Née à Berlin d’un père juif, Ruth Iris Wachsmann se déplace sur la côte hollandaise en 1926, à l’âge de seize ans, pour une représentation avec une troupe de ballet composée de trente-six danseuses où elle est première ballerine. Elle rencontre alors un magicien viennois du nom de C.H. Larette1 et est fascinée par sa performance lors d’un spectacle. C’est à cet instant qu’elle a le désir de devenir magicienne alors qu’elle déteste ce milieu.
Kobe & Christ Van Herwegen Collection.
Elle devient l’élève de Larette qui lui apprend l’art exigeant de la manipulation. Il semble que Ruth Iris Wachsmann s’est inspirée des cigarettes de la Vittoria Egyptian Cigarette Company2 pour prendre comme nom de scène « Miss Blanche ». Cette célèbre marque hollandaise a parrainé Larette qui a fait de nombreux spectacles pour eux. Wachsmann pouvait être le « nouveau visage » des cigarettes « Miss Blanche ». C’est aussi pour cela qu’elle se lance dans la manipulation de cigarettes comme son professeur autrichien. Miss Blanche adopte alors un look androgyne, cheveux courts à la garçonne, habillée d’un costume à queue-de-pie (très influencée par son mentor). En à peine trois ans dans le métier de la magie, elle fait le tour du continent européen, du nord au sud, souvent en tête d’affiche des programmes des salles de théâtres, créant partout une grande sensation. Elle peut présenter son numéro en cinq langues, à savoir le français, l’anglais, l’italien, le néerlandais et l’allemand. C’est par l’intermédiaire de Larette que Miss Blanche rencontre la star des cabarets Max Peltini (N.W. Teitz-Max Peltini), qu’elle épouse dans les années 1930.
En 1936, habitant toujours Berlin, elle fuit les nazis et se réfugie d’abord au port maritime de Schwenningen et plus tard à Bosch en Duin en Hollande (pays dans lequel elle reste jusqu’en 1942). Lors d’une tournée en Yougoslavie, l’adjudant du roi est témoin de sa performance et l’invite pour qu’elle apparaisse à l’occasion de l’anniversaire de Pierre II, le 6 septembre 1938, dans la résidence royale de Bled, pour agrémenter la fête devant sa Majesté royale avec ses charmants tours de magie. Le roi, plus que satisfait de la présentation de Miss Blanche, là nomme « Artiste-Magicienne de la Cour Royale Yougoslave ».
En 1938, Miss Blanche effectue une série de tournées et travaille au Pik-Bar à Zagreb, au Schiefe Laterne Kabarett à Viennes et au Moulin Rouge de Budapest. La même année, elle est exclue du Magischer Zirkel 3 et se colore alors les cheveux en blond.
Au début de la guerre, son mari Max Peltini est arrêté et déporté dans un camp de concentration en Pologne où il décède. En 1943, la carrière de Miss Blanche s’arrête brutalement lorsqu’elle est transportée au camp de Toria à Auschwitz (sous le nom de Ruth Wolf) dans un bloc réservé aux femmes sur lesquelles des expériences médicales sont réalisées. Dans ces terribles conditions, Miss Blanche se produit pour des dignitaires allemands et des agents SS. On peut dire que ses représentations de magie est un moyen d’exister aux yeux des nazis et de se maintenir en vie le plus longtemps possible. Finalement, elle survit et est libérée en 1945, ne pesant que Trente kilos !
En 1949, après les traumatismes de la guerre, Miss Blanche essaie de se reconstruire et se remarie sous le nom de Neumann. Elle émigre aux Etats-Unis en 1956 et la magie disparaît peu à peu de sa vie. Elle n’a pas de carrière officielle et ne se produit plus en public. Elle meurt en 1989 dans ce même pays.
Son répertoire
Le répertoire de Miss Blanche est classique et composé de manipulations de balles, des anneaux chinois, des aiguilles avalées avec du fil de différentes couleurs, des tours de corde originaux, des expériences avec des cartes à jouer à échelle réduite ou géantes, des tours humoristiques et une version de la bande de Mobius.
Sa spécialité reste la manipulation de cigarettes. Grâce à l’étude scrupuleuse et aux conseils de son maître Larette, Miss Blanche est l’une des seules femmes à produire et faire disparaître des cigarettes allumées (avec Marion Stephanie). Elle atteint un degré de virtuosité comparable à ses meilleurs collègues masculins dans ce domaine : Frakson et Cardini.
Miss Blanche finit ses représentations avec « Le tonneau de bière inépuisable » en produisant de nombreux verres de bière sur commande à partir d’un tonneau vide (une variante de l’effet Inexhaustible Bottle). Pour son grand final, elle fait apparaître des banderoles japonaises et des fleurs en papiers qui se transforment, à chaque étape, en un beau jardin fleuri en deux minutes seulement.
Notes de la rédaction :
1 Cornelius Hauer (1889-1943) alias Larette est né à Vienne, en Autriche dans une famille juive hongroise. Il est enrôlé dans l’armée pendant la Première Guerre mondiale et est fait prisonnier en Russie, où il pratique déjà la magie. Vers 1924, Larette émigre en Hollande et arrive à Amsterdam par l’intermédiaire de l’agent Max von Geldern, qui le fait ensuite voyager dans les pays européens avec son excellent numéro de manipulation, écumant la majorité des théâtres et des boîtes de nuit.
Dans ces années 1920, alors que le vaudeville est à son apogée, Larette construit toute une routine promotionnelle autour d’une cigarette extrêmement populaire en Hollande du nom de « Miss Blanche ». Cette société lui fournit les cigarettes nécessaires pour être jetées dans le public, ainsi que des cartes à jouer avec la marque inscrite dessus.
En 1937, il fonde et ouvre un studio de magie dans le quartier d’Hortusplantsoen au centre d’Amsterdam : le Studio Larette, Institut voor Goochelkunst. Il vend des appareils magiques directement aux clients sans rendez-vous et à travers son propre catalogue qu’il publie lui-même, influencé par ses années de travail dans le magasin d’Ottokar Fischer après la Première Guerre mondiale. En 1939, il déménage son studio dans un autre quartier d’Amsterdam.
Larette devient vite un manipulateur à succès, d’abord avec des foulards et plus tard avec des pièces de monnaie (avec sa publicité dessus, qu’il lance dans le public), puis des cigarettes et des cartes. Son numéro se concentre alors principalement sur ces deux derniers accessoires. Après des manipulations de cigarettes au cours desquelles il en produit en grande quantité et qu’il jette au public, il enchaîne avec des manipulations de cartes à jouer. Il leur donne vie, les mélange d’une main puis des deux mains en même temps. Les jette en l’air dans le public, jusqu’à la dernière rangée de siège et même jusqu’au balcon du théâtre, réalise différents rubans et toutes sortes de volutes artistiques. Larette est également proche de Valentino Graziadei, un autre élégant manipulateur de cartes, se connaissant depuis leur jeunesse.
Larette devient un « artiste de la cour », un titre obtenu après plusieurs engagements du prince Heinrich von Mecklenburg-Schwerin, lui-même membre du Cercle Magique d’Allemagne. Il se mari en décembre 1938 avec une femme nommée Johanna Kortmulder native de Rotterdam, venant d’une famille catholique.
Le 10 mai 1940, l’Allemagne nazie envahit les Pays-Bas. Une fois l’occupation en place, les forces allemandes appliquent les lois de Nuremberg et commencent leur règne de terreur. Elles rassemblent et envoient des milliers de juifs hollandais dans les camps de concentration. Larette ne se considère pas comme juif, mais selon la loi allemande, c’est un « juif par alliance ». Il y a beaucoup de rumeurs sur la mort de Larette. La première version est que le magicien Henri Nolles l’a dénoncé à la Gestapo, qui est ensuite venue dans son magasin pour l’arrêter parce qu’il était d’origine juive. Larette demande alors à se changer et en profite pour se tirer une balle dans la tête. Une deuxième version rapporte une visite fortuite de soldats allemands dans sa boutique qui voulaient acheter des tours de magie. Croyant qu’il serait arrêté, Larette se suicide. Une troisième version de Hannes Höller publiée dans son livre, European Jewish Magicians (1933-1945) ; en 1943, deux hommes de la Gestapo arrivent au domicile de Larette, mais en réalité ils étaient là pour un de ses voisins. Larette sait ce que le destin lui réserve et dans un sentiment de désespoir prend un pistolet et met fin à ses jours. Officiellement, dans le magazine de l’époque, Die Magie, ils ont dit que Larette est mort après un bombardement allié sur Amsterdam…
2 En 1920, pour faire appel à la montée des fumeuses, la Vittoria Egyptian Cigarette Company, basée à Rotterdam, est au sommet de son art et produit des cigarettes sous le nom de « Miss Blanche » (promues par de beaux designs néerlandais). Une étude sur le tabac de Stanford décrit le désir des femmes de paraître « actuelles » en fumant : « Si c’était un regard que recherchaient les femmes ? Les compagnies de tabac ont capitalisé sur cette tendance, mettant en vedette de belles femmes glamours et modernes qui fument des cigarettes dans des publicités imprimées… »
3 Miss Blanche devient membre du Magischer Zirkel von Deutschland (Le Cercle Magique d’Allemagne) dans les années 1930, les femmes n’étant ordinairement pas toujours acceptées dans les clubs de magie masculins. Le Magischer Zirkel, fondé en 1912, est l’une des premières institutions à se convertir au nazisme, non seulement en exhibant des bannières, mais aussi avec une profonde conviction patriotique. Son leader est le très controversé Kanalag (Helmut Ewald Schreiber). Dès sa prise de poste en 1936, il exclut progressivement les membres juifs de l’association. Parmi eux : Günther Dammann (Robertini), Dr Kurt Heinrich, Eve Herrmann (Blanche Corelli), Siegbert Jaks, Dr Hans Katzenstein, Ludwig Katzenstein, Arthur Kroner (Zauberkönig), Charlotte Kroner, Meta Kroner, Ludwig Lebram (Leonardi), Alfred Rosner (Fred Rosner), Michael Seldowitz, Hans Spitzer, Cornel Hauer (Larette) et Ruth Iris Wachsmann (Miss Blanche). C’est ainsi que le nombre des membres passe de 1370 à 400 !
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