Est-ce que tu peux nous parler de ton enfance et de ta première rencontre avec la magie ?
Je suis né en 1998, à Montivilliers (Normandie) qui n’est autre que la ville de naissance d’Arthur Good, alias Tom Tit ! Cela aurait pu être un événement déclencheur pour débuter mais ma rencontre avec notre art s’est faite de façon bien plus classique, en regardant Le Plus Grand Cabaret du Monde à l’époque où il était encore programmé. Si je ne me souviens plus exactement du numéro en question ni de l’artiste, je sais que je faisais à chaque fois tout ce que je pouvais pour regarder l’émission où Dani Lary revenait à chaque fois présenter une nouvelle illusion. J’avais alors six/sept ans, et depuis mon amour pour la magie ne m’a jamais quitté. J’ai vécu toute mon enfance non loin de ma ville natale avec mes deux parents et ma sœur et ai suivi un parcours scolaire classique avec une attirance pour les sciences et ce jusqu’à l’obtention de mon diplôme d’ingénieur mathématiques.
Parle-nous de ta carrière professionnelle et surtout de ton cheminement, de ton évolution dans l’art magique.
Pour ce qui est de la magie, dès l’âge de mes six/sept ans et de ma première rencontre avec notre art, je me suis plongé corps et âme dans le moindre livre que j’ai pu trouver, la moindre mallette, la moindre information. Mes parents m’ont beaucoup apporté à ce niveau en faisant tout pour satisfaire mon goût de plus en plus prononcé pour la magie. Alors que je commençais à stagner et avoir fait le tour de ce que je pouvais apprendre par moi-même avec les livres « tout public », j’ai découvert un magasin de jouets et de magie qui était au Havre du nom de Pile & Face. C’est là-bas où j’ai trouvé des informations sur un club de magie qui venait d’ouvrir : Le cinq de cœur. J’en profite pour rendre hommage à son créateur, M. Leroux, qui en plus de s’occuper du don du sang avait créé cette petite structure pour partager la magie aux jeunes qui le voulaient avec de réels magiciens comme professeurs. C’est là où j’ai rencontré celui qui allait me transmettre sans compter, et ce pendant plusieurs années, tout ce qu’il connaissait : Alexandre Georges. En plus de progresser, je commençais à rentrer dans le cercle fermé des magiciens jusqu’à devenir membre FFAP avec pour amicale le Cercle Magique Robert-Houdin de Normandie. C’est aussi à cette période où je rencontre, lors de mes cours de magie, Florian Picot alias Florian Flop, avec qui nous montrons le duo Magic Fantasy. Un vrai ami doublé d’un très bon magicien avec qui on refait le monde (magique !) à chaque fois que l’on se voit !
D’où te vient cet amour pour le livre et pour l’histoire de la magie ?
Mes parents m’ont souvent amené au musée, et j’ai toujours aimé les vieux documents, les archives des bibliothèques, l’odeur du papier… est-ce dû à la grande bibliothèque de livres anciens présente dans le salon de chez mes parents ? Toujours est-il que je me suis naturellement mis à associer les deux lorsqu’un jour je me suis demandé s’il existait des livres anciens sur le thème de la magie. J’ai alors fait quelques recherches sur Internet, et ai réussi à trouver le livre Le magicien des salons. Ce fut le début de cette passion pour l’histoire de notre art, je voulais tout savoir, connaître les magiciens qui ont marqué leur temps, les techniques anciennes, et surtout mettre en valeur ce patrimoine. Je commençais alors à écrire des petits articles sur les quelques recherches historiques que je faisais, et me suis demandé un jour si cela intéresserait la Revue de la Prestidigitation pour les publier. J’ai donc contacté Armand Porcell qui à l’époque la dirigeait. Ce dernier m’a alors donné le contact d’un collectionneur moustachu qui serait plus à même de répondre à mes questions et de m’aiguiller dans mes recherches : Georges Naudet. Ce dernier m’a ouvert sans limite sa collection incroyable, et les soirées à découvrir des documents plus incroyables les uns que les autres chez lui resteront longtemps gravés. Je sais ce que je lui dois, et mesure la chance que j’ai de pouvoir le compter parmi mes amis proches. C’est également lui qui m’a donné de précieux conseils pour dénicher des documents, ou fait faire des rencontres avec notamment « la petite bande », et tous les autres amoureux de l’histoire/collectionneurs que je connais.
Comment est né Le Cabinet d’Illusions ? Quels ont été les acteurs principaux de ce projet ? Ses différentes étapes ? Les principales difficultés rencontrées ? Quel est ton rôle dedans ?
Comme je l’ai expliqué, j’ai toujours aimé écrire, que ce soit sur la magie mais pas seulement. Lorsque j’avais commencé mes recherches historiques, il fallait que je puisse au final les publier et force est de constater que les éditeurs en magie sont rares, et particulièrement sur l’histoire de la magie où l’on ne compte que Georges Proust qui fait un travail formidable. Mon amour pour le papier et les livres a naturellement convergé vers l’ouverture de ma maison d’édition en janvier 2021 : Le Cabinet d’Illusions. Le nom de l’entreprise est un clin d’œil au chien savant Munito sur lequel j’ai fait des recherches et publié un premier livre. L’artiste à quatre pattes réalisaient ses expériences dans un « cabinet d’illusions » à Paris… voici donc où j’ai trouvé le nom !
J’ai été, et suis toujours, seul à gérer ce projet de A à Z. Si mon amie m’aide régulièrement sur quelques points précis ou en me donnant plus généralement son avis, c’est bien moi qui gère tout le processus d’édition, allant des échanges avec le graphiste, l’imprimeur, l’auteur, assurant la distribution des commandes, etc. C’est une activité particulièrement chronophage, qui est doublée par mon emploi à temps plein à côté, et les débuts avaient été un sacré pari financier également, pour trouver des personnes intéressées par les livres originaux. C’est en effet là que se situe Le Cabinet d’Illusions : proposer des livres et des illusions que l’on ne trouve nulle part ailleurs et qui sont 100% originaux et créatifs !
Que propose Le Cabinet d’Illusions ?
Mon souhait avec Le Cabinet d’Illusions est de permettre au magicien de rendre possible la publication de leurs idées au travers des livres. C’est aussi une entreprise de conseil qui aide les magiciens professionnels à trouver de nouvelles idées. Je développe constamment des effets originaux pour des magiciens qui souhaiteraient avoir dans leur spectacle une illusion qui sorte de l’ordinaire.
Parle-nous des créations et des effets originaux que tu crées pour les magiciens et comment crées-tu de nouveaux tours ?
J’ai toujours adoré écrire, et depuis mes débuts dans la magie, j’ai constamment noté tous les effets un peu originaux que je trouvais, les principes que je découvrais, ou les phénomènes naturels que j’expérimentais. Parmi tout ça, je me suis rendu compte au fur et à mesure des années que certains effets avaient déjà été publiés, que certains principes avaient été utilisés, mais pas tous, loin s’en faut ! Je continue d’accumuler depuis maintenant presque dix-huit années des quantités de brouillons sur lesquels sont dessinés des illusions qui vont du plan de grande illusion, à l’effet de scène en allant jusqu’au tour de cartes. En général, je cherche surtout à trouver un effet qui soit surtout original et jamais fait, après je tente de trouver la méthode. Avec nombreuses notes que j’ai écrites depuis ces années, j’ai créé un petit répertoire de « principes » ce qui me permet souvent de piocher dedans pour réaliser ce tour dont je viens de trouver l’effet.
Dernièrement j’ai développé le tour Code, se basant sur les QR codes. De nombreux tours sont vendus sur le marché avec cet effet, mais aucun ne permettait, à ma connaissance, au spectateur de créer lui-même sa prédiction et son QR code, j’ai donc relevé le défi. C’est ce qui me plait dans la création, d’essayer de repousser un peu plus les limites. Une application pour téléphone est actuellement en cours de finalisation, et un principe redoutable de mentalisme est aussi en cours d’écriture. Enfin, je crée des illusions de scène, je présente les plans à certains magiciens professionnels pour lesquels je peux par la suite faire fabriquer l’effet sur-mesure.
Parle nous du Centre de Recherche sur la Prestidigitation ?
Comme je l’ai expliqué, je me suis intéressé très jeune à l’histoire de la magie. Cependant, force était de constater qu’il n’y avait, pour ainsi dire, aucun livre qui vulgarisait complètement l’histoire de la magie, ou en tous cas à des prix raisonnables pour l’enfant que j’étais à l’époque. Je tairais le nom de ce « collectionneur » qui m’avait fait remarquer que l’on ne pouvait pas prétendre s’intéresser à l’histoire sans avoir lu le Livre d’or de Robelly que je ne parvenais évidemment pas à trouver à cette époque. C’est à Georges Naudet que je dois mon exemplaire, lui l’ayant trouvé chez un libraire qu’il connaissait. Ce fut ma première victoire, de voir que certains étaient prêts, comme Georges, à m’aider contre d’autres bien moins partageurs. Je tairais encore une fois les noms, mais la mentalité de certains de refuser de montrer les documents rares qu’ils possédaient, ou d’empêcher leur mise à disposition m’a vraiment écœuré. Nous partageons un art magnifique, et les chercheurs/historiens ont besoin d’avoir accès aux documents d’époque, sans ça impossible d’effectuer de quelconques recherches. Je me suis donc mis en tête d’aider les « futurs jeunes », ceux qui seront dans la situation dans laquelle j’étais il y a quelques années quand je débutais dans la collection et la recherche. Pour cela, j’ai créé le Centre de Recherche sur la Prestidigitation sur lequel je numérise l’intégralité de ma collection qui grandit de jour en jour. L’ensemble du contenu est librement réutilisable et accessible (pour ce qui est des documents qui n’ont plus le « droit d’auteur », partager ne veut pas dire aller à l’encontre de la loi). Ce projet est sans cesse en train de grandir, et j’invite tous ceux qui partagent cette philosophie à me rejoindre.
Peux-tu nous raconter l’histoire, la genèse des livres que tu as écrit ?
Je peux vous raconter l’histoire du chien savant Munito qui fut le premier livre vraiment écrit seul et publié par Le Cabinet d’Illusions. Ce chien pouvait retrouver une carte choisie, jouait aux dominos contre son maître et parvenait à former des mots à l’aide de quelques cartons sur lesquels étaient inscrites des lettres ! J’ai également écrit des articles dans différentes revues et collaboré à plusieurs livres. Si je continue sur les livres dont je suis l’auteur, il faut que je mentionne un recueil de biographies (terminé depuis plusieurs années mais encore à paraître), un livre sur Bénita Anguinet que je co-écris avec Pierre Taillefer qui est sur le point de voir le jour et beaucoup d’autres livres en cours de préparation qui devraient paraître dans les années qui arrivent !
Comment s’est passé ta rencontre avec les autres auteurs ? Comment es-tu arrivé à gagner leur confiance pour éditer leurs livres ?
Il y a eu deux types de rencontres ! D’abord les rencontres que j’ai initiées, en demandant par exemple à Gérard Bakner de partager ses idées avec la communauté magique. J’étais ravi qu’il accepte et me fasse confiance pour la publication de ses livres. Je connaissais le travail de Gérard depuis déjà plusieurs années et souhaitais mettre en valeur l’homme trop humble qu’il est, par rapport aux idées géniales qu’il a eu, et qu’il continue d’avoir. D’autres m’ont fait confiance sur la base des livres que j’avais précédemment édité, ce qui m’a d’autant plus touché, comme Guillaume Pavot ou Jonathan Renoux, deux magiciens qui à chaque fois m’ont fait confiance et surtout m’ont fait le plaisir d’offrir aux lecteurs des livres originaux sur la magie. Je tiens sincèrement à tenir cette ligne éditoriale de livres au contenu différent pour diversifier les livres en français et propager la culture magique.
Fin octobre 2022, Le Cabinet d’Illusions a édité son premier tour de magie Code, peux-tu nous en parler et nous dire si l’expérience sera souvent reproduite ?
Depuis que j’ai commencé la magie, j’ai toujours écrit ce qui me passait par la tête. Au fil des années, les idées sont devenues de plus en plus nombreuses, et mon souhait est de pouvoir publier ces effets ou ceux d’autres magiciens avec mon entreprise, Le Cabinet d’Illusions. J’ai, au fil du temps, créé beaucoup de tours que je pense originaux, et les propose également aux magiciens professionnels que je conseille pour leur proposer des illusions sur-mesure, associées à leur spectacle.
Code est le premier tour que j’ai choisi de publier, et l’effet vient d’un constat simple : des tours de magie avec des QR codes ont déjà été publiés, mais ce qui me dérangeait était que le QR code était donné par le magicien. Cela devenait alors assez simple de faire une prédiction. Dans Code c’est cette fois le spectateur lui-même qui crée son QR code, et ce dernier renvoie alors sur la chose choisie au préalable. En plus de ce changement intéressant, le côté interactif et original de la chose en font un tour totalement nouveau. Il existe d’ailleurs également une version scène où l’impact est démultiplié. Code est donc le premier tour d’une longue série, série qui ne se contentera pas d’aborder le close-up mais bien d’autres genres de magie également, allant des effets visuels jusqu’à la grande illusion… !
Cite moi trois livres de magie que tu amènerais avec toi, si tu devais finir ta vie sur une île déserte ?
Sans hésiter la compilation des livres de Robert-Houdin. Ce fût un cadeau vers mes quinze ans, l’intégralité des écrits du maître blésois en condensé édité par Omnibus. Un livre de chevet que l’on peut emporter partout sans risquer d’abîmer les éditions originales de Robert-Houdin et qui regorgent d’idées, de scènes de vie, de conseils encore valables aujourd’hui. Mais je triche un peu en mettant l’intégrale des livres en un seul… ! Je prendrais aussi, avec moi : Le livre d’or de Robelly pour sa rigueur et aussi pour des raisons presque sentimentales, et finalement mon livre de chevet actuel pour pouvoir avoir enfin le temps de le terminer ! Il change régulièrement, mais je suis actuellement en train de dévorer le premier tome des Marchands de rêves de Philippe Saint-Laurent et Georges Proust.
Quels magiciens t’inspirent le plus ?
Si je regrette une chose c’est de ne pas avoir pu aller voir un spectacle de Siegfried & Roy de leur vivant. Les vidéos de leurs spectacles que j’ai pu voir me laissent rêveur, et sont pour moi une immense source d’inspiration. Du côté close-up, je me dois de mentionner Bébel pour les français et Dani Daortiz ou Juan Tamariz pour l’école espagnole. J’aime également énormément David Stone qui ne cesse de trouver de bonnes idées, ainsi que Dani Lary notamment pour l’atmosphère des illusions qu’il présente.
En dehors de la magie, quels arts, quelles œuvres et quels auteurs t’ont particulièrement inspiré ?
Je suis d’un naturel curieux et aime beaucoup l’art en général quel qu’il soit. Mais si je ne devais retenir que quelques œuvres je citerais sans hésiter Le petit prince qui est un chef-d’œuvre qui m’a profondément touché. Les essais de Montaigne, notamment celui où il parle de son amitié avec La Boétie m’ont beaucoup marqué et j’ai la chance inouïe de compter de bons amis dans mon entourage, et d’avoir une amitié qui est au moins égale à celle que Montaigne détaille dans son écrit. Enfin, pour citer les arts graphiques, j’aime beaucoup le travail de Dali et de Magritte dont les paysages et personnages continuent de m’inspirer.
Quels sont tes futurs projets ?
Le Cabinet d’Illusions a déjà un agenda de publications bien rempli, et plusieurs auteurs sont intéressés pour faire éditer leur livre. Il y aura très prochainement plusieurs livres sur l’histoire qui devraient sortir, mais surtout des tours inédits et des illusions originales qui devraient pointer le bout de leur nez pour les magiciens que cela intéresse. A suivre donc… !
Bibliographie Le Cabinet d’Illusions (des fiches livres seront régulièrement ajoutées)
- Complément à la conférence sur le spiritisme de Jules Dhotel (juillet 2020)
- MUNITO, le chien savant de Thibault Ternon (avril 2021)
- Le magicien boiteux de Guillaume Pavot (juin 2021)
- BAKNER de Gérard Bakner (juin 2022)
- Spectacle en couleurs de Jonathan Renoux (septembre 2022)
- Nulle part ailleurs de Gérard Bakner (mars 2023)
- BAKNER 2 de Gérard Bakner (septembre 2023)
- Bénita Anguinet, la première magicienne de Pierre Taillefer et Thibault Ternon (octobre 2023)
- Le magicien orange par Jimmy Delp (décembre 2023)
À visiter :
Interview réalisée en novembre 2022. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Thibault Ternon, Le Cabinet d’Illusions. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.