Lors du dernier passage d’Houdini à Paris, au mois de mars de cette année, j’ai eu l’heureuse chance de passer environ une heure avec lui.
J’ai conservé une très nette, et aussi très agréable impression de cette trop courte entrevue. Houdini m’étant de suite apparu comme le meilleur et plus cordial camarade qui se puisse trouver. The very best fellow est en même temps un véritable fervent de magie. J’ai rarement vu plus d’ardeur, surtout chez un professionnel. La moindre passe, le plus simple truc, le plus mince procédé l’intéressent au plus au point. Pour sa part, il se fait un plaisir d’exécuter et de répéter devant vous ce qu’il considère (et il s’y connaît) comme ayant une valeur d’invention ou d’exécution. II nous a, à ce sujet, généreusement rendus témoins de quelques véritables friandises magiques.
Ehrich Weiss (pas encore Harry Houdini) portant les médailles remportées avec son équipe d’athlétisme en 1890 à New York (Copyright : The American Variety Stage : Vaudeville and Popular Entertainment, 1870-1920, Library of Congress). Houdini montre enfin, pour son art une ardeur, une passion et un constant désir de perfectionnement que j’aimerais constater chez nos professionnels nationaux et qui, bien certainement, se trouvent beaucoup plus accentués chez messieurs les amateurs, ce dont on ne saurait trop les féliciter. Mon intention n’est pas absolument, aujourd’hui, de faire d’Houdini, une apologie qui, de ma part, n’ajouterait rien à sa gloire. Je n’aurais probablement pas entrepris déparier de lui si, dans la conversation que nous avons eue, je n’avais relevé deux incidents dont la psychologie mérite d’être commentée, et qui démontrent, chez cet énergique, une façon de voir bien personnelle. Primo : Comme nous parlions des divers artistes anglais ou américains, qui s’étaient succédés sur nos diverses scènes de music-halls, Houdini me demanda quand on verrait un prestidigitateur français aller étonner les Américains. La question ne laissait pas d’être quelque peu insidieuse.
N’ayant, à ce sujet, aucune affirmation positive à produire, j’allais répondre évasivement, lorsque mon interlocuteur répondit lui-même par ce mot : Never (jamais), auquel il ajouta ce peu consolant et légèrement brutal corollaire, que je laisse aux intéressés, le soin de traduire : They are too lazy. L’expression est énergique, souhaitons qu’elle ne soit pas absolument typique, et, en tous cas laissons-en toute la responsabilité à son auteur. Il ne m’a pas, cependant, paru inopportun de la consigner ici, parce que, en somme, elle contient un enseignement livré à la méditation des intéressés.
Il nous reste maintenant à parler, toujours amicalement, d’un petit différent d’ordre spécial provoqué par Houdini. Un journal américain, consacré à la Magie, The Sphinx a fait paraître en janvier dernier, sous la signature de M. John N. Billard, une traduction de l’article que j’ai fait sur Moreau, dans un des premiers numéros de l’Illusionniste. Traduction que l’auteur fait précéder d’une note très flatteuse pour moi, ce dont je le remercie de nouveau, mais aussi qu’il termine en déclarant qu’il me laisse toute la responsabilité de mes assertions. Responsabilité que, d’ailleurs, j’accepte absolument. Or, Houdini qui apparaît ici comme un peu chatouilleux sur la question d’amour-propre artistique, a lu cette traduction, et s’en est ému. Il ne semble pas admettre qu’un tel artiste ait existé, et paraît soucieux des lauriers amoncelés sur le front de notre regretté camarade.
Houdini m’a fait comprendre qu’il n’admettait pas que, en parlant de Moreau, j’ai pu dire : « Saluez. MM. les Prestidigitateurs de tout ordre et de tout talent. Moreau vous dépasse, etc., etc. » Notre ami Houdini ne croit pas avoir à s’incliner devant qui que ce soit. Le geste est beau, certainement, mais est-il juste, ou plutôt, est-il justifié ? La glorification de l’un n’entraîne pas nécessairement l’amoindrissement de l’autre. Quant à l’habile et industrieux Houdini, sans parler ici de sa spécialité de menottes, sur laquelle je crois séant de ne pas insister, nous reconnaissons bien volontiers, qu’en matière de cartes, il est un manipulateur d’une rare virtuosité.
S’il nous a positivement charmés, il ne nous a cependant pas « mystifiés» dans le sens américain de ce mot. Jamais le « modus operandi » ne nous a échappé, et si, faute d’entraînement, nous ne pouvons faire exactement ce que fait Houdini, cela ne signifie pas que nous ne savons pas comment cela se fait. Eh bien, je regrette, mon cher Houdini, d’avoir à le répéter, mais cela ne se produisait jamais avec Moreau. Non seulement les plus clairvoyants ne voyaient rien, mais quelques uns de nous qui étions ses intimes, comme de Thorcey et Arnould, pour ne citer que ceux là ; nous qui connaissions ses moyens et procédés, nous qui l’avions vu opérer maintes fois, nous ne percevions jamais le moindre geste faux, le plus petit mouvement révélateur. J’ai, pour mon compte particulier, souvent joué aux cartes avec Moreau. Seul à seul, sans aucune distraction environnante, et, tout prévenu que j’étais, Moreau, conventionnellement bien entendu, me trichait audacieusement, sans que jamais je perçusse le plus léger indice, ni la moindre manœuvre suspecte. J’estime que c’est là une véritable supériorité, et, je suis bien obligé de dire que personne d’autre, jusqu’à présent, ne m’a gratifié d’une pareille démonstration. Nous avons vu, surtout avec des cartes, des choses évidemment admirables présentées par des artistes de différentes nationalités.
Houdini et sa femme Bess lors d’un numéro de malle indienne.
Tout a été imité. Moreau ne l’a jamais été. Si, en dehors de lui, je suis heureux de proclamer que Downs, Houdini et Thurston sont de merveilleux artistes, je puis dire cela parce que je les ai vus. Cela ne peut en aucune façon, blesser l’amour-propre artistique de ceux que je ne connais pas. Je n’ai pas la prétention de m’ériger en arbitre universel dont les décisions seraient sans appel. Quand je parle de Moreau, je ne suis pas seul de mon avis, et mon jugement est corroboré par d’autres experts. C’est pourquoi, Houdini, qui n’a pas vu Moreau, ne peut avoir d’avis sur son compte, pas plus qu’il ne m’est permis d’en avoir sur des artistes que je ne connais pas et dont je ne puis avoir aucune raison de froisser la susceptibilité artistique. Tout en gardant mes positions, je répète que je n’entends troubler ni diminuer personne.
Puisse cette sincère déclaration, calmer la sensibilité de l’ami Houdini, de qui je reste l’admirateur et à qui, en raison du plaisir qu’il m’a procuré, je serai désolé d’être désagréable.
E. RAYNALY.
A lire :
– Harry Houdini.
– La face cachée d’Houdini.
– Harry HOUDINI, Le Roi des Menottes.
– Houdini, Le Maître du Mystère.
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