Prélude
À tout juste trente et un ans, Pierre-Marie Charpentier a déjà une carrière artistique remarquable ; Monsieur Loyal au Festival International du Cirque de Massy, assistant du directeur de la création du célèbre parc Le Puy du Fou en Vendée, il a également travaillé à la direction artistique du Cirque Phénix. Et depuis peu, il œuvre au Parc Disneyland Paris pour la conception d’un nouveau spectacle.
Vous avez été formé à l’Institut National des arts du Music-hall (INM Le Mans), pourriez-vous nous expliquer comment s’est déroulée votre formation et si vous aviez déjà eu l’opportunité, plus jeune, d’appréhender d’autres formes d’arts vivants ?
En réalité, j’ai commencé dans une production de spectacles La Flambée, qui est une salle dédiée au music-hall. Au sein de leurs locaux, il y avait deux écoles, l’une pour les amateurs Quai de scène et l’autre professionnelle l’Institut National des arts du Music-hall. Je regardais régulièrement la revue de cette production chaque 31 décembre sur la chaîne télé locale Le Mans TV, et c’est par hasard que j’ai appris un jour que des comédiens amateurs faisaient également partie de cette revue. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’opportunité de participer à une revue professionnelle. Cette école est une excellente formation puisqu’elle allie apprentissage la semaine et mise en pratique le week-end ; de plus nos enseignants de la semaine étaient nos partenaires de scène le week-end.
Les métiers de la création artistique étaient-ils vos premiers choix, ou aviez-vous un autre objectif plus personnel qui vous tenait à cœur ?
Depuis l’âge de trois ans, j’ai envie d’être clown. À dix-huit ans, j’ai contacté la production de La Flambée en leur soumettant ma proposition artistique. J’ai alors passé une audition et, suite à cela, on m’a proposé de rentrer dans l’école amateur. Mon apprentissage au sein de cet établissement m’a permis de faire la rencontre de Martin Heuzard, lui aussi élève, qui est ensuite devenu l’un de mes meilleurs amis. Nous sommes même sortis majors de la promotion ! Ensemble, nous avons fait des tournées en Europe, nous conduisant dans les plus grands festivals de cirque. Nous avons même gagné la médaille de bronze à deux reprises dans un festival ukrainien avec notre entrée phare L’escabeau entremêlant gags et cascades, mais aussi à Riga en Lettonie au Golden Karl.
Tout comme les magiciens, la persuasion est essentielle dans la présentation des numéros de cirque, comment abordez-vous en amont votre rôle de Monsieur Loyal ?
Mes textes sont préparés bien longtemps à l’avance, car en général j’écris une première version « un fond de sauce » si je puis dire. Je commence par faire des recherches sur les pays d’où viennent les artistes engagés, sur l’univers des numéros, etc. L’année dernière à Massy, il y avait le numéro d’une écuyère (Erika Togni) qui faisait de la voltige équestre en ballerine comme dans le célèbre tableau de Toulouse-Lautrec. Je me nourris de la peinture, du cinéma, du théâtre pour construire mes textes et offrir au public la présentation la plus pertinente possible. Mon imagination fonctionne par association d’idées, je laisse reposer, puis je reviens dessus deux, trois mois plus tard. Soit je comprends ce que j’ai souhaité dire au départ, soit cela me paraît flou et je retravaille mon texte jusqu’à obtenir le texte le plus parfait possible. Lors des répétitions, chaque critique constructive me permet d’affiner mon rôle de Monsieur Loyal, véritable fil rouge du Festival International du Cirque de Massy. L’actualité aussi est une véritable source d’inspiration, car n’oublions jamais que le cirque doit toujours être en phase avec la société, tout en conservant les fondements historiques que sont notamment la comédie et l’acrobatie. À titre d’exemple, lors de la précédente édition en février 2024, Jimmy Navratil (jongleur utilisant des raquettes et des ballons de football) dans son numéro singulier, m’a inspiré l’introduction suivante « 2024, année des jeux olympiques pour la France. Les artistes de cirque sont souvent comparés à des sportifs de haut niveau. L’artiste que vous allez voir maintenant, Pourrait-être à la fois footballer ou encore tennisman…Mais il est surtout jongleur ! Jimmy Navratil ! ». À contrario, d’autres numéros, par leur contenu, se suffisent à eux-mêmes. J’ai coutume de dire, que Messieurs Loyal, nous sommes l’emballage des numéros que nous présentons. Ma mère m’aide aussi beaucoup, elle s’imprègne des spectacles auxquels elle assiste et me donne de précieux conseils. À Massy, j’ai pris aussi l’habitude avec Michel Palmer, célèbre Monsieur Loyal du Cirque d’Hiver Bouglione, de retravailler ma présentation en fin d’après-midi.
Parlez-nous un peu du premier Festival du Cirque et du Music-hall de Fondettes que vous avez préparé pour la fin septembre ?
Pour cet événement unique en son genre, j’ai tout organisé (mise en scène, musiques, etc.). La régie son et lumière peut tout encoder avec le livret que je leur ai fourni, tout a été préalablement étudié en studio avec l’orchestre du festival. La deuxième saison est déjà pratiquement prête.
Les hasards de la vie font parfois bien les choses, il me semble que vous avez noué très tôt une amitié avec un célèbre magicien français. Pourriez-vous nous expliquer comment s’est déroulée cette rencontre et aussi si vous avez déjà collaboré sur des projets professionnels ?
Effectivement, on s’est rencontré avec Yann Frisch dans l’enseignement secondaire. Il connaissait ma sœur qui animait un événement au lycée. Et puis, un jour, elle m’a dit « tu sais, un jeune fait de la magie à l’école, il est vraiment drôle et très sympathique ». Yann était bluffant, il m’avait montré en vidéo un numéro de magie et de jonglerie qu’il avait conçu, le décor aussi était insolite : un réverbère, une poubelle et la magie opérait.
Pourriez-vous nous parler de votre processus créatif au sein du Puy du Fou, mais aussi des principaux effets visuels et sonores mis en place ?
Pour Le Puy du Fou, tout est parti d’un scénario, écrit par Nicolas de Villiers. On travaillait en équipe, je collaborais avec la team création dirigée par Guillaume Vergnaud. Elle se composait de scénographes, concepteurs artistiques, responsables de la danse, mais aussi de professionnels en charge des combats. La création et la préparation du scénario peuvent être mises en parallèle avec le cinéma, comme le fait un réalisateur qui utilise l’histoire d’un livre qu’il adapte sur grand écran. Le scénario est millimétré, aucun détail n’est laissé au hasard, à tel point que la position et la matière d’une chaise du décor sont expressément indiquées. Nous nous appuyons aussi beaucoup sur la technologie dernier cri, comme des logiciels 3D, des modélisateurs 3D et des animateurs 3D. Une fois que les acteurs arrivent sur place pour la mise en scène, la vidéo préparatoire leur est présentée, assurant ainsi une meilleure compréhension de l’esprit du show et une efficacité optimale lors des répétitions. Chaque nouvelle production est un véritable défi, nous incitant à nous dépasser constamment. Concernant les effets spéciaux, ils viennent s’ajouter au scénario préétabli et ainsi renforcent l’effet attendu. J’ai pour habitude de lister tous les effets visuels et sonores qui m’ont marqué lors de shows auxquels j’ai assisté, tous domaines confondus. Cette liste constituant une base de données, dans laquelle je viendrai piocher pour créer un effet marquant le public pour de futures créations artistiques. Cependant, il faut absolument que cet effet soit en lien avec l’histoire racontée et surtout qu’il apporte un sens véritable.
Vous avez notamment participé à la conception du spectacle Le Mime et l’Étoile au Puy du Fou, des drones autonomes ont été utilisés, du mapping 3D, mais aussi d’autres effets visuels se rapprochant de l’illusion. Comment a été conçu ce spectacle et comment avez-vous réussi à articuler l’utilisation de ces différentes technologies afin de créer une symbiose parfaite ?
Effectivement, dans Le Mime et l’Étoile, le personnage principal est un mime/magicien originaire du monde circassien tzigane qui use de la magie pour charmer sa prétendante. Chaque effet que nous mettons en place doit être vecteur d’émotion tout en étant toujours au service de l’histoire présentée. S’agissant des drones, le fait de les faire voler constitue une symbolique forte, puisqu’il s’agit en réalité de faire voltiger des lumières tout autour de sa bien-aimée pour l’inciter à s’envoler.
D’ailleurs, avez-vous eu recours aux conseils d’illusionnistes professionnels pour construire certaines parties de vos shows ?
Nous consultons des illusionnistes, pour ne citer qu’eux, je pense notamment à Dani Lary, Bertran Lotth qui sont des fidèles du Puy du Fou. J’ai également contribué au développement du parc en présentant la nouvelle génération de magiciens, apportant ainsi une nouvelle vision à la conception des futurs spectacles.
Êtes-vous également féru de magie ?
Oui, tout à fait, je suis passionné, j’ai beaucoup pratiqué le pickpocketisme de scène il y a quelques années. Je ne manquais pas de l’intégrer à mes numéros lorsque les occasions se présentaient.
Quel regard portez-vous sur l’art de l’illusion et la « magie nouvelle » ?
Pour faire le parallèle avec le cirque, dans les années soixante-dix suite aux évènements de mai 68, un nouveau mouvement a vu le jour, par lequel on a cherché à utiliser une forme d’art pour soutenir un propos. On ne fait plus un triple salto juste pour l’exploit, mais bien pour raconter une histoire. S’agissant de la magie, c’est la même chose. On a vu une mutation, un changement, on va aussi se servir des effets magiques pour narrer un récit. Un tour pour un tour n’est pas intéressant. De grands créateurs comme Étienne Saglio ou Raphaël Navarro (l’un des concepteurs en 2019 de Drawn to Life, la 50ème production originale du Cirque du Soleil avec Disney, dans lequel il a conçu un numéro acrobatique combinant la technique de la lévitation et celle du main à main, à tel point qu’on ne sait plus si l’assistante lévite par la force humaine ou s’il s’agit d’une véritable illusion). La frontière est ténue entre la force physique et l’illusion de lévitation, créant cet effet atypique émerveillant le public. Rémi Lavesne utilise aussi cet effet d’inversion des principes physiques de gravitation. C’est véritablement cela, la « magie nouvelle » selon moi.
Tout comme la société, les arts sont amenés à traverser des changements plus ou moins importants. Cependant, il ne faut jamais renier le passé de nos disciplines artistiques, qui constitue le socle commun de nos connaissances et des références intemporelles attendues par le public. La contextualisation comme la prise en compte des avancées technologiques est primordiale.
Quelques anecdotes ?
Le véritable facteur déclenchant a eu lieu lors d’un stage de troisième. À l’époque, je souhaitais réaliser mon stage d’observation au Cirque d’Hiver à Paris. J’ai envoyé spontanément ma candidature auprès de cette institution parisienne, mais aussi à l’Opéra de Paris et à la Comédie Française. Mes efforts n’ont pas été vains, puisque le Cirque d’Hiver a accepté ma candidature ! Suite à cette belle surprise, je m’y suis rendu avec ma mère pour repérer le trajet que je devrais faire chaque matin du XVème arrondissement au 110 rue Amelot dans le XIème arrondissement. Malheureusement, alors que mon stage devait commencer, une grève des transports en commun a été décrétée à Paris. Mais, loin s’en faut, mon enthousiasme et ma détermination sans faille m’ont incité à rapidement trouver une solution en dépit de mon jeune âge. Très vite, l’idée d’utiliser une trottinette m’est venue à l’esprit, me permettant de découvrir Paris sous ses plus beaux auspices. J’en garde des souvenirs mémorables, notamment lorsque je passais sur l’île Saint-Louis derrière la cathédrale Notre-Dame puis arrivant au petit matin dans la rue Vieille du Temple située dans l’axe parfait du cirque qui se dessinait devant moi.
À voir :
Interview réalisé en septembre 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Leveau Studio / Mark Kazus / Pierre-Marie Charpentier. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.