Un jour, John Mulholland (1898-1970), magicien et éditeur de la revue The Sphinx, montra sa maîtrise fascinante de la manipulation devant un public de professeurs et d’étudiants. Il prit une pièce de monnaie dans sa main gauche, la plaça dans la droite, puis ouvrit cette dernière lentement. La pièce avait disparu. Un professeur, exaspéré d’avoir été trompé lui envoya un livre à la tête. Une expérience similaire est décrite par Milbourne Christopher. Il présentait son spectacle à Philadelphie et il demanda à une dame réservée et digne de l’aider en choisissant une carte. « Je changeais sa carte dans ses mains, sans la toucher moi-même, du roi de cœur, elle devint le trois de pique » raconte Christopher. « Elle regarda la carte, surprise puis exaspérée, elle me poussa alors brutalement, me faisant basculer par dessus une petite table, et tomber sur le sol. Elle s’excusa ensuite… »
Cette réaction instinctive et violente d’avoir été dupé, arrive parce que les spectateurs ne comprennent pas et donc n’aime pas les principes « honnêtes » dans l’art magique. Puisque toutes les supercheries emploient les mêmes méthodes de base, nous voudrions les connaître. Pas seulement pour le plaisir lors d’un spectacle magique, mais aussi pour se prémunir contre les tentatives malhonnêtes de nous duper.
Analysons ce qui s’est produit quand le professeur a été déstabilisé. Avec un mouvement parfaitement normal, le magicien a apparemment saisi la pièce de monnaie avec sa main droite. En fait la pièce de monnaie est restée dans sa main gauche. Son regard a suivi sa main droite, vide, alors que la gauche glissait la pièce de monnaie dans une poche, invisiblement. Quand l’artiste a lentement ouvert sa main droite, la pièce de monnaie avait disparu, et sa main gauche était vide également.
La pièce de monnaie n’a pas disparu parce que la main est plus rapide que l’œil. La main est plus sournoise, pas plus rapide, que la vision des spectateurs. La magie est réussie parce que c’est l’attention des spectateurs qui est trahie. Votre attention est habilement trompée. En fait, c’est votre propre cerveau qui vous trompe.
Vous ne voyez pas avec vos yeux seuls, mais avec votre cerveau et votre esprit, qui trie les contours et les couleurs et qui façonne des images compréhensibles. C’est parce que le cerveau a tant de choses à observer que l’illusion est possible. Votre esprit est un censeur. Si vous voyez deux hommes, l’un à 20 mètres de vous et l’autre à 40 mètres, alors vous verrez ce dernier deux fois plus petit que l’autre. Votre intellect, cependant corrige cette impression incorrecte. L’esprit, d’autre part, a l’habitude de mémoriser les objets et les individus simplement sur quelques détails significatifs. Il suffit de voir un chapeau, une oreille pour que votre esprit complète lui-même l’image inachevée pour que vous reconnaissiez la silhouette familière de monsieur Dupond. Habituellement vous avez raison, mais parfois, vous vous trompez.
Comme résultat de cette habitude mentale on observe relativement peu les détails. La plupart des gens ne peuvent pas vous dire si les nombres sur leurs montres sont romains ou arabes, si chacun des douze nombres est présent, ou si la marque est visible. Les faits sans importance et banals ne sont pas enregistrés par notre conscience.
Nous voyons ce que nous nous attendons à voir, et il est difficile de reconnaître quelque chose que nous ne sommes pas préparé à rencontrer. En supposant qu’un ours blanc soit dans la rue, en bas de chez vous, vous l’identifieriez probablement comme autre chose – un rocher blanc par exemple – au moins dans un premier temps. Mais si vous étiez à la poursuite d’un ours échappé d’un cirque, alors il est probable que vous l’identifieriez du premier coup d’œil. Un magicien jette une orange en l’air. Trois fois l’orange s’élève et retombe. Chaque jet est effectué avec des mouvements identiques. La quatrième fois, l’orange disparaît dans les airs… En fait, l’orange n’a pas été jetée en l’air la quatrième fois, mais la répétition des mêmes mouvements nous a trompés. Nous avons vu ce que nous nous attendions à voir et nous avons été dupés.
Les idées les plus répandues et les plus populaires, en ce qui concerne la magie sont souvent fausses. Lorsqu’un magicien vous dit qu’il n’a rien dans les manches, c’est le plus souvent vrai. Les manches ne sont que rarement utilisées dans les illusions. Il en est de même quant à l’utilisation de miroirs, de double-fond, de trappes dans le plancher. Plus vous êtes intelligent, plus il est facile de vous tromper. Il est plus difficile de tromper les enfants que les adultes. Finalement, plus vous êtes près du magicien et plus vous ferez attention à ses mouvements, plus vous serez ébahi lorsque le mystère aura opéré !
La croyance à propos de l’utilisation des manches a commencé au temps où les magiciens se produisaient dans des costumes de scène qui ressemblaient à des robes avec de larges manches. A cette époque, les artistes du style « un coup vous le voyez, un coup vous ne le voyez plus » pouvaient cacher plusieurs lapins et un bocal de poissons rouges dans leurs manches. Mais l’évolution de l’habillement a contraint les magiciens à changer leurs méthodes. Les magiciens modernes peuvent faire leur spectacle en maillot de bain s’ils le souhaitent. Les miroirs ont aussi été souvent utilisés par le passé, mais les contraintes des voyages et la fragilité du matériel a permit le développement de méthodes bien meilleures pour créer des grandes illusions.
Il est difficile de mystifier des enfants et des malades mentaux parce que leur connaissance générale est limitée, et leur attention ne peut pas être distraite ou pas dirigée par des suggestions qu’ils ne comprennent pas. N’ayez jamais honte si vous êtes dupé : cela montre seulement votre intelligence.
Supposons qu’un magicien fasse flotter une boule dans les airs. Il se réfère aux puissances du magnétisme et de l’énergie cosmique et il explique que les rayonnements mentaux sont la cause de ce prodige. Les adultes présents dans l’assistance peuvent avoir connaissance de la réalité de tels phénomènes, mais ne peuvent pas croire à ces suggestions, si bien que leur attention a été dirigée loin du normal et de l’évident, et ils recherchent alors une solution complexe de ce prodige. Les enfants, eux, ne prêtent aucune attention à ce boniment. Ils recherchent le crochet qui tient la boule en l’air, et si l’artiste ne fait pas attention ils risquent effectivement de la voir !
Les personnes intelligentes essayent d’expliquer ce qu’elles voient en termes de leur connaissance étendue des causes et des effets, et les remarques du magicien permettent de les confondre. Les enfants, eux, comptent sur l’observation directe car ils n’ont pas, ou peu, accès aux raisonnements abstraits. Quand le magicien montre du doigt quelque chose de l’autre côté de la scène, les adultes regardent dans la direction indiquée par le doigt alors que les enfants regardent le doigt. Plus un individu est intelligent, et plus il utilise son cerveau à la place de ses yeux. Ainsi il se trompe lui-même.
C’est pour cette raison fondamental qu’être près du magicien l’aide à vous tromper. Lorsque vous êtes tout près, il peut facilement tromper votre attention en vous regardant dans les yeux ou en vous montrant sa main gauche pendant que la droite est occupée à préparer le miracle. Les angles de visions sont plus larges à distance. Plus vous êtes loin du magicien et plus il vous est simple de voir ses deux mains.
Mais la vue n’est pas le seul sens dont le magicien doit se méfier. L’exemple de Fred Keating, faisait un spectacle devant le fameux violoniste Fritz Kreisler. Les musiciens sont toujours fascinés par la dextérité des manipulateurs et le célèbre Kreisler ne faisait pas exception. Il demanda à Keating de répéter une certaine disparition de pièce et il sourit en disant : « Je sais comment vous faites cela. La pièce est derrière vos doigts de votre main droite ! »
Keating fut ébahi. Il savait qu’il était impossible que le violoniste ait observé le vol de la pièce tellement cette manipulation était rapide. Il demanda : « Comment le savez- vous ? » Le violoniste lui répondit : « Je l’ai entendu. »L’oreille du musicien, entraînée à détecter les sons les plus légers avait réussi là ou les yeux ne voyaient rien.
Le détournement d’attention est possible grâce à la puissance de la suggestion. C’est un fait psychologique que la première impulsion des gens est de croire. Le doute est toujours secondaire. Et la puissance de la suggestion permet d’influencer de manière redoutable nos vies et nos opinions.
Un acteur utilisant la suggestion peut tromper des magiciens entraînés. Dans les années trente, un groupe d’une douzaine de magiciens professionnels de Chicago étaient allés voir Frederick Tiden, qui jouait le rôle de Cagliostro dans la pièce The Charlatan. Durant la pièce, Tiden faisait apparaître des fleurs et des foulards à partir de boîtes vides. Les magiciens savaient qu’aucun principe magique ou secret connus d’eux n’était utilisé par le comédien. Après le spectacle, ils invitèrent Tiden à dîner avec eux.
Tiden fut étonné lorsqu’il appris que ses tours avaient dupé les magiciens. Il leurs a expliqué que l’homme qui semblait le moins apte à l’aider – le bandit, un sceptique qui s’opposait constamment à Cagliostro – avait secrètement chargé les foulards et les fleurs dans les boîtes sous le prétexte de vérifier qu’elles étaient vides. L’idée selon laquelle Cagliostro et le bandit sceptique étaient des ennemis était tellement forte dans le jeu des comédiens, que les magiciens n’avaient jamais soupçonnés que les « ennemis » étaient complices pour créer ces miracles.
Lorsque la suggestion permet le détournement d’attention du public, le magicien est en position pour substituer un objet à un autre, ou pour faire apparaître ou disparaître des objets. Une action peut agir comme distraction pour une autre action dans le même timing. Par exemple, lorsque le magicien pose ou prend sa baguette magique, il peut en profiter pour obtenir ou cacher un autre objet dans sa main, au même moment. L’action de prendre la baguette magique masque la vraie raison qu’il a de s’approcher de la table.
« Donnez-moi toute votre attention », disait Harry Kellar le célèbre magicien du siècle dernier, « et un troupeau d’éléphants pourrait marcher derrière moi, que vous ne le verriez pas ». La maîtrise du détournement d’attention de Kellar est encore une légende chez les magiciens, mais néanmoins, il s’est laissé tromper au moins une fois, très astucieusement. Un matin, des prospectus avaient été distribuées dans tous les magasins de magie de New York, qui annonçaient qu’un magicien inconnu exécuterait la lévitation de sa partenaire à minuit le soir même sur la quarante-deuxième avenue. C’était apparemment une publicité pour un nouveau venu dans la profession et cela avait rendu Kellar furieux car cette illusion était son invention et il avait dépensé 50 000 $ pour la perfectionner. Montrer cette illusion en plein milieu de la rue ne pourrait que dévoiler son truc. Peu avant minuit beaucoup de magiciens, dont Kellar, étaient réunis dans la rue pour attendre l’événement. Minuit arriva, mais le magicien n’apparut pas. Une idée germa dans l’esprit de quelques sceptiques :
– « Nous sommes quel jour ? »
– « Le 31 mars » répondit Kellar
– « Non, il est plus que minuit, nous sommes le 1er avril. C’est un canular ! »
Le farceur dans la bande de magiciens ne fut jamais découvert.
Tous les tours peuvent être réduits à sept effets de base : disparition, apparition, transposition d’objets, modification physique d’objet, défi aux lois de la nature, mouvement sans raison et phénomènes mentaux. Dans la production de ces effets, la magie a suivi les progrès de la science. Beaucoup de tours modernes utilisent la radio-commande, l’électronique et les principes d’induction magnétique.
En plus de la misdirection, le magicien utilise deux autres méthodes de base dans la production de ses pseudo-miracles. Dans quelques grandes illusions de scène, l’oeil est trompé par une illusion optique – mais pas de la manière habituellement suspectée par le profane. Il y a, en fait, plus de trente méthodes de camouflage de scène, certains d’entre elles, très complexes. Ces secrets sont soigneusement gardés par la profession puisqu’ils représentent de forts investissements.
Le dernier principe est simplement l’utilisation de lois scientifiques peu connues ou plutôt, peu vulgarisées. Ces miracles fonctionnent tout seul. Quand l’artiste transforme l’eau en vin et vin en lait à l’aide de certains produits chimiques, il tire profit de ce principe.
Voici une illustration de ce principe : Sir Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes était aussi un défenseur ardent du spiritualisme et des phénomènes paranormaux. Il dupa un groupe de magiciens new-yorkais avec cette méthode. Il leur présenta sans commentaire un film remarquable de réalisme sur les dinosaures qui apparemment n’avait pu être obtenu que par des moyens paranormaux. La collection de photographies paranormales de Conan Doyle était fameuse et les magiciens pensèrent que c’était sa dernière acquisition.
Plusieurs mois plus tard le mystère fut dévoilé, lorsque le film The lost world (1925), tiré du roman de Doyle du même titre, est apparu dans les cinémas. Sir Conan Doyle avait obtenu un extrait du film avant que celui-ci ne sorte officiellement et avait ainsi pu mystifier les magiciens.
Lorsque l’illusion est honnête, il est amusant d’être mystifié. Le plus souvent nous souhaitons même être trompé et c’est là le principe le plus important de tous.
Mais rappelez-vous la prochaine fois que vous verrez un magicien : c’est votre esprit qu’il dupe, pas votre œil. En fait, c’est vous qui vous mystifiez vous-même.
Article extrait de The art of the honest deception de Vincent Gaddis (Strange Magazine, 2005). Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.