D’après Les Musiciens de Brême des frères Grimm.
Dans ce petit cabaret, les musiciens du fameux conte ne vont pas revivre leurs aventures mais nous présentent leur chant du cygne, dans un dernier tour de piste, avant que la faucheuse ne les emporte… Entre les mains de la marionnettiste, dans cette revue à la fois drôle et macabre, ils tiennent à peine debout. « J’avais déjà rêvé de cette fanfare qui parlerait des vieux animaux de travail, dit-elle. Dans mon atelier, s’impatientaient une vieille chatte, une petite poule et un âne. » Bello, le chien, a été conçu avec un crâne trouvé dehors et deux squelettes de pattes. Trop fatigué pour chanter, il sera éliminé sans pitié…
Ilka Schönbein1 prête sa voix, ses mains et ses jambes parées de savants maquillages, à ses créatures pour des poses évocatrices. Henriette, la poule, élevée en batterie sans avoir jamais rencontré de coq, a trouvé l’amour dans le convoi qui l’amène à l’abattoir et se lance dans un flamenco endiablé devant son fiancé. Avec ses doigts, la marionnettiste réussit à faire danser les volatiles sur L’Amour est enfant de bohème de Carmen, interprété par la mezzo-soprano Alexandra Lupidi qui a aussi conçu l’accompagnement musical. Et sur son ukulélé, sa guitare électrique et son piano d’enfant, elle rythme le spectacle aux côtés d’Anja Schimanski (contrebasse et percussion). Des comptines comme Le Coq est mort, entonné en guise de marche funèbre sous des parapluies, ou des chants populaires comme So stato a lavora racontant la vie harassante d’un mineur, ou encore le triste Schwesterlein de Johannes Brahms, donnent à la pièce un ton joyeux ou nostalgique. « La musique, dit Ilka Schönbein, nous guide dans tous mes spectacles et je guide la musique. »
Dans une esthétique jamais vulgaire, elle sait créer un univers en demi-teinte, entre comédie et tragédie. Et ses marionnettes qu’elle fabrique avec des matériaux de rebus, ont une étrange et sinistre beauté. « Les personnages eux-mêmes, sont des déchets, dit-elle. Déjà morts ou qui ont l’occasion de réaliser, avant de mourir, leur plus beau rêve : échapper à leur sombre destin, en devenant artistes de cabaret. »
Ainsi Rocky, l’âne qui voulait devenir rockstar, peut pousser sa chansonnette avant de s’écrouler… Et Mitsy, la vieille chatte libidineuse, va enfin revêtir une belle robe de bal et raconter ses aventures galantes. « Le spectacle a été conçu pendant la pandémie et la mort à laquelle les protagonistes veulent échapper, les a rattrapés. » Voyage Chimère, une métaphore de la condition humaine ou une réflexion sur la vieillesse ? Avec humour et mélancolie, Ilka Schönbein évoque la maltraitance des animaux mais aussi celle des femmes et des hommes… Comme les autres créations du Theater Meschugge, ce spectacle mérite de poursuivre sa route.
Note :
1 Ilka Schönbein débute il y a vingt-cinq ans dans la rue, en Allemagne, avant de créer une dizaine de spectacles pour la scène, en France. Son langage artistique mêle l’art du geste, la marionnette, le conte, la musique. Cette soliste virtuose nous emmène avec peu dans un monde de grâce et de cruauté, de clarté et de complexité, où tout est possible. Cette grande dame de la scène fait figure de référence pour tous ceux qui portent haut l’exigence de la marionnette contemporaine. La puissance poétique de ses spectacles, son engagement viscéral, sa générosité théâtrale ne laissent personne indifférent. Et quand Ilka Schönbein vous touche, attention, elle vous touche en plein coeur.
Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Marinette Delanné. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.