dehors de la magie?
J’adore (et je pratique dès que je le peux):
– la ventriloquie
– le bricolage et la couture
– la danse, le théâtre et un peu le mime
– la poésie, l’écriture
– et par dessus tout, la rêverie
D’ailleurs c’est génial, car la magie me permet d’exercer tous ces hobbies à la fois !
– Interview réalisée en novembre 2005.
– Photo : Zakary Belamy