Ce document intéressant montre que trois ans après l’ouverture de son Théâtre, Jean Eugène Robert-Houdin à une notoriété importante. Dans son théâtre, Robert-Houdin faisait fonctionner un de ses automates qui mettait en scène « Auriol et Debureau ». Etait-ce le fils de celui-ci qui avait inspiré Robert-Houdin ou était-ce le vrai Auriol. Les historiens nous répondront certainement.
Candidature d’Auriol, Profession de foi politique, imprimerie de Mme Bouchard-Huzard, Paris, 1er juin 1848.
ÉLECTEURS DE PARIS,
Tous, tant que nous sommes, propriétaires, locataires, négociants, boutiquiers, marchands, ouvriers, entrepreneurs, artistes, chanteurs, médecins, avocats, danseurs et sauteurs, depuis le 34 février, nous sommes tous républicains de principes ou de conviction.
Les légitimistes ont disparu, les philippistes se sont évanouis et les derniers bonapartistes sont venus d’eux- mêmes s’enterrer à la chambre.
En France donc aujourd’hui, dans les villes comme dans les campagnes, dans les châteaux comme dans les chaumières, on ne trouve plus que des partisans de la république tous très-francs et infiniment sincères.
De royalistes, il n’en existe plus. Beaucoup d’honnêtes gens, pour passer brusquement du blanc ou du quasi-blanc au tricolore, ont été obligés de faire un de ces tours de force extraordinaires, dont moi, l’homme aux sauts les plus périlleux, je ne me serais pas senti capable. Mais enfin le tour a été fait et, comme il doit profiter à la nation, j’ai applaudi avec bonheur et sans la moindre jalousie.
Toutefois sauter n’est pas leur métier et c’est le mien. Je ne crois donc aucun d’entre eux aussi digne et aussi capable que moi de représenter à l’Assemblée nationale la classe intéressante des équilibristes, cabrioleurs, sauteurs et clowns français.
Permettez-moi donc de solliciter vos suffrages. Après avoir successivement, sauté pour cinq ou six Majestés mortes aujourd’hui et une douzaine de Majestés à peu près mourantes, je ne serais pas fâché de sauter un peu pour le peuple, la seule Majesté qui se porte bien.
Ouvrez-moi donc, citoyens, le théâtre qui convient le mieux en ce moment à mes exercices acrobatiques. L’ex-salle de l’ex-chambre des ex-députés eût été trop étroite pour mes cabrioles. Mais la baraque en planches que la nation doit au génie de l’ex-gouvernement provisoire et qui ne sera pas la moins glorieuse ni la moins durable de ses fondations, semble avoir été disposée tout exprès pour ouvrir une carrière nouvelle aux plus surprenantes évolutions.
Si la nature et l’étude, m’avaient fait prestidigitateur, jongleur et escamoteur, je demeurerais, en ce moment à l’écart et dans l’ombre : la France sait, par une longue et désastreuse expérience, combien est funeste, au point de vue du budget, la race des Philippe, des Comte et des Robert-Houdin. Elle ne veut plus de ces gens dont toute l’habileté consiste à souffler sur les finances et à les faire disparaître comme des muscades.
Mais un acrobate, un sauteur, un homme qui pour conserver la liberté de ses mouvements est forcé de ne jamais rien avoir ni dans les mains ni dans les poches, est par le temps qui court, digne, au premier chef de la confiance de tout électeur économe et intelligent.
Si cette garantie de moralité ne paraissait pas à quelques-uns d’entre vous un titre suffisant, je ferais valoir comme considération politique, mon incomparable légèreté, ma mobilité vraiment prodigieuse.
A l’heure où nous sommes, qui sait, hélas ! Si je ne porte pas les destinées de la république dans la force de mon cou-de-pied et la souplesse de mes jarrets ? Oui, soyez-en convaincus. Celui qui, d’un seul bond, peut s’élancer de l’extrême droite au sommet de la gauche et de là s’abattre dans les plus basses régions du centre, peut aussi dans les circonstances les plus décisives, disposer à son gré de la majorité et devenir le régulateur suprême de la fortune de son pays.
Citoyens, je ne voudrais pas vous faire faire un mauvais pas en m’accordant vos suffrages. Vous ferez un choix qu’approuveront tous les hommes du mouvement à la tête desquels j’ai toujours marché.
P.S : Les 25 fr, adjugés par le gouvernement à tous les membres de l’Assemblée nationale ne m’ont pas déterminé à la démarche que je fais auprès de vous. Je les recevrai cependant avec plaisir aussi longtemps que la nation pourra les payer. C’est sauter pour rien que sauter pour elle a ce prix.
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