Je suis arrivé ce samedi dans le pub de Shawn O’Donnell (1) qui est un membre de la North West Ring of Fire (2), le club de magie de Seattle et de ses environs. Il est lui-même passionné de close-up et participe activement à la vie du club en organisant de très belles conférences dans la salle du bas de son si sympathique club. Nous avons eu la conférence de Chad Long en novembre dernier. Une trentaine de personnes de tout âge attendaient avec joie le magicien de Pittsburgh Paul Gertner. Pour connaître un peu mieux ce magicien, j’avais fait quelques recherches et avais entendu parler de sa célèbre version des gobelets. Il arriva à l’heure malgré son voyage depuis Vancouver où il était la veille. Sa conférence commença dans les temps.
– (1) Qui, comme chacun le sait se trouve au 122 de la 128th rue, SE, Everett, WA.
– (2) Ring #339 of the International Brotherhood of Magicians (I.B.M.)
1- Cup and Steel Balls
Après une petite introduction pour ceux qui ne le connaissaient pas, il nous fit sa routine des gobelets. Dans sa construction, elle ressemble beaucoup à celle de Dai Vernon décrite dans The Dai Vernon Book of Magic (1957) rédigé par Lewis Ganson. C’est une forme d’hommage au professeur, sauf que Paul Gertner a ajouté des petites touches personnelles et une dimension qui enrichit le tour. La notion de bruit, avec les billes en acier, trompe encore plus les spectateurs et même les magiciens pour être tout a fait honnête. Sa présentation est également très personnelle car il évoque sa jeunesse à Pittsburgh, capitale de l’acier et donne une motivation pour utiliser des billes au lieu de petites balles.
Longs applaudissements pour cette routine merveilleusement effectuée, d’autant plus qu’il est de mon point de vue dangereux de commencer une conférence avec ce genre de routine. L’explication fut concise mais pas très détaillée. Commerce oblige, il nous invite à acheter son livre Paul Gertner’s Steel and Silver (1994) écrit en collaboration avec Richard Kaufman. Il existe aussi 3 DVD (1995-1996) pour ceux qui le souhaitent.
2- Digital Dream
Peut être la plus grande qualité de Paul Gertner est de rendre original un tour classique ou de se servir de façon originale d’un gimmick comme c’est le cas avec cette routine. Sa qualité de présentation rend l’effet encore plus magique pour le spectateur, et c’est cela le plus important.
Introduction : « Avez-vous déjà eu l’impression de ne pas vous souvenir de vos rêves… » Le thème du rêve est un sujet étroitement lié à la magie. Il explique que le fait de se souvenir d’un rêve est un phénomène que les scientifiques ont étudié et prouvé que le cerveau n’est pas vraiment endormi. Par conséquent, ne pas se rappeler d’un rêve est la preuve qu’on a bien dormi. Le jeu est donné à un spectateur pour être mélangé mais en réalité il ne s’agit pas de cartes mais de rêves. Le spectateur choisit un rêve et le signe pour le rendre encore plus personnel. Il est ensuite remis avec les autres… rêves.
L’expérience qui va avoir lieu est possible grâce à une caméra hautement élaborée (carte WAO ou WOW) qui permet de découvrir le rêve qui est dans le cerveau du spectateur. La caméra, qui a l’aspect d’une petite carte en plastique, est posée dans la main du spectateur averti au préalable de ne pas bouger parce que c’est très fragile. Le magicien, pour faire un petit essai, met dans cette caméra un rêve qui n’est pas celui du spectateur. Il demande à celui-ci de se concentrer sur les autres rêves et, à ce moment un rêve s’extirpe du jeu et s’avère être … blanc. En fait le deuxième aussi, et puis tout le jeu est devenu blanc à l’image des rêves qui s’oublie. A ce moment le magicien demande au spectateur s’il se souvient de la carte… heu du rêve, placé au préalable dans sa main et c’est là que la magie de la « caméra » opère puisqu’à vue le rêve apparaît. La présentation est sublime. Paul Gertner montre qu’avec un simple gimmick, on peut faire beaucoup de choses.
En ce qui concerne le change de paquet, il utilise des idées de Juan Tamariz et un conseil de John Carney. Il est fait sur un temps faible et je crois pouvoir dire que techniquement il y a beaucoup plus difficile mais comme il est fait au bon moment il est tout simplement imparable.
La carte WAO est une invention du magicien japonais Masuda. Elle est de plus en plus répandue dans tous les magasins de magie.
3- Photo Cell
Toujours en utilisant les cartes et les objets de tous les jours avec un gimmick, le tour qui vient ensuite est rendu possible grâce à l’imagination de Ton Onosaka qui a commercialisé le gimmick intitulé La Carte mirage. Pour ceux qui ne l’ont jamais eu en main comme moi, il s’agit de trois cartes ressemblant à la carte WAO (voir ci-dessus) sauf qu’une seule a un dos truqué car elle affiche la carte choisie.
La routine commence par une carte « librement choisie » que le spectateur doit se rappeler. Gertner demande au spectateur de choisir une carte en plastique et de la tenir droit en face de lui. Il se saisit alors son téléphone portable pour prendre une photo, que voulez- vous faire d’autre avec*, et lui « flash le portrait ». Il lui montre instantanément le résultat sur son appareil et à sa grande surprise le spectateur se voit tenir sa carte « choisie » alors qu’il pensait ne tenir qu’un bout de plastique ordinaire. D’où le mirage.
* Oui, je sais, on peut téléphoner !
Ce tour est sympathique mais il faut avoir le matériel pour. Cependant, pour montrer que les trois cartes sont identiques il effectue le Flustration Count attribué à Brother John Hamman, mais qui a été créé par Norman Houghton en 1955, auquel il ajoute une petite révolution des cartes dans ses mains, et c’est plutôt convaincant.
Ce tour peut être effectué aussi avec une carte WAO pour ceux qui n’ont pas la carte mirage. Le forçage utilisé pour la routine est tout simplement le forçage classique que l’on peut trouver dans son livre Forcing a Card in a Classical Manner (1980) qui est vraiment bien détaillé. Ce tour aussi l’illustration des milliards de possibilités avec une carte forcée.
4- Firecracker
Dans la série des gimmicks qui, bien utilisés, peuvent s’avérer très sympathiques, ce tour en est le parfait exemple. C’est un effet de mentalisme qui conviendrait aussi bien aux débutants qu’aux professionnels. Il utilise un gimmick, un principe, une pincée de misdirection et une bonne dose de présentation.
Le magicien présente un paquet de cartes qui est dans un étui noir (Jeu invisible). Le spectateur (en l’occurrence moi) doit faire preuve d’imagination. Paul Gertner m’a demandé de me rappeler quand je jouais avec des pétards étant petit. Ce ne fut pas très difficile (car je sors tout juste de l’enfance). Il m’a demandé d’imaginer qu’il avait mis dans ma main un jeu invisible et qu’à chaque fois je devais détruire un nombre de cartes (forçage du magicien) pour terminer avec une seule carte. La présentation était très subtile parce que je n’avais pas l’impression de forçage puisque il y avait la notion de feu comme motivation pour éliminer les cartes une par une. Enfin la carte pensée s’avère être la seule dans le paquet puisque les autres ont disparu.
5- Bluff Aces
Cet effet, Paul Gertner ne l’avait pas encore publié mais maintenant il figure dans ses notes de conférences qui viennent de sortir en livre et en DVD. Je ne sais pas si elles sont sorties en France mais sur internet vous devriez pouvoir vous les procurer ici.
Cet effet lui a été inspiré par Dereck Dingle puis par Bruce Cervon qu’il a rencontré au Magic Castle. C’est aussi inspiré des As de Conus.
Les quatre as sont distribués de manière douteuse la première fois car il simule un empalmage. Il demande au spectateur de couvrir les as avec ses mains au moment ou il aura la certitude qu’il s’agit bien des as. Le spectateur est donc sollicité mais voyant son doute il lui remontre les quatre as, prouvant que rien ne s’est passé. Il remet les as sur le paquet et effectue un saut de coupe en coupant le jeu ce qui a pour but de ramener les as au dessus du paquet. Il les redistribue sous l’oeil méfiant du spectateur qui n’y croit pas. Il remontre qu’il s’agit bien des as. Il refait un mouvement suspect et redistribue cette fois en flashant une carte n’étant pas un as en disant que les as vont se transformer en quatre carte en commençant par la carte qu’il vient de laisser entrevoir. Le magicien fait mine de ne pas comprendre et montre les quatre as. Le spectateur est de plus en plus perdu. Il recommence en disant que cette fois il va distribuer les quatre as d’une main comme cela il lui sera impossible de faire le moindre geste suspect… évidemment ce n’est pas possible. Pour le coup le spectateur couvre les as avec ses mains. Le magicien sort quatre cartes quelconques et grâce à quatre changements de couleur, il les transforme en quatre as. (Relisez La Technique moderne aux cartes (1940), vous y trouverez cette petite comédie qui ne date donc pas d’hier.)
Le change des quatre as est, au départ, dans le livre Royal Road to Card Magic (1948) de Jean Hugard et Frederik Braue sous le nom du Spread Turnover. La version qu’il utilise est une adaptation de Darwin Ortiz dans son livre Cardshark (1995) intitulé le Stripper Switch. Il existe aussi une version de Ken Krenzel et d’Arturo de Ascanio.
Les changements de couleurs se font par un filage du dessus, une LD qui a l’avantage de finir clean grâce à un petit mouvement assez rapide qui avait intrigué Ed Marlo lui-même, une LT, et une variante du Snap Change. Tout cela se passe très vite.
6- His & Hers
Avant de commencer ce tour il nous fait part d’une mésaventure qui lui est arrivé dans un aéroport ou il s’était trompé de toilettes et s’était retrouvé dans celle des dames. Il nous avertit en nous montrant des photos de pancartes pour ne pas qu’on se trompe. Là-dessus il nous explique qu’en Europe il y a des toilettes mixtes où il faut payer. Elles sont symbolisées par une carte posée face en bas sur la table avec une pièce dessus. Il nous prévient qu’il ne la touchera plus jusqu’à la fin. Une carte est choisie par une de ces dames puis perdue, et idem pour un des hommes. Après quelques coupes, il affirme avoir trouvé la carte des dames et demande à la spectatrice de la signer sur son dos tellement il en est persuadé.
Malheureusement elle s’avère être la carte des hommes. Il s’est trompé de porte et demande de signer la face de la carte. Il dit qu’il n’est qu’à moitié content parce qu’il a trouvé une des cartes mais pas la bonne. Il met la carte des hommes de côté. Après quelques coupes il pense avoir trouvé la bonne mais les spectatrices n’ont pas choisi le Joker. Peu importe ! Il avait mis une carte dès le début sur la table. En la retournant on découvre que c’est la carte des hommes et que la carte qu’il avait mise préalablement de côté est celle des dames.
Il utilise le Mexican Turnover avec une carte pour le change final qui s’effectue sur la table et demande d’avoir les deux mêmes Joker pour les esprits les plus attentifs.
Conclusion
La magie de Paul Gertner est à la fois simple, directe, très bien présentée et pourtant très créative. Il a volontiers cité ses sources, ce qui m’a aidé à écrire ce compte rendu. Après la conférence, il a dîné avec nous. Nous étions six et il nous a présenté son célèbre tour Unshuffled*. La technique qu’il utilise est simple mais toujours adaptée. Les routines sont toutes dans ses notes de conférences que j’ai achetées.
Apres la conférence, il nous a montre une routine d’Alex Elmsley qui est une forme d’assemblée d’as. Le spectateur choisit l’as leader, le magicien pose trois cartes sur l’as leader puis perd les trois autres as dans le jeu. Immédiatement, ils rejoignent l’as chef en prenant la place des trois cartes quelconques. Vous avez reconnu le fameux 1002nd Aces décrit en 1957 dans la revue Ibidem. Enfin il nous a donne un conseil de Charlie Miller que j’ai lu aussi chez Jerry Sadowitz dans Cards at the table (1988) : « Utiliser un Joker quand on effectue un changement de couleur permet aux spectateurs de voir clairement ce qui se passe. »
* Unshuffled est décrit page 143 du livre Paul Gertner’s Steel and Silver .
Pour terminer, méditez cette citation de Paul Gertner en conclusion de sa conférence : « Il existe de nombreux accessoires et des dispositifs ingénieux qui ont été inventés par certains des plus brillants esprits de la magie, mais trop souvent, les magiciens arrêtent de penser dès qu’ils ont défait l’emballage. Ils supposent que toute la réflexion a été faite pour eux, mais ce n’est pas le cas. Dans cette conférence, nous avons jeté un regard au-delà des instructions d’origine et découvert que n’importe quel bon effet magique a plus de potentiel que nous le pensions la première fois que nous l’avons découvert, surtout si on y ajoute notre propre touche. »