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Robert WILSON

(1941- 2025)

Philippe DU VIGNAL

Bob Wilson, né en 1941 à Waco (Texas), est mort le 31 juillet à quatre-vingt-trois ans, d’un cancer à Water Mill (État de New York), le grand laboratoire de spectacles et de résidences d’artistes qu’il avait lui-même conçu en 1991 et où il habitait, quand il ne faisait pas de mises en scène dans le monde entier. Avec lui – le plus jeune des trois – s’en va le dernier géant du XXe siècle, après le dramaturge et metteur en scène polonais Tadeusz Kantor (1921-1990) et la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009). À eux trois, ils révolutionnèrent le spectacle contemporain.

Bob Wilson était, comme eux, un créateur à part entière de ses spectacles. Metteur en scène, scénographe, dramaturge, vidéaste et sculpteur, il avait commencé par suivre trois ans des cours d’administration des affaires, ce qui lui fut ensuite bien utile pour diriger ses grosses productions… Dénominateur commun avec le créateur polonais et la chorégraphe allemande, il voulait, assoiffé de perfection, tout assumer jusqu’au moindre détail scénique. Mais il savait déléguer et s’entourer des meilleurs artistes et techniciens.

Robert Wilson en 2011 au Théâtre de la Ville à Paris (Photographie : Lucie Jansch – Théâtre de la Ville)

Artiste d’avant-garde new-yorkais vers 1970 devenu mondialement célèbre après Le Regard du Sourd, il était peu connu, voire pas du tout aux États-Unis. Comme des dizaines de millions d’Américains, Donald Trump n’a sans doute jamais entendu parler de lui, ni vu un de ses spectacles. Mais Bob Wilson a été vite adopté en France où il créa nombre de ses œuvres théâtrales et opéras comme en Europe, puis dans le monde entier. Bob Wilson étudie trois ans l’administration des affaires à l’université du Texas. Puis en 1963 – il avait vingt-deux ans – il va à New York suivre des cours de peinture et sculpture, puis en Arizona, deux d’architecture avec Paolo Soleri. Mais il s’intéresse aussi à la chorégraphie sous l’influence de Martha Graham et rencontre en 1966 son ami Andy de Groat, mort en France il y a six ans, et dont il partagera la vie quelques années… Ce travailleur infatigable, jamais à court d’invention, travailla à New York dans des ateliers de théâtre avec des enfants cérébralement handicapés.

Il faut rappeler ce parcours de vie personnelle et artistique, essentiel pour comprendre comment sont nés ses premiers spectacles et les suivants : peinture, architecture, lumières et une remarquable sculpture de l’espace comme on n’en n’avait jamais vue sur un plateau. Mais il aimait aussi dessiner des meubles minimalistes dont on voyait parfois quelques exemplaires (tables, et chaises dont il avait toute une collection). Il avait une fascination pour le langage visuel et oral mais aussi pour l’art du silence, du mouvement et de la répétition gestuelle et musicale qui seront ses marques de fabrique. Il créa aussi quelques performances, comme celle que nous avions vue à Bruxelles où il dirigeait Christopher Knowles, un jeune artiste qui, répétait sur une petite scène chaque soir, sans jamais commettre la moindre erreur, nous avait-il-dit, le même texte très compliqué, à base de phrases répétées, qu’il avait écrit. Et cette fonction mentale du langage fascinait Bob Wilson.

 En 1968, Bob Wilson crée la Byrd Hoffman School of Byrds (du nom de celui qui l’avait aidé, adolescent, à guérir d’un bégaiement). Et avec Andy de Groat, il crée en 1969 à New York, The King of Spain, The Life and Times of Sigmund Freud. Des œuvres saluées par quelques critiques… Trois ans plus tard, avec Andy de Groat et la danseuse et actrice Sheryl Sutton, il crée Deafman Glance à Iowa City. Ce désormais célèbre Regard du Sourd sera invité par Jack Lang au festival de Nancy où nous avions vu la première : « Il a bouleversé l’art de la scène, a-t-il dit aujourd’hui. » Effectivement, cela a été un tsunami, provoqué par un Texan de vingt-huit ans, encore inconnu et qui n’était pas, à l’origine, metteur en scène de théâtre.

Le Regard du Sourd de Robert Wilson présenté pour la première fois en France, en 1971, au Festival de Nancy

Un spectacle exceptionnel et merveilleux de sept heures, de 21 h jusqu’au petit matin, de ceux qu’on ne voit qu’une fois dans une vie de critique. Des souvenirs ? Oui, même après un demi-siècle… Au début, où un grand jeune homme (lui-même) en queue de pie, disait simplement avec une impeccable diction : « Ladies and gentlemen, ladies and gentlemen, ladies and gentlemen… », mais de moins en moins fort, jusqu’à devenir inaudible. Le rideau se levait alors et ensuite, plus un mot : commençait un spectacle muet aux images somptueuses d’inspiration surréaliste, avec parfois, des animaux. Un homme entrait régulièrement en courant sur le plateau côté jardin et en sortait côté cour, sans se préoccuper de la scène muette qui s’y jouait. Puis en ressortait dix minutes après dans l’autre sens…
Aucun scandale dans la salle, bourrée pleine de jeunes gens étonnés mais très admiratifs. Trois entractes mais aucun signal pour annoncer la reprise comme si la vie continuait simplement. À côté de nous, Bernard Dort, grand spécialiste de Bertolt Brecht et qui avait été notre remarquable prof en études théâtrales à la Sorbonne et son ami Gilles Sandier, éminent critique, eux regardaient, indifférents, les scènes se succéder mais surtout discutaient entre eux. Plusieurs années après, Bernard Dort à qui je rappelais cette histoire, avoua qu’il avait eu tort de ne pas avoir été sensible à ce chef-d’œuvre absolu qui avait enthousiasmé Aragon.

Pas de récit mais un étirement du temps vécu par un enfant sourd sur un plateau désert, avec, au fond des toiles peintes, ce qui à l’époque, ne se faisait plus. Et toujours, une place prépondérante offerte à la musique. Aucune logique apparente mais jouée par une cinquantaine d’interprètes, une succession d’images fabuleuses et parfois cruelles. En leitmotiv, un personnage en longe robe noire, un corbeau posé sur son bras, aussi insolite qu’énigmatique, avec un couteau à la main qui allait tuer un petit enfant… Peu de traces mais il existe une vidéo de quelques minutes à l’I.N.A.

Dix ans avant, notre marraine nous avait emmené encore adolescent, voir avec son mari, un spectacle de Marcel Marceau au Théâtre de l’Ambigu. Il y avait, avant les fantaisies de Bip, son personnage fétiche, un conte d’Extrême-Orient assez hermétique auquel le public ne comprenait rien. À l’entracte, dans le hall du théâtre, le mari en question expliqua, lui, le scénario à une dizaine de personnes qui buvaient ses paroles : il était atteint de surdité totale… Quelle leçon de théâtre ! Je ressentis, des années après comme un prélude et un clin d’œil artistique à ce Regard du Sourd qui rendit vite célèbre Bob Wilson.

Nous ne pouvons citer tous les spectacles de lui, que nous avons pu voir. Mais en 1974, il crée au festival de la Rochelle, Lettre pour la reine Victoria, un remarquable opéra avec de la musique classique par Alan Lloyd avec Stefan Brecht, le fils de Bertolt. Avec un titre et un thème issu de The Life and Time of Joseph Stalin (La Vie et la Dimension temporelle de Joseph Staline) qu’il avait présenté cette même année à l’Académie de Brooklyn. Cette lettre qui avait été adressée à la Reine Victoria est le point de départ de cet opéra.

L’année suivante, il crée au festival d’Avignon Einstein on the Beach, un opéra dont la musique répétitive est écrite par Philip Glass, et la chorégraphie par Lucinda Childs. Rien à voir, bien sûr, avec le grand scientifique mais une œuvre d’une beauté, d’une invention et d’une unité exceptionnelle qui sera vite connue dans le monde entier. Puis Bob Wilson conçoit un long spectacle pour les Jeux olympiques d’été en 1984, The CIVIL warS: A Tree is best Measured when it is down (On mesure mieux un arbre quand il est à terre) dont une partie seulement sera jouée au Théâtre de la Ville à Paris.

En 1990, Bob Wilson crée Le Roi Lear de William Shakespeare à Francfort-sur-le-Main, Le Chant du cygne d’Anton Tchekhov à Munich, une adaptation d’Orlando de Virginia Woolf à Berlin-Ouest et The black Rider: The Casting of the magic bullets, une collaboration de Wilson, Tom Waits et William S. Burroughs, à Hambourg. En 1998, il fait une remarquable mise en scène au Stockholms Stadsteater du Songe d’August Strindberg que nous avions pu voir en 2000 au Théâtre National de Chaillot. A ma demande, il avait été tout à fait d’accord pour recevoir quarante minutes les élèves de l’Ecole qu’alors, je dirigeais, et ceux de la section scénographie des Arts Déco. Il répondait avec une rare gentillesse aux questions. Un cadeau royal… de ceux qu’on n’oublie jamais. Il nous avait proposé d’assister toute une journée à une répétition de Médée de Marc-Antoine Charpentier, à l’ancien Opéra de Lyon qui n’avait pas encore été rénové et malgré des structures lumières et son assez obsolète, il avait réussi son pari. Bob Wilson était d’une rare exigence, quand il dirigeait la gestuelle de la cantatrice. Mais il avait compris après vingt minutes et malgré tous ses efforts à elle qu’il ne pouvait lui demander de tenir le bras levé dans la position exacte qu’il souhaitait.

Bob Wilson a fait de nombreuses mises en scène au Metropolitan Opera, la Scala, l’Opéra Bastille. C’est une partie moins connue de son œuvre mais il a aussi créé des sculptures et des meubles dont la vente servait à financer en partie ses spectacles. Il a aussi réalisé de nombreuses vidéos connues sous le nom de Voom Portraits. Passant d’un continent à l’autre, il avait une boulimie de travail et en 2004, il mit en scène avec grand succès Les Fables de La Fontaine… à la Comédie-Française. Et deux ans plus tard Quartett d’Heiner Müller, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, avec Ariel Garcia-Valdès et Isabelle Huppert.

Puis, ce fut en 2010, Oh! Les beaux jours de Samuel Beckett, au Théâtre de l’Athénée – Louis Jouvet et un an après Lulu de Frank Wedekind au Théâtre de la Ville avec le Berliner Ensemble, musique de Lou Reed. Et encore La Dernière Bande de Samuel Beckett, à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet. Nous avions été moins convaincus par les spectacles qui suivirent. Le vocabulaire scénique : lumières où il était un maître incontestable, son, musique, costumes était toujours aussi remarquablement maîtrisé mais toujours pressé, il confiait le plus gros du travail à des assistants et s’auto-académisait en appliquant des recettes qui avaient bien fonctionné dans les opus précédents. Peter Pan (2013) de James Matthew Barrie avec le Berliner Ensemble. Ou l’année suivante, Les Nègres de Jean Genet, à l’Odéon -Théâtre de l’Europe. Mais L’Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi, à l’Opéra Garnier fut un succès. Comme la reprise en 2015 de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, à l’Opéra Bastille. Il y a six ans, Jungle Book, au 13ème Art pour le Théâtre de de la Ville à Paris, était malheureusement sans grand intérêt et ennuyeux.  Il ne lui ressemblait en rien.

Et Pessoa, Since I’be been, vu l’an passé, malgré ses grandes qualités plastiques, des lumières raffinées et une exceptionnelle direction d’acteurs, ne fonctionnait pas tout à fait. Comment faire passer les écrits de Fernando Pessoa sur un plateau ? Mission presque impossible et il y avait ici comme une dichotomie entre images et texte.

Cela dit, merci Bob Wilson pour toute la beauté que vous aurez apportée. Vous resterez comme un grand artiste et un maître incontestable du théâtre contemporain. Les œuvres de Pina Bausch continuent à être dansées mais celles de Tadeusz Kantor ne sont plus jouées : sans lui et ses acteurs fétiches, ce serait impossible. Ce qui risque d’arriver aussi à celles de cet immense créateur. Enfin Clément Hervieu-Léger, maintenant à la tête de la Comédie Française, serait bien avisé de reprendre ses Fables de la Fontaine…

À lire :

  • RELATIVE CALM
  • MARY SAID WHAT SHE SAID
  • LE COURONNEMENT DE POPPEE
  • THE OLD WOMAN
  • LES NEGRES
  • PETER PAN
  • PESSOA

Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Lucie Jansch – Théâtre de la Ville / S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.

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    Mise en scène, scénographie et lumière : Robert Wilson. ...
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