Philippe alias Jacques-Noël Talon. Né à Alais (Gard), le 25 décembre 1802, après avoir exercé la profession de confiseur à Paris. s’était vu forcé, par la suite de mauvaises affaires, à quitter la France. Il se rendit à Londres où il fonda un nouvel établissement, mais la fortune ne se décidant pas à lui sourire, il plia bientôt bagage une seconde fois pour aller à Aberdeen, en Ecosse, monter un nouveau magasin de sucreries. Là, les bonbons de Philippe ne trouvèrent pas plus de succès auprès des habitants qui délaissaient également leur théâtre.
Robert-Houdin, dans ses « Confidences », raconte comment Philippe et le directeur du théâtre d’Aberdeen s’associèrent pour lutter contre leur mutuelle infortune.
« Un beau jour, Talon se présenta chez l’impresario écossais. Monsieur, lui dit-il sans autre préambule, je viens vous faire une proposition qui, si elle est acceptée, remplira votre salle, j’en ai la conviction. Il s’agit simplement de joindre à l’attrait de votre spectacle, l’annonce d’une loterie dont je ferai tous les frais. Voici quelle en sera l’organisation : chaque spectateur, en entrant, paiera en sus du prix de sa place, la somme de six pences qui lui donnera droit à :
– 1° Un cornet de bonbons assortis.
– 2° Un billet de loterie avec lequel il pourra gagner le gros lot représenté par un bonbon monté de la valeur de cinq livres (125 francs).
Talon promit en outre un divertissement nouveau dont il confia le secret avec recommandation de ne pas le divulguer. Le soir de cette première séance, les spectateurs attirés par la nouveauté remplirent la salle. La loterie fut tirée, le gros lot fit un heureux et les douze ou quinze cents perdants, munis de leurs cornets de bonbons, se consolèrent de leur déception en faisant entre eux des échanges de douceurs. La pièce tirait à sa fin et l’on attendait toujours la surprise… Soudain apparut un superbe polichinelle qui s’élança sur le devant de la scène en faisant un magnifique écart. C’était Talon revêtu des deux bosses de « coton et de l’habit pailleté. » Notre nouvel artiste s’acquitta avec un rare talent de la danse excentrique de Polichinelle et fut couvert de bravos. Ensuite feignant une chute malheureuse, il demanda comme spécifique des pilules de Morisson. On lui en apporta quelques-unes d’une grosseur exagérée. Il en escamota une demi-douzaine en faisant semblant de les avaler, et provoqua ainsi une nouvelle explosion de rires et de hurras ! »
Philippe venait de se révéler prestidigitateur. Il partit dans d’autres villes pour y donner des représentations. Au cours de ses voyages, il ajouta à son programme les expériences des physiciens en vogue de l’époque. A Glascow, il trouva parmi le personnel occupé à la construction de sa baraque un jeune menuisier nommé Macalister, qu’il attacha à sa personne comme aide mécanicien. Ce choix fut des plus heureux. Sous les traits d’un nègre appelé Domingo, Macalister contribua pour une grande part aux succès de son maitre.
Après avoir donné des représentations en Ecosse et en Angleterre, il passa en Irlande. C’est à Dublin qu’il acheta à des magiciens chinois le secret de deux tours qui firent sa réputation : Les Anneaux et les Bocaux de Poissons. En possession de ces trucs, Philippe se trouva fort embarrassé, il fallait une robe pour exécuter le dernier. C’est alors qu’il eut l’idée de s’affubler du costume de magicien, robe longue et chapeau pointu. Il vint à Paris dans l’été de l’année 1841 et donna des représentations dans la salle Montesquieu. Après une tournée en Autriche, il inaugura son théâtre du bazar Bonne-Nouvelle dont l’ouverture fit sensation dans Paris.
Philippe présentant les bocaux de poissons
Voyons ce qu’en dit Robert-Houdin : « Le Palais des Prestiges n’était point un monument, ainsi que pouvait le faire supposer son titre, mais lorsqu’on était arrivé au bout de la galerie du premier étage du bazar Bonne-Nouvelle, on passait sous une porte de couloir et l’on était tout étonné de se trouver dans une salle fort convenablement distribuée pour ce genre de spectacle. II y avait des stalles, un parterre, un rang de galeries et un amphithéâtre. La décoration en était proprette et élégante et par dessus tout on y était confortablement assis. La séance commençait par le tour des 300 bougies allumées d’un coup de pistolet. On sait que ce tour nécessite des précautions sans nombre et une longue préparation; aussi Philippe ne l’exécutait que quand il était à demeure dans une ville. On voyait ensuite des automates : Le Cosaque, le Paon et l’Arlequin. La seconde partie était intitulée « Une Fête de nuit dans un palais de Pékin », et comprenait le Tour des Anneaux, les Pains de Sucre, le Chapeau de Forlunatus, la Cuisine de Parafarayaramus, enfin les Bassins de Neptune ou les Poissons d’Or. »
Philippe avait ajouté au tour de ses confrères du Céleste Empire ce qu’il appelait la Ménagerie. En jetant une dernière fois son châle à terre il en faisait sortir plusieurs animaux tels que canards, poules, etc. C’est ce tour que représente le dessin que nous donnons aujourd’hui, dessin exécuté d’après une photographie qui nous a été communiquée, ainsi que l’affiche que nous reproduisons également, par M. Talon fils qui exerce lui aussi la prestidigitation.
Philippe quitta Paris l’année suivante et donna des représentations en province; partout son succès fut colossal. Nous lisons le compte-rendu d’une de ses séances dans le Courrier de l’Aisne du 1er aoùt 1847. « M. Philippe est véritablement un homme prodigieux, c’est un salpètre, que dis-je, un fulmi-coton pour la vivacité. La pétulance, sa voix gracieuse et douce, son regard, toute sa personne qui est partout à la fois, remplissent la scène et pendant quatre heures il a tenu ses spectateurs dans une attention continuelle entrecoupée seulement de rires bruyants. On l’eut regardé toute la nuit ….. On ne dirait certes pas un artiste en représentation, mais un riche maître de maison qui entreprendrait d’enchanter une immense société qu’il aurait conviée et qui s’en acquitterait avec une délicatesse, une complaisance, une générosité infinies. On ne comprend pas, quelles que soient les recettes de M. Philippe, comment il peut gagner ses frais, à faire tant de sacrifices de bonbons, de fleurs, de liqueurs, et à plus forte raison donner d’aussi jolis lots de loterie sans augmenter le prix d’entrée de la salle. »
Comme on le voit par ce compte-rendu, et comme on le verra par la reproduction d’une ses affiches, Philippe est resté fidèle au principe de la loterie qui lui avait souri dès ses débuts. Il avait ajouté trois lots comiques qu’il appelait des lots malheureux. Il consolait fort gracieusement les personnes qui les gagnaient. En quittant la France, il fit des tournées en Italie où il obtint un grand succès au théâtre royal de Naples, en Grèce, Turquie, Allemagne, Suède, Danemark et Norvège. Las de voyager, il installa à Bergen une nouvelle maison de confiserie qui ne réussit pas mieux que les précédentes. Il y demeura trois ans. Après ce délai, force lui fut de reprendre la baguette magique. Il partit pour la Russie où nous le voyons en 1860, au théàtre Alexandra, à Saint-Petersbourg. Puis il s’enfonça dans la Russie d’Asie où il ne rencontra que des déboires. L’âge était venu et il ne possédait plus les belles facultés de sa jeunesse qui lui eussent été si utiles dans ces régions inhospitalières. Il mourut à Bouckara (Turkestan), le 27 juin 1878.
A lire :
– Philippe par Robert-Houdin.
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