En tant qu’historien de la magie, nous devons faire face à un défi rare. Le travail des historiens est de séparer la vérité, ce qui c’est vraiment passé, du mythe, créé par le temps, la désinformation, la confusion et par les mensonges flagrants. Le problème inhabituel concernant la magie, c’est la profusion de mensonges racontés à propos de la magie et des magiciens. Les magiciens mentent par la nature même de ce qu’ils font.
Les magiciens mentent lorsqu’ils prétendent qu’ils sont capables d’accomplir l’impossible. Les acteurs, bien sûr, mentent aussi, mais pas avec la régularité et l’enthousiasme des magiciens. Les magiciens mentent à propos de leur origine, leur nationalité, leur éducation. Ils mentent à propos de ce qu’ils font en scène lorsqu’ils disent qu’il mettent la balle sous le gobelet, ou dans la poche, ou lorsqu’ils prétendent que le paquet de cartes est « normal », « sans ordre particulier », et « mélangé à tel point que je ne peux avoir aucune idée de la position de votre carte », Tout cela est mensonge. Les magiciens vous disent que leur matériel vient de quelque marché aux puces, ou qu’il vient de leurs ancêtres, ou d’un grenier d’une maison hantée. Mensonge, encore et toujours, lorsqu’ils se retirent et écrivent leurs mémoires, ils mentent encore…
« Un magicien est un acteur qui joue le rôle d’un magicien » Jean-Eugène Robert-Houdin.
Les magiciens eux-mêmes mélangent leur personnage de scène et leur vie privée. Les acteurs tracent une distinction claire entre tous les personnages qu’ils incarnent et leur identité propre. Les deux ne sont jamais intervertis. Même quand un acteur devient connu pour un rôle particulier, les personnages ne se confondent pas avec l’acteur lui-même. Par contre, chez les magiciens, cette séparation reste floue délibérément. L’image qu’ils présentent au public est celle d’une personne pouvant faire des miracles. Ce pouvoir ne se dissipe pas lorsque le rideau tombe. Traditionnellement, les magiciens se donnent aussi en spectacle hors de scène, accomplissant de manière miraculeuse, des choses de tous les jours et non pas des tours de magies préparés et recherchés. Max Malini, avait fait forte impression en accostant le sénateur U.S. Mark Hanna en 1902, et en lui arrachant un bouton de veste, avant de le restaurer. Si on en croit ses mémoires, Jean-Eugène Robert-Houdin présenta une version apparemment non préparée de la balle rattrapée au vol en Algérie.
Les magiciens semblent tenir à leurs mystères, non seulement en spectacle sur scène, mais aussi en vivant leur personnage dans la vie courante.
Selon Marie Blood, la nièce de Houdini, Bess Weiss appelait son mari « Houdini » en privé. La vie hors de scène des magiciens s’entrelace avec les légendes qu’ils créent sur leur personnage. La connaissance historique des magiciens est brouillée, non seulement par le temps, mais aussi par les mythes créés par eux-mêmes ou par leur public.
Chung Ling Soo alias William Robinson.
En tant qu’historiens, nous sommes face à la tâche herculéenne de décider en quelle mesure les exploits annoncés par les magiciens ont été effectivement présentés. Quels sont les exploits présentés par Robert-Houdin et quels sont ceux qu’il a inventés. Jusqu’où William Robinson, jouait-il Chung Ling Soo, un magicien chinois, dans sa vie privée ? Quels sont les exploits relatés par Erich Weiss qu’a effectivement accompli Houdini ? Bien que le travail des historiens soit de séparer les faits de la fiction, on ne peut nier complètement l’importance de cette dernière. Ces histoires font partie de la perception de la magie.
Houdini a prétendu qu’il avait réussi une évasion miracle en étant jeté, pieds et poings liés dans un trou d’une rivière gelée. Il expliqua qu’après s’être débarrassé de ses liens, il tenta de nager vers la surface mais qu’il lui avait été impossible de trouver le trou dans la glace. Houdini a prétendu qu’il avait survécu en respirant l’air piégé entre la surface de l’eau et de la glace, jusqu’à ce qu’il trouve un trou dans la glace, par lequel il put émerger.
Houdini alias Eric Weiss.
Plus tard, Robert Lund, co-créateur du Musée Américain de la magie, fut l’un des historiens qui recherchèrent les fondements de cette histoire. Les recherches furent difficiles car Houdini avait prétendu plusieurs fois que cet événement avait eu lieu à des endroits différents. A Détroit, Houdini a prétendu que l’évasion avait eut lieu à Boston. Une fois à Boston, il disait New-York. A New-York, il disait Détroit… Finalement Robert Lund trouva une histoire qu’Houdini avait écrite, contrairement aux autres, qui étaient des histoires rapportées et qui se contredisaient. Après des recherches dans les journaux locaux, il découvrit que la rivière mentionnée n’était pas gelée à cette date. Nous savons donc que Eric Weiss n’a jamais été prisonnier de la glace, alors qu’Houdini l’avait été. La fiction devint une partie de la légende de Houdini et une part de ce que public avait vu.
Il est difficile de faire la distinction entre le « magicien-acteur » et le « magicien-personnage » puisque les magiciens eux-mêmes souvent ne le font pas. Les légendes font parti de l’histoire de la magie. Même si les recherches dans l’histoire de la magie sont de plus en plus poussées, même si les historiens cherchent avec une détermination de plus en plus forte à séparer les faits de la fiction, ces mêmes historiens ne devront pas abandonner le mythes créés par les artistes. Ces mythes ne sont pas l’histoire des artistes, mais ils sont l’histoire des personnages joués par les artistes et donc une part du mystère magique.
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