Vous me voyez aujourd’hui, chers lecteurs et non moins chers confrères, absolument navré du résultat des dernières élections, surtout en ce qui me concerne personnellement. Comme, en résumé, l’événement que je déplore le plus amèrement, n’a eu qu’un retentissement plutôt discret, je crois bon de faire savoir ici, à ceux qui l’ignoraient, que je m’étais porté candidat aux dernières élections. En raison des quelques connaissances que je possède en prestidigitation, je me croyais très qualifié pour les délicates fonctions que j’ambitionnais de remplir. Les électeurs en ont décidé autrement, ils m’ont carrément renvoyé à mes chères études. Que ma défaite leur soit légère. Je veux cependant, à titre de protestation, mettre sous vos yeux l’éloquente profession de foi que, selon l’usage, j’avais fait afficher partout, et même ailleurs. On verra par l’excellence de la pièce ci-dessous, combien il faut que les électeurs soient peu soucieux de leur propre intérêt pour avoir préféré donner leurs suffrages à un tas de gens qu’ils ne connurent, en somme, pas plus que moi. Enfin ! Voici le morceau :
« Chers Concitoyens, au moment où la France frémissante va, d’une main ferme, élever sa puissante voix, je viens vous demander les vôtres. C’est avec un oeil fixé sur le passé et l’autre sur l’avenir, que je regarde le présent, pour vous exposer ma manière de voir. Ayez confiance en moi. Tout est la ! Ne croyez pas, qu’à l’instar de mes nombreux concurrents, je viens ici vous débiter d’audacieux boniments et chercher à faire passer avec subtilité la muscade de ma candidature sous le gobelet de la simulation, pour escamoter vos suffrages en essayant de vous donner le change sur mes véritables intentions. Ce n’est pas avec l’aide de tels procédés que je veux entrer en scène, pour y jouer avec quelque prestige le rôle qui m’incombera dans la représentation nationale. Assez d’autres sans moi chercheront à vous tromper à ce sujet. Chacun d’eux a son petit drapeau avec lequel il cherchera à vous empaumer et à vous entraîner dans la trappe de leurs fallacieuses promesses. Ils ont certainement plus d’un tour dans leur sac à malices. C’est un mystère qui n’est un secret pour personne. Mais vous ne vous laisserez pas faire la carte forcée, ce serait
une mauvaise charge. Aussi, grâce à vous, et malgré toutes leurs ficelles, il y aura du tirage. Leur élection ne tiendra même pas à un fil si vous manipulez avec adresse votre carte d’électeur et savez la lancer avec dextérité, afin de les faire filer au plus vite.
Si, comme j’en suis certain, vous mangez autre chose que du trèfle, et savez agir en hommes de coeur, vous les obligerez à rester sur le carreau, autrement ils vous feraient des lois qui seraient fichues comme L’as de pique. Il ne faut pas, citoyens, vous laisser hypnotiser par la magie des grands mots qu’ils emploieront pour arriver à l’enlevage de vos votes. Tout ce qu’ils disent n’est pas l’exacte transmission de leur pensée. Ils opèrent trop facilement la substitution de leurs promesses.
Les différentes idées qu’ils émettent ne constituent qu’un faux mélange destiné a vous produire de perfides illusions. Mais je pense, citoyens, que vous n’êtes pas des automates. Ma confiance en vous est assez profonde pour que je sois assuré du succès. Il suffira pour cela que vous vous en Méliès sérieusement. Et nous réussirons, car avec moi, citoyens, il n’y a rien de préparé. Ma candidature n’est pas à double fonds. Je ne prétends pas faire des miracles, mais soyez certains que je saurai faire marcher le gouvernement à la baguette sans jamais reculer devant la multiplication de mes efforts. C’est pourquoi j’espère que ma candidature sera prise en considération. Je veux être le fidèle Servant de la République et ne permettrai jamais qu’elle soit traitée en Servante. Soyez aussi persuadés, citoyens, que je ne passerai pas mon temps à la buvette, à faire sauter la coupe de Champagne à la santé de mes électeurs et vous apprécierez, j’espère, cette qualité aussi morale que physique. Je songerais plutôt à l’apparition d’une ère nouvelle, à la diminution des impôts, ne pouvant, hélas, espérer leur complète disparition. En ce qui concerne les fonds publics, je n’admettrai jamais aucune espèce de prestidigitation, c’est là un jeu que je ne saurais tolérer, et au lieu de contribuer à faire sortir indument les pièces de monnaie de vos poches, je veux au contraire y faire entrer une pluie d’or. C’est alors que je pourrai sans feinte m’écrier avec quelque fierté : Vous le voyez Messieurs, l’expérience a parfaitement réussi ; et la meilleure preuve, c’est que grâce à moi vous n’aurez jamais vu maquiller un aussi beau truc ! »
Eh bien, ils m’ont blackboulé. Pas de commentaires, n’est-ce pas ? Ah ! Ils sont jolis les électeurs, je les retiens. Si encore je faisais un peu d’alchimie, je pourrais au moins les utiliser comme fourneaux.
E. Raynaly
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