Comment êtes-vous entré dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
J’ai commencé la magie de manière assez classique, je regardais l’émission Le Plus Grand Cabaret du monde avec mes grands-parents et les passages de Bernard Bilis me fascinaient. Et même si les numéros de scène étaient incompréhensibles, la dextérité et le talent de Bernard ont réveillé en moi quelque chose. Je devais avoir sept ou huit ans, et c’est à cet instant que tout a commencé. Le Noël suivant, la mallette de magie « Patrick Sébastien », produite par Clementoni, était sous le sapin, autant vous dire que je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là… Entre l’œuf en plastique évidé, le tour des gobelets et le caisson à disparition de bras, c’était le paradis ! Mais déjà à l’époque je regrettais les explications plus que succinctes, qui manquaient de clarté et de détails pour que chaque effet puisse être fait correctement, mais c’est une autre histoire et nous reviendrons dessus plus tard. La machine était lancée, étant assez monomaniaque, il m’en fallait toujours plus. L’année suivante, au marché de Noël de Nantes, un vendeur proposait des coffrets et je me rappelle en avoir discuté avec mes amis à l’école : « – Je te jure, il fait disparaître un foulard rouge dans la main ! Et les manches relevées en plus. – Mais non, c’est impossible… – Je sais comment il fait, il utilise un faux pouce ! »
Fort de cette information, je suis allé voir le fameux vendeur le samedi, qui m’a fait disparaître le foulard et quand j’ai voulu vérifier son pouce, il n’y avait rien ! Pas l’ombre d’un « FP » ou quoi que ce soit… La claque que j’ai pris ce jour-là (et ça me rappelle encore aujourd’hui que le timing est important et la misdirection permet de se débarrasser assez facilement de n’importe quel gimmick). J’ai donc eu à Noël une mallette, avec un DVD où un certain Monsieur Bip Bip expliquait les trois tours : La disparition du foulard, le Dynamic coins et Le jeu radio. C’était ma première expérience avec des tours qui sortaient des classiques que l’on retrouvait dans les boites vendues dans les grandes surfaces. Ces deux mallettes ont été les déclencheurs de ma passion et sans lesquelles je serais peut-être passé à côté d’un univers, de rencontres, de ma vie telle qu’elle est actuellement.
Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
Le premier pas fut dans la foulée de ce déclic, parce qu’apprendre comment fonctionnent les tours et gimmicks n’est qu’une partie de ce qui m’attire dans la magie. Je respectais donc plus ou moins le fait de travailler chaque tour avant de le présenter, trop pressé et fier de pouvoir faire quelque chose de nouveau et d’impressionnant à mes parents. Je me rappelle avoir passé de nombreuses heures à « roder » mon Dynamic coin, un peu trop neuf, et d’avoir sûrement abîmé le carrelage à force de taper dessus. Il fallait que je fasse de la magie tout le temps, à la récréation à l’école, quand je rentrais, dans ma chambre, à mes parents, à leurs amis, pendant les réunions de famille, aux anniversaires. Je me souviens d’une fête d’école qui se faisait sur une scène surélevée par rapport au public, sur laquelle je voulais faire la lévitation qui consiste à mettre sa veste devant les jambes et à faire voler ses chaussures. Je me souviens avoir acheté le gimmick chez Climax à l’époque et quand j’ai ouvert le colis, ma déception fut immense ! La magie n’existait pas vraiment et il fallait que j’oublie cet effet lors de la fête, les conditions ne s’y prêtaient vraiment pas (je n’ai d’ailleurs jamais réalisé ce tour, et je me suis surtout fait très mal aux mains en essayant de séparer les deux gimmicks). Aussi futile semble-t-il, cet événement a participé à la façon dont j’ai conçu la magie que je fais actuellement : pratique, faisable en toutes conditions et facilement transportable. J’ai fait pendant quelques années du théâtre et cela rejoignait le côté « show » que j’aime dans la magie, la représentation, le fait d’attirer l’attention. Je pense qu’il faut être un peu mégalo quand on fait ce métier, et si on couple cela à ma volonté de comprendre le fonctionnement des choses, la magie était un parfait compromis.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. A l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
Le forum 18-25, jeuxvideo.com, souvent décrié pour sa communauté immature a été ma première façon d’échanger avec des magiciens. Dès mars 2006, j’échangeais presque quotidiennement avec des membres, depuis la chambre de mes parents où se trouvait l’ordinateur, avec une connexion 56k qui ramait comme pas possible. Un certain Dexavoodle semblait en connaître un rayon, nous avons ensuite échangé sur MSN (le Snapchat des vieux). J’avais déjà envie à l’époque de publier des vidéos mais entre le manque de plateforme, ma webcam de mauvaise qualité et la connexion, c’était souvent la croix et la bannière pour pouvoir partager mon contenu avec les autres. Je relis ces messages aujourd’hui avec nostalgie, et je me rends compte à quel point j’étais insupportable, à vouloir tout, tout de suite, à spammer les gens, sans formule de politesse ou quelconque notion d’un échange respectueux. Cela me permet également de tempérer mes réactions face à de jeunes magiciens aujourd’hui car j’ai été comme eux.
Mais il y a aussi eu la boutique de magie Holodecor qui se trouvait à Nantes, et qui vendait les derniers gimmicks à la mode. Mes parents, qui m’accompagnaient, devaient sortir au moment de l’explication des tours. Il y avait un rituel et une notion de secret qui, bien que désuet aujourd’hui, rendait l’expérience assez formidable. Je me souviens cette odeur assez indescriptible du tout petit local, situé dans une rue étroite du centre-ville. Les notices papiers, les accessoires de scènes avec plumes et paillettes aux couleurs criardes, l’ambiance feutrée causée par le manque de lumière… Chaque passage était une véritable expérience. L’expérience d’achat magique a beaucoup changé depuis, Internet a bousculé les codes et désormais, on s’échange le dernier téléchargement à la mode avec une facilité déconcertante. Je suis le premier acteur de ce changement mais il est vrai que la magie a perdu de sa magie, ou alors je suis simplement nostalgique d’une époque révolue et je me cache derrière un « c’était mieux avant » un peu facile.
Je ne vois pas d’événement qui m’ait particulièrement freiné, si ce n’est le concept de faire de la magie une profession aux yeux de mes parents. Ce n’est pas un frein en soit, ils avaient raison, mais l’enfant plein de rêves dans les yeux ne l’entendait pas comme ça. Je les ai, heureusement, écouté, j’ai obtenu un diplôme d’ingénieur et sans cela, je n’aurais pas la vie que j’ai aujourd’hui.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Je travaille dans de nombreuses conditions ! Après avoir lancé mon activité de magicien de manière professionnelle en 2018, j’ai vu toutes sortes d’événements. Que ce soit la soirée d’entreprise très chic, dans les plus beaux lieux de Paris avec tout le monde en costume cravate ou l’anniversaire des cinquante ans à la salle des fêtes du village où chacun est déguisé, il faut savoir s’adapter. Je pense que c’est le maître mot pour les magiciens, il arrive très souvent qu’il n’y ait pas de lieu pour se changer, alors il faut improviser : combien de fois j’ai dû me changer dans les toilettes, ou même dans des lieux beaucoup plus insolites comme l’arrière-cuisine d’un restaurant !
Je peux couvrir n’importe quel événement, qu’il s’agisse d’un mariage, d’une célébration religieuse, un cocktail d’entreprise, une AG de coopérative agricole, un anniversaire, un team building à Paris, etc. La plus grande partie du temps, je travaille debout. Il faut donc aussi avoir à son répertoire une panoplie d’effets pouvant être réalisable sans table. Il arrive aussi que je doive passer aux tables lors d’un diner, il faut alors jongler entre les centres de table trop grand qui empêchent tout le monde de voir correctement et le service du traiteur. Sans oublier le DJ qui a complètement oublié que vous étiez là et qui met la musique trop fort, ou l’éclairage qui fait qu’il est même compliqué de voir quelle carte a été choisie. L’expérience aide beaucoup dans ces cas-là et permet de s’en sortir. On en revient au maitre mot : l’adaptation.
Autre situation qui peut être délicate : quand tous les invités ne parlent pas la même langue ou ne partagent pas la même culture. Chacun va réagir différemment aux effets que je propose et cela demande aussi beaucoup de tact pour proposer une magie qui conviendra à tous. Mais c’est aussi ce qui fait le sel de cette profession, c’est cette variation dans les événements et les publics qui sont stimulants.
Parlez-nous de votre chaîne YouTube « Les avis d’Alexis » qui est active depuis plus de 10 ans avec plus de 550 tests. Pourquoi, comment et quand a débuté ce projet ? Comment fonctionne ce placement de produit ? Travaillez-vous avec des partenaires ? Ou trouvez-vous de la place pour stocker tous ces tours ? Certains font-ils partis de votre répertoire ?
Je pense que l’événement fondateur de la chaîne des « avis d’Alexis » a été la déception en recevant un produit qui ne correspondait pas du tout à la description qui en était faite par le vendeur. J’ai donc voulu trouver un moyen de mettre aux courant d’autres magiciens sur ce genre de pratiques. Et j’ai aussi vu le côté positif de cette démarche, qui me permettait de mettre en avant des tours intéressants, parfois peu connus, et d’en parler à une communauté. À l’époque, il n’existait que le Wizard Product Review au Royaume-Uni animé par Craig Petty et David Pen, et je crois que le Magigazine de Calix et Chakkan est sorti dans la même période en France. Je ne voyais pas du tout d’un mauvais œil la concurrence, je pense que la diversité des points de vue permet aux magiciens de mieux anticiper leurs achats.
C’est donc le 8 février 2013 que le premier épisode a été posté, avec le tour Flexion de Jon Allen. Le setup matériel était rudimentaire, une webcam et un micro casque de mauvaise qualité mais j’étais aux anges. Je n’ai pas montré ma tête au départ et c’est venu au bout d’un an je crois, je trouvais que ça permettait de mieux incarner mon propos. Il faut aussi savoir qu’à l’époque, il n’y avait pas autant de critiques de produits qu’aujourd’hui, et c’est sur un marché presque vierge que je suis arrivé, ce qui m’a aussi permis de construire une communauté (et évidemment la régularité, avec un rythme d’une vidéo par semaine).
Au départ, je me suis associé avec Bigmagie car pour pouvoir sortir une vidéo par semaine, il fallait débourser entre 150 € et 200 € par mois de produits et il m’était impossible d’avoir une telle somme, j’avais dix-huit ans en 2013 et donc toujours étudiant. La collaboration avec une boutique s’est faite naturellement, elle m’a permis d’avoir accès à un large choix de produits mais j’ai toujours gardé une indépendance dans mes avis. Je suis partisan du fait que dire la vérité permet d’installer une confiance chez les personnes qui regardent mes vidéos et si je dis qu’un produit ne me convient pas, que j’argumente pourquoi, les gens comprennent plus facilement et me font confiance quand je dis qu’un produit est, pour moi, exceptionnel. Je suis toujours resté humble sur le fait que ce n’était que mon avis, et j’encourage toujours les gens à faire leur propre expérience. Donner son point de vue sur un produit est purement subjectif et ce qui ne me correspond pas peut très bien plaire à quelqu’un d’autre, d’où l’idée d’avancer des caractéristiques techniques dans la vidéo pour dire « c’est plutôt faisable en close-up » ou alors « vous allez devoir porter un pull à manches longues pour faire cet effet ». Bigmagie a toujours respecté mon indépendance et s’il vendait moins d’un produit que je n’avais pas aimé, il vendait beaucoup plus un produit que j’adorais ! Ce fonctionnement, en bonne intelligence, a été la clef de la réussite pendant cette période.
J’ai ensuite rejoint Magic Dream en janvier 2019, en tant qu’employé cette fois-ci, et c’était différent que de travailler comme « prestataire » pour Bigmagie. J’ai quand même voulu garder mon indépendance sur les produits, et j’avais cette fois-ci l’accès à un catalogue bien plus vaste, dans lequel je choisissais de mettre en avant tel ou tel produit. Cela m’a permis de dénicher quelques tours qui sont rapidement devenus des best-sellers, sans me vanter, j’avais l’expérience des produits et je savais ce qui marchait ou non. Mais il est aussi arrivé que je me plante complètement, pensant un produit génial et la réponse des clients n’était pas au rendez-vous ! L’avantage du poste, c’était de maîtriser la chaîne de production : je m’occupais de trouver les nouveaux produits, de les brander, de réaliser la vidéo explicative et ensuite d’en parler sur « Les avis ». J’ai toujours fonctionné dans ce sens, je mettais en avant uniquement les produits que j’aimais et je ne disais pas du bien de quelque chose dans l’unique but de le vendre alors qu’au fond de moi, je savais que le produit n’était pas bon.
Au bout de trois ans, j’ai décidé de changer (une nouvelle fois) de boutique. Le fait de se lever magie, de vivre magie, de manger magie et de se coucher magie avait quelque peu heurté mon amour pour cet art, c’était trop. Et j’ai trouvé chez Ludo et Lili de Marchand de Trucs une ambiance familiale qui me plaisait beaucoup et avec qui j’entretenais déjà des liens depuis quelques années. Mais pour autant, je ne suis pas employé, je travaille comme prestataire, comme pour Bigmagie à l’époque, et c’est le modèle qui me convient le mieux. Ludo me donne carte blanche pour mes vidéos, même sur les productions de Marchand de Trucs, et j’ai un travail complètement différent de la magie à côté qui me permet de faire autre chose, l’équilibre est plus sain.
Pour la grande partie des tours vus dans « Les avis », ils m’ont été prêté par les boutiques, je n’en ai donc pas la possession. Quelques fois, les créateurs m’envoient les tours que je garde, et soit je les revends pour financer la chaîne, soit je les rajoute à mon répertoire (Turbo Stick, Destination Box, Double Cross, etc.). Ce qui ne m’empêche pas d’avoir une pièce dédiée à la maison pour le tournage/montage des « avis » et le stockage des produits, mais ce n’est pas la caverne d’Ali Baba qu’on peut s’imaginer. Les revenus directs (vues + revente de produits) permettent le financement de ma chaîne YouTube, de l’abonnement Adobe, du matériel vidéo, mais ne constituent pas une source de revenus supplémentaires, la chaîne s’autofinance et c’est très bien comme ça.
Vous êtes l’auteur et le créateur de nombreux tours (Revolution Box, Flik, Pen Pal, Frame, Port Home, Ocular, T.R.C, Monu…). Pouvez-vous nous en parler ? Comment concevez-vous vos routines ? Avec qui travaillez-vous pour développer vos idées ? Avez-vous des distributeurs et éditeurs ?
Mon attrait pour les gimmicks m’a amené à vouloir développer mes propres idées, j’aime beaucoup fabriquer des choses et il était naturel que ça aboutisse à des choses plus ou moins originales (et bonnes). Mon premier vrai gimmick, c’était Twizted d’Eric Jones, je me souviens avoir écrémé les merceries pour pouvoir trouver l’accessoire me permettant d’en refabriquer, c’était comme une chasse au trésor ! Je me suis ensuite constitué une mallette de bricolage avec tout le nécessaire et j’ai commencé à réfléchir à des idées.
Frame a été ma première création, elle s’est inspirée du tour Metamorphose de Mickaël Chatelain, fait par Bernard Bilis au Plus Grand Cabaret du monde (vous voyez comme tout se recoupe ?). Je voulais ajouter à cet effet des caractéristiques comme le fait de montrer une carte signée de l’autre côté, un cadre plus grand pour la révélation et la possibilité de personnaliser facilement le gimmick. Pauline, ma femme désormais, et ma compagne depuis maintenant quatorze ans, m’aidait à fabriquer les gimmicks dans les couloirs du lycée, nous étions assis à découper des rectangles de cartes… C’est un souvenir assez marquant.
J’ai ensuite développé plusieurs idées que j’ai proposé aux différents producteurs de l’époque (Vanishing Inc., Mark Mason, Alakazam Magic, Marchand de Trucs, etc.). Ce qui convenait à l’un ne convenait pas forcément à l’autre. J’ai toujours veillé à ne pas proposer la même idée à deux personnes en même temps, ce qui m’aurait mis dans une situation indélicate. Cela peut paraître étonnant vu de l’extérieur de passer de boutique en boutique, mais ma seule volonté à l’époque était de voir mes créations produites, c’est un sentiment assez exaltant de recevoir le produit fini avec son nom dessus. Toutes mes créations n’étaient pas bonnes, avec le recul, j’en conviens mais elles m’ont permis d’avancer dans ce domaine. C’était aussi une position délicate de passer de critique à créateur, parce que c’était désormais moi qui pouvais être critiqué. Mais finalement, cela ne s’est pas si mal passé et j’arrive à comprendre que certaines de mes créations ne soient pas aussi worker que d’autres ou qu’elles ne conviennent pas à tous !
Mes créations viennent souvent d’un problème que je rencontre ou d’un tour que j’ai vu. Je reprends le concept de base et j’y apporte une solution, ma solution, qui convient à mon environnement de travail. Je prends par exemple La carte dans la boite transparente, je n’étais pas fan des solutions du marché (Jon Allen, David Pen, Wayne Dobson) alors j’ai réfléchi à une méthode différente (aspect 3D, carte qui bouge dans la boite, faisable en jean et sans table) et ça a donné la Revolution Box. Je travaille souvent tout seul, même s’il m’est arrivé d’échanger, notamment avec Jordan Victoria ou Anthony Stan sur des idées, deux excellents créateurs au passage. Il est souvent plus compliqué pour moi d’inventer des concepts sans se baser de quelque chose d’existant, mais ça arrive ! Comme je suis aussi mentaliste à Paris, j’ai quelques idées dans mes tiroirs qui allient la lecture de pensée et les gimmicks, et même si ça peut paraître étonnant, les résultats sont vraiment bluffants.
Maintenant, ayant les codes et les connaissances, j’essaie de produire moi-même mes créations. J’ai une meilleure compréhension du monde de la magie, des circuits de distribution, des fabricants d’accessoires, du tournage de bande annonce et de vidéos explicatives, et c’est grandement dû à mon passage chez Magic Dream. Cela demande un investissement en temps et en argent plus important mais c’est beaucoup plus agréable d’avoir la main sur tous les éléments d’un tour. Je voudrais d’ailleurs faire un gros coucou à Yannick Guyot qui m’aide énormément sur le côté graphique de mes tours, sans lui, je n’y arriverai pas je pense. Et c’est sur cet aspect qu’il est important de bien s’entourer, on ne peut pas être bon dans tout. Ulysse Thevenon a fait des bandes annonces incroyables à partir de mes vidéos, Yannick effectue un travail de fou en graphisme, Guillaume Natas relit et réécrit mes descriptions. C’est une vraie équipe qui fait que les produits peuvent désormais sortir avec cette qualité-là. Normalement, une nouvelle création est prévue pour 2024 mais je ne peux pas trop en parler encore, elle sera faite avec un magicien que j’apprécie beaucoup et dont la qualité des productions n’est plus à prouver. J’ai hâte de vous en parler !
Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Bernard Bilis, dont je parlais plus haut, a été mon maître. Dans ses passages au Plus Grand Cabaret du monde mais aussi dans les DVD que j’achetais avec mes grands-parents au Musée de la Magie à Paris, La Magie par les Cartes. Je fais encore aujourd’hui de nombreux effets appris à ce moment-là ! Mickael Chatelain a beaucoup joué dans mon développement magique, son approche des gimmicks est pour moi la plus créative au monde et m’a ouvert les yeux sur les possibilités offertes par des accessoires truqués. David Stone, c’est le performer par excellence, le magicien qu’on rêverait tous d’être et qui, à chaque fois qu’on le voit, arrive à nous surprendre, même avec des choses que l’on connait déjà. Ce double aspect de magicien pour moldus et magicien pour magiciens me fascine, et c’est le fruit d’un travail que peu s’imaginent. Son personnage de Klek Entòs en est la preuve, c’est une mine d’or de bonnes idées et il faut aussi citer Jean-Baptiste Dumas qui est l’homme de l’ombre dont la créativité est sans limites. Tobias Dostal, c’est un génie, magicien, artiste, peintre, il est sur tous les arts et son style transpire la créativité et l’ingéniosité. C’est même dommage que ses effets soient commercialisés car même avec le secret et les accessoires, il est très souvent impossible de reproduire ce qu’on a vécu en le voyant. C’est une expérience unique et géniale de le voir faire de la magie, si vous en avez l’occasion, foncez !
Je pourrais aussi citer Dani DaOrtiz, Henry Harrius, Bill Abbott, Scott Alexander… Mais il y en a aussi beaucoup d’autres, qui ne sont pas aussi connus et qui mériteraient de l’être, des artisans qui fabriquent des merveilles comme David ou Charly. Des copains, As de l’écriture comme Guillaume Natas, ou encore des concepteurs d’expériences de mentalisme et de spectacle comme Maxime Schucht et Sylvain Vip. On a un très gros réservoir de talent en France et c’est un vrai plaisir de voir l’apport de toutes ces personnes au monde magique. J’ai eu la grande chance jusqu’à présent de rencontrer ceux que j’admirais, de pouvoir échanger sur nos visions de la magie et pour certains de les compter désormais parmi mes amis. Mais j’ai aussi eu l’opportunité de rencontrer des talents par le biais de mes vidéos, qui sont aussi devenus des amis aujourd’hui et que je considère comme les meilleurs de leur domaine. Et c’est pour ça que les boites de magie que j’ai reçu à huit ans sont si importantes à mes yeux car si j’ai les amis et la vie que j’ai aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à la magie.
Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
En tant que magicien à Paris, Le close-up est évidemment la discipline reine à mes yeux, celle qui permet d’être au plus proche du public et d’avoir les retours en temps réel, de pouvoir anticiper, improviser et s’adapter aux réactions des spectateurs. J’essaie de varier, de ne pas toujours faire de la cartomagie, d’utiliser des objets du quotidien, d’y intégrer du mentalisme, une part de digital mais surtout de faire rire et de divertir les gens. J’aime beaucoup les numéros présentés lors de concours (toujours de close-up), les conditions y étant différentes, on y voit une plus grande créativité et diversité d’effets, qui peuvent inspirer certaines routines. Je pense notamment au numéro d’Hanson Chien qui change les cartes de couleur d’une manière impossible, et c’est avec ce genre de chose que la magie avance, comment faire vivre quelque chose de similaire à un spectateur en close-up ? Cela permet de penser différemment, d’explorer des directions qui n’auraient jamais existé sans cela.
La grande illusion est intéressante pour les mêmes raisons que les numéros de compétition, les fonctionnements peuvent être adaptés au close-up, notamment dans les mécanismes de trucage. C’est pour ça que je suis aussi fan des produits de la gamme Tenyo, car on y retrouve une ingéniosité dans la fabrication et le fonctionnement. C’est aussi à ça que je dois mes études d’ingénieur, j’ai toujours aimé comprendre le fonctionnement des choses, et être capable de fabriquer un gimmick basé sur une illusion d’optique utilisée sur scène, c’est quelque chose d’assez grisant. Au-delà de close-up/salon/scène, le style qui me définit le mieux, c’est le bon pote avec qui on aime passer une soirée. Que je sois en entreprise ou dans un environnement privé, les gens rient, s’amusent et passent un bon moment, et la magie n’est qu’un moyen pour arriver à ce but. Elle permet de facilement se connecter aux gens, de les émerveiller et de les faire rire, et si je remplis ces trois cases, ma mission est réussie.
Petit fun fact : j’adore l’hypnose mais je ne m’y suis encore jamais mis, c’est quelque chose que je trouve déroutant car sans fonctionnement « logique » pour moi. La magie se base toujours sur un « truc », qui, une fois maîtrisé, permet de faire vivre l’impossible aux spectateurs. Même si j’ai beaucoup lu sur l’hypnose et son fonctionnement, le manque de « truc » me déstabilise et m’empêche d’en faire correctement. Peut-être que l’écriture de cet article sera mon exutoire et me forcera à me lancer dans cette discipline !
Quelles sont vos influences artistiques ?
Je reste classique dans mes influences, je vais reparler de Bernard Bilis une troisième fois mais il le mérite, sa magie est simple et efficace, c’est tout ce que je recherche. Et toujours avec l’humour et la bonhomie qu’on lui connait. Clément Blouin est un magicien qui monte et qui m’inspire beaucoup, son style « Comedy Club » doublé de son humour tranchant me plait beaucoup et cache l’énorme travail technique qu’il y a derrière ! J’avoue beaucoup aimer ce que fait Richard Sanders, sa collection de trois DVD The Richard Sanders Show est une mine d’or, avec des routines très intelligentes, sans parler de son Extreme Burn qui reste pour moi le meilleur change de billets à ce jour.
Côté humoriste, mon père écoutait Les grosses têtes et j’ai toujours été bercé dans cet univers-là. Et beaucoup d’artistes m’inspirent autant qu’ils me font rire : Arthus, Jérémy Ferrari, etc. Il n’est pas rare qu’une de leur blague fasse écho à une situation que j’ai vécue lors d’une prestation, ce qui donne pas mal de ressources pour écrire ses propres textes. Côté cinématographique, je suis fan de la saga Retour vers le Futur, d’Harry Potter (étonnant, non ?), des films du Splendid, mais aussi des séries comme The Office. Je ne sais pas si on peut dire que ces références influencent mes prestations, mais elles ont définitivement joué un rôle dans la construction de mon personnage. Je ne suis pas un fervent amateur de peinture, d’art plastique, de sculpteur ou de musique donc difficile d’identifier des inspirations de ce côté-là…
Quels conseils et quels chemins conseiller à un magicien débutant ?
Qu’il faut qu’il fasse de la magie parce qu’il aime ça, sans autre but. On devient rarement riche ou célèbre avec la magie, et poursuivre sa passion avec ce but serait à mon avis une erreur. Il faut être curieux, de tout ! J’ai trouvé plusieurs de mes meilleures idées de tours en me baladant dans un magasin de bricolage, mais c’est un exemple qui m’est propre. Peut-être que vous trouverez vos inspirations dans une musique, dans un film, dans un livre. La curiosité, c’est la chose la plus importante à cultiver dans un arsenal magique. Aller vers les gens, partager, découvrir. Les gens qui réussissent n’ont pas de chance, ils la provoquent. C’est souvent une rencontre qui peut changer votre vie, par exemple en découvrant une personne qui va compter dans votre vie personnelle ou artistique. Le côté social est important car l’échange et le partage sont deux vecteurs qui vous feront évoluer de manière exponentielle. Une qualité qui me manquait étant jeune, c’est l’humilité. Être humble, donner autant que l’on aimerait recevoir, c’est important et ça rejoint l’idée du partage.
Travailler, ne pas avoir peur de refaire dix fois les choses jusqu’à ce qu’elles soient assez bonnes pour pouvoir les présenter. On a souvent l’impression que c’est facile quand des gens font des spectacles, mais s’ils rendent ça facile, c’est qu’ils ont travaillé de manière acharnée derrière. David Stone en est l’exemple parfait, pour ses numéros à La France à un incroyable talent, il a travaillé des dizaines d’heures par jour pendant des semaines pour seulement cinq minutes. Varier les choses sur lesquelles on travaille permet de mieux s’approprier les effets, et d’éviter de s’abrutir et de s’agacer sur un problème que l’on peut rencontrer. Rater, c’est important de rater. On valorise la réussite et peu l’échec mais je suis convaincu qu’on ressort plus fort d’un échec, parce que ça nous permet d’apprendre et d’évoluer. Donc il faut se lancer, et quelque fois tomber, pour mieux aller de l’avant. Votre première levée double sera toujours moins bonne que la deuxième ! Si vous ratez et que l’on vous voit faire une manipulation par exemple, demandez-vous pourquoi c’est arrivé et ce que vous pourriez faire pour que ça n’arrive plus. Et c’est toujours valable même après plus de cent prestations, il y a toujours des améliorations à mettre en place.
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Je trouve que la magie actuelle est de plus en plus créative, que les moyens de s’exprimer, que ce soit en live ou via les réseaux sociaux, sont toujours plus nombreux et apportent leur lot d’innovations magiques. L’émergence de nouveaux talents à la créativité débordante est un point positif et tire l’ensemble vers le haut. Le mélange de la magie avec d’autres arts (danse, chanson, peinture, etc.) est un concept relativement récent et permet de voir les choses d’une manière différente, souvent poétique et toujours très intéressante ! La technologie a beaucoup apporté et notamment dans le domaine de la magie, j’ai développé une spécialité de magicien digital à Paris qui me permet de mêler techniques classiques des accessoires comme un Iphone et un Ipad. Cette magie permet une plus grande personnalisation des effets et une fusion de deux mondes, qui, si elle est faite avec équilibre, donne des résultats vraiment bluffants !
Il est aussi plus facile d’avoir accès aux différentes ressources, le concept de secret n’est plus le même qu’il y a quinze ans et n’importe qui peut « devenir magicien » sans forcément se donner du mal. Ce qui n’est pas forcément un point négatif, car plus d’accessibilité permet une meilleure démocratisation de la magie (cela se voit sur le nombre de contenus magiques à la télévision ou dans les théâtres). Si les gens n’oublient pas le respect de l’art et du secret, je pense que la magie n’en sortira que grandie. Certains diront que maintenant tout est prémâché et qu’à l’époque, chaque jeu de cartes ou tour se méritait. Sans être réfractaire, je pense qu’accompagner le changement est toujours plus positif que d’aller contre, prenons par exemple les vidéos explicatives qui permettent une meilleure compréhension des routines que les notices papier de l’époque. De la même façon qu’il est plus facile de trouver des livres en français qu’avant, ce qui démocratise l’accès à la magie.
Sur le côté mercantile de la magie, je trouve cependant que peu de réelles nouveautés sortent du lot, on a beaucoup de réchauffé, d’adaptation de principes existants sans réelle amélioration ou simple ressortie de tours qui existent depuis des années dans des livres. Je pense qu’il faut faire attention à ce point-là, pour ne pas saturer le marché plus qu’il ne l’est, et de réfléchir à de nouveaux effets, à de nouvelles méthodes, domaine dans lequel Tobias Dostal est un vrai génie à mes yeux.
Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
Je ne suis pas un grand théoricien de tout ça mais je pense que la culture dans sa globalité doit permettre à chaque artiste de faire évoluer qui il est ainsi que son personnage. Et qu’il n’y a pas de sous culture, tout élément, s’il vous fait avancer, est bon à prendre. Pour autant, je ne suis pas quelqu’un qui va vous dire :« Évidemment que la période bleue de Picasso m’a beaucoup influencé et m’a permis d’être le magicien que je suis aujourd’hui. » C’est important de se cultiver dans ce qui vous plait, car se forcer à faire des choses qui ne vous plaisent pas ne seront jamais bénéfiques dans votre approche de la magie. Pour autant, soyez curieux, mais ça, je crois que je l’ai déjà dit 😉
Vos hobbies en dehors de la magie ?
J’adore tout ce qui touche à la technologie : l’intelligence artificielle, la vidéo (tournage et montage), les jeux vidéo, les réseaux sociaux mais aussi la partie plus hardware comme les PC ou smartphone. J’essaye de courir régulièrement même si c’est plus compliqué par moment ! J’aime beaucoup lire, et pas que de la magie 😉
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Interview réalisée en janvier 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Pierre Morel, Harmonie Photography, Guillaume Galmiche, David Chollet et Alexis De La Fuente. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.