Comment êtes-vous entrée dans la magie ? À quand remonte votre premier déclic ?
Ce n’était pas tant un déclic qu’une vocation. Le premier contact s’est produit en CE1, avec un garçon pour qui j’avais un faible, Adam. Il adorait la magie (et l’adore toujours) et refusait de me confier ses secrets. Je lui ai dit que si j’étais son assistante, il accepterait de les partager avec moi, et que je pourrais ainsi l’aider… et depuis, la magie m’a murmuré à travers les rêves, la danse et les rituels, bien avant que je ne tienne un morceau de papier flash. J’étais déjà plongée dans le théâtre et le mouvement, canalisant les archétypes et racontant des histoires avec mon corps. Puis, un jour, j’ai vu Jeff McBride faire de la magie près du feu – et tout a basculé. Son travail a allumé en moi quelque chose de primitif et de profond : la révélation que la magie pouvait être un art, une initiation, un théâtre sacré. Cette première représentation a fait vibrer un diapason en moi. J’ai réalisé que tout ce que j’aimais – le mythe, le mouvement, la transformation, le mystère – pouvait être tissé en un seul langage époustouflant. Ce n’était pas que de la magie ; c’était un travail de prêtresse déguisé en paillettes et en fumée.

Quand avez-vous franchi le premier pas et comment avez-vous appris ?
J’ai découvert la magie par la voie de la performance, sur scène en tant que musicienne dans le spectacle de Jeff à Atlantic City, dans le New Jersey, au début des années 1990. Ma formation a débuté sur scène, mais mon apprentissage de la magie a débuté lorsque j’ai rejoint la Magic & Mystery School fondée par Jeff. J’ai appris par osmose et dévotion : en observant, en pratiquant, en échouant, en me relevant. La magie ne s’apprend pas seulement avec les mains ; elle pénètre dans nos os, notre souffle, nos rituels. J’ai entraîné mon corps à devenir un instrument d’émerveillement, et mon esprit à rester humble et curieux. Avec le temps, je suis devenue non seulement une artiste, mais une tisseuse de transformation. J’ai découvert que le véritable apprentissage se poursuit chaque jour : sur scène, dans les rituels et dans les moments intermédiaires.
Quelles sont les personnes ou les opportunités qui vous ont aidé. À l’inverse, un évènement vous a-t-il freiné ?
J’ai eu la chance d’être entourée d’une communauté de mentors, de mystiques et de compagnons de route. Jeff McBride, bien sûr, est à la fois partenaire et guide. Eugene Burger a eu une influence considérable, m’apportant non seulement une technique, mais aussi une profonde perspective spirituelle.


Des défis ? Oh oui. J’ai été sous-estimée et rejetée. Mais chaque fois que j’ai été freinée, j’ai transformé la friction en feu. Chaque refus est devenu un sort pour ma souveraineté. Les défis m’ont forgé, m’ont aidé à revendiquer ma voix et ma vision avec plus de force. Chaque porte que je n’ai pas été autorisée à franchir, j’ai construit la mienne à côté – avec de l’encens, de la poésie, du sang et des paillettes. Et ce faisant, j’ai trouvé mon véritable public : ceux qui ont soif d’authenticité et d’âme.
Quels sont vos domaines de compétence ? Dans quelles conditions travaillez-vous ? Parlez-nous de vos créations, spectacles et numéros
Je travaille mieux dans un espace sacré, où la beauté, le rituel et l’intention imprègnent l’atmosphère. Que je répète seule ou que je me produise devant des centaines de personnes, je trace un cercle, j’invoque les muses et je m’offre comme réceptacle. J’ai besoin de musique, de mouvement, de lumière, de bougie. J’ai besoin de souffle. La magie, pour moi, c’est l’alchimie. Elle exige une préparation « du temple », intérieure et extérieure. Même dans les lieux ordinaires – les coulisses d’un théâtre ou la salle de bal d’un hôtel – j’emporte mon nécessaire rituel : huiles, symboles, un petit tissu pour l’autel. L’espace devient sacré dès que je le traite comme tel. Voilà le secret : la magie s’épanouit là où révérence et créativité se rencontrent.


Quelles sont les prestations de magiciens ou d’artistes qui vous ont marqué ?
Le Spirit Theater d’Eugene Burger. Les masques et la magie de Jeff. Et aussi des artistes au-delà de la magie : Pina Bausch et sa sorcellerie danse-théâtre. Laurie Anderson et ses récits lyriques. Des artistes de performances rituelles qui brouillent les frontières entre réalité et rêve. Chaque fois que je vois quelqu’un ouvrir un portail vers l’ineffable, je suis marquée à jamais. Je suis particulièrement touchée par les œuvres qui osent la vulnérabilité et le mythe. Des performances qui ne se contentent pas de divertir, mais qui initient – d’où l’on ressort transformé, marqué, légèrement plus hanté. Je recherche une magie qui ressemble à une cérémonie déguisée en spectacle.

Quels sont les styles de magie qui vous attirent ?
La magie mystérieuse et narrative. Le genre qui respire, saigne et se souvient des anciennes coutumes. Je ne m’intéresse pas aux énigmes, je recherche la poésie. J’aime la magie visuelle, le travail des masques, le tarot, la transformation. Je suis profondément attirée par les pièces mythiques, féminines, archétypales, où la magie devient un rituel, un voyage, une invitation à la liminalité. Je recherche une magie qui parle à l’âme et qui ne s’excuse pas de sa profondeur. Les tours de manipulation sont magnifiques, mais je m’intéresse davantage aux sortilèges, des actes porteurs d’intention et de sens. Ma magie préférée pose des questions plutôt qu’elle n’apporte de réponses.

Quelles sont vos influences artistiques ?
Mes racines plongent dans le théâtre sacré, le mythe et la danse. Je puise dans les traditions ancestrales des prêtresses, le tarot, la poésie extatique de Rumi et Mary Oliver. Mes influences sont à la fois ésotériques et incarnées : Isadora Duncan, Anaïs Nin, Joseph Campbell, Dion Fortune, et bien sûr les femmes puissantes qui m’ont précédée et ont osé transformer les cendres en beauté. Je me nourris également de textes mystiques et de traditions populaires du monde entier. Je crois que l’artiste est un oracle vivant : nous traduisons des forces invisibles en formes. Alors, je me nourris de beauté, de symbolisme, de rituels et d’histoires comme d’autres boivent du café.

Quels conseils et quels chemins recommander à un(e) magicien(ne) débutant(e) ?
Apprenez le métier, oui, mais ne vous perdez pas dans la technique. La magie ne réside pas dans la méthode, mais dans le sens. Commencez par l’émerveillement. Laissez vos mains apprendre les tours, mais laissez votre cœur guider l’histoire. Et n’oubliez pas : vous ne vous contentez pas de jouer devant un public, vous faites de la magie avec lui. La magie est un échange sacré. Demandez-vous : « Pourquoi est-ce que je fais ce numéro ? » et « Qu’est-ce que je dis vraiment ? » N’ayez pas peur d’être étrange, brut ou beau. Le monde a besoin de plus de magiciens pleinement eux-mêmes, non pas des copies d’autrui, mais des flammes originales. Je vous conseille également de trouver un professeur, un guide sur le chemin, capable de transmettre sa sagesse et d’enseigner ses techniques. Vous pouvez aussi nous rejoindre en ligne ou en personne à la Magic & Mystery School !
Quel regard portez-vous sur la magie actuelle ?
Nous vivons une renaissance palpitante et chaotique. Les anciens paradigmes s’effondrent et de nouvelles voix s’élèvent : femmes, magiciens queer, personnes de couleur, chercheurs spirituels, éco-magiciens. Il existe une soif de profondeur, de vérité enveloppée d’enchantement. Le risque est que, dans un monde de défilement et de spectacle, nous perdions l’âme de l’art. Mais je vois de plus en plus de magiciens choisir de donner du sens à leur travail, et cela me donne de l’espoir. Je crois que la magie peut être un antidote au cynisme et au désespoir. Elle a le pouvoir de nous rappeler notre capacité d’agir, notre mystère, notre interdépendance. La prochaine génération de magiciens pourrait bien être des guérisseurs spirituels déguisés en artistes.

Quelle est l´importance de la culture dans l´approche de la magie ?
La culture est le contexte dans lequel notre magie vit. Être magicien, c’est être un pont entre le visible et l’invisible, mais aussi entre le passé et le présent, l’intime et le collectif. Nous devons connaître les mythes de notre peuple, honorer les terres sur lesquelles nous nous trouvons et créer une magie qui parle de l’instant présent. La culture façonne nos symboles, nos histoires, nos sortilèges. L’ignorer rend la magie vaine. L’accepter transforme notre travail en actes vivants de souvenir et de résistance. La magie peut être un moyen de se réapproprier la sagesse ancestrale et d’imaginer de nouveaux avenirs.
Vos hobbies en dehors de la magie ?
Je suis prêtresse du feu, alors je danse souvent, surtout autour des flammes. Je chante. J’écris des poèmes qui sentent l’encens et ont le goût du miel. J’organise des cérémonies et rassemble des femmes en cercle sacré. J’adore cuisiner (et enchanter) de délicieux mets. Je marche dans le désert et j’écoute les pierres. Tout ce que je fais est, d’une certaine manière, magique. Je fabrique aussi des autels avec du bois flotté et des os, je recueille la lumière de la lune dans des bols et je murmure des sorts à l’eau de rose. Je crois que le repos est un acte révolutionnaire, alors je prends le temps de m’arrêter, de rêver. Ma vie est un écosystème d’enchantement, pas seulement un travail.
À voir :
- Abigail Spinner McBride #1 – Magical Women with Connie Boyd
- Abigail Spinner McBride #2 – Magical Women with Connie Boyd
À visiter :
Interview réalisée en août 2025. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Abigail McBride / Magic & Mystery School. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.