Conception et mise en scène Alice Laloy. Chorégraphie Cécile Laloy. Scénographie Jane Joyet. Musique Éric Recordier. Costumes Cathy Launois, Oria Steenkiste, Maya-Lune Thieblemont. Accessoires Antonin Bouvret, Benjamin Hautin, Maya-Lune Thieblemont. Conseil contorsion Lucille Chalopin, Lise Pauton. Assistanat à la chorégraphie Claire Hurpeau
Un spectacle exceptionnel d’intelligence et de sensibilité dont la créatrice, un marionnettiste détourne habilement le mythe de Pinocchio, le héros du célèbre conte de Carlo Collodi. Alice Laloy, qui s’est nourrie des arts de la contorsion inscrits au patrimoine culturel de la Mongolie où elle a mené une recherche photographique, se demande « à quoi ressemble, dit le corps de l’enfant-pantin quand il passe, de son corps de bois, à son corps de chair ? J’imagine qu’il existe une infime fraction de temps où on ne sait plus si on est face à un pantin ou face à un enfant. » Dans une scénographie bi-frontale pour quelque trois cent spectateurs, arrive sur le plateau un drôle de praticable à roulettes – qui fait penser un peu à celle d’Où sont les neiges d’antan ? de Tadeusz Kantor. Avec un gros compresseur rouge à air, cette machine conduite par de jeunes interprètes, un tambour et une percussionniste avec autour, dix enfants qui crient et courent, joyeux, très à l’aise… Mais un violent coup de gong annonce la fin de la récré et ils ressortent tous en courant.
Leur succèdent marchant très lentement, dix jeunes gens en blouse gris-vert (cinq filles et cinq garçons) et des cothurnes d’une quinzaine de centimètres. Ils entrent chacun avec un praticable à roulettes identique pour tous qui s’avère être un établi démonté avec une chaise… Qu’ils vont remonter en silence avec un maillet en bois – le spectacle est absolument muet… Dans un rituel d’une précision absolue et quasi religieux sur la musique ensorcelante d’Eric Recordier.
Puis reviennent les dix enfants cette fois en barboteuse blanche immaculée qui vont s’allonger chacun sur un des établis et sous l’éclairage très cru de grands plafonniers. Ces jeunes un peu mécaniciens mais aussi un peu chirurgiens, munis d’une trousse à outils, vont d’abord couvrir très minutieusement le corps de ces enfants avec une poudre-crème blanche dispensée par un pistolet à air branché sur un tuyau relié au compresseur rouge.
Puis ils leur coudront de longs fils noirs à même la peau (bravo le trucage, on y croit) et leur placeront ensuite de faux grands yeux. Une spectatrice qui, visiblement ne supportait pas la chose, a aussitôt quitté la salle… Le public lui, est fasciné envoûté par tant de beauté comme celle des spectacles du grand marionnettiste américain Robert Anton qui se livrait à une opération de décervelage sur de très petites marionnettes et dont Alice Laloy semble s’être inspirée.
Ces enfants-pantins restent absolument immobiles sur chaque établi. On pense à ces beaux moulages de victimes dans l’attitude où la mort les a surpris lors de l’éruption du Vésuve. Réalisés par l’archéologue Giuseppe Fiorelli qui fit couler du plâtre dans les vides laissée par la cendre. Sans doute une autre source d’inspiration d’Alice Laloy dont ce spectacle participe à la fois du théâtre mais aussi de la sculpture, de l’environnement mais aussi de la performance au meilleur sens du terme. Rendus à eux-mêmes sous un autre costume mais toujours affublés de leurs fils noirs, les dix enfants se lanceront dans une très remarquable ronde joyeuse où viendront les rejoindre leurs dix « opérants » qui – on le sent et c’est très émouvant – ont beaucoup de complicité et d’amour pour eux quant à la fin, ils en tiennent un chacun dans leurs bras.
La composition sonore d’Éric Recordier, la mise en scène et l’interprétation des enfant-danseurs du Centre National Chorégraphique de Strasbourg Pierre Battaglia, Stefania Gkolapi, Martha Havlicek, Romane Lacroix, Maxime Levytskyy, Rose Maillot, Charlotte Obringer, Nilsu Ozgun, Anaïs Rey-Tregan, Edgar Ruiz Suri, Sarah Steffanus, Nayla Sayde et des jeunes acteurs Alice Amalbert, Jeanne Bouscarle, Quentin Brucker, Esther Gillet, Leon Leckler, Mathilde Louazel, Antonio Maïka, Jean-Baptiste Mazzucchelli, Louise Miran, Valentina Papic, Nina Roth, Raphaël Willems, tous issus du Conservatoire du Centre Dramatique National de Colmar mais aussi des jeunes percussionnistes Norah Durieux et Eliott Sauvion Laloy, la scénographie de Jane Joyet, la réalisation des établis par les ateliers du T.N.P. à Villeurbanne, les costumes d’Oria Steenkiste, Cathy Launois et Maya-Lune Thieblemont, les lumières de Julienne Rochereau : tout ici est d’une qualité exceptionnelle.
Il y a bien entendu, derrière, un important travail de recherche et de répétition qu’il faut saluer, pour que cette grande machine à jouer fonctionne aussi admirablement et sans aucun à-coup. Chapeau donc à Alice Laloy et à toute son équipe… Le public a fait une longue ovation à ce spectacle mais qui s’est joué quatre jours seulement en Avignon. En tout cas, les parisiens dont vous serez peut-être, ne le regretteront pas.
Source : Théâtre du Blog.
Crédit photos : Christophe Raynaud de Lage. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.