Voici trois textes et récits relatant des exploits de l’escamoteur Miette. Le nom de Miette est avant tout une dynastie. Il y a eut le père nommé Le Dragon de Paris, puis ses sept fils. Tout ce que l’on sait, est que le dernier Miette n’eut pas de descendance et avec lui s’éteignit la lignée des escamoteurs portant ce nom illustre devenu historique.
VOYAGE D’UN FLANEUR DANS LES RUES de PARIS
Album biographique grotesque contenant les portraits en miniature de toutes les célébrités en plein vent. Recueillis et saisis à la volée par le petit fils de M. Muzard (Paris chez les marchands de nouveautés, 1839).
Monsieur Miette n’est pas une célébrité d’un jour ; il y a plus de trente ans que cet habile physicien exerce ses talents sur le pavé de la capitale…
J’ai dit physicien, et c’est à tort, car l’honorable monsieur Miette répudie cette qualité. Mais laissons- le parler lui-même, c’est le meilleur moyen de savoir à quoi nous en tenir sur cet homme célèbre.
La scène se passe sur le quai des Libraires, entre le Pont-Neuf et le marché-aux Dindons. Il est six heures et demie du soir et il fait grand jour, car nous sommes en été. Cette heure est celle où une foule d’ouvriers, manœuvres, maçons, charpentiers, etc,
cessent de travailler. Aussi voit-on incessamment se former sur le quai des Dindons, devant les boutiques de libraires, un groupe d’individus qui entourent une table sur laquelle sont placés trois gobelets d’escamoteur. Le groupe grossit, le cercle s’étend.
Alors apparaît un personnage vêtu d’une veste de hussard dont les manches ne lui viennent pas tout-à- fait jusqu’au coude.
« Messieurs », dit ce personnage d’une voix perçante et fortement accentuée, « je me nomme Miette ! Je ne vous dirai pas, comme quelques-uns de mes confrères, que je
suis professeur de physique amusante, car je tiens avant tout à parler français et à appeler les choses par leur nom ; je vous dirai donc que je suis escamoteur et inventeur de la poudre Persane. »
La dessus, M. Miette fait voir son talent, et chaque jour il a de nouveaux tours dans son sac. Ce personnage est connu depuis trente ans dans les rues de Paris mais on ne supposait pas qu’il fût du bois dont on fait les hommes d’état. C’est cependant ce qui résulte de la lettre suivante, que nous empruntons à un journal sérieux :
Lettre de M. Miette, escamoteur, à M. Dupin, président de la chambre des députés.
« Mon cher confrère, je viens d’apprendre, étant en soirée chez le ministre, qu’on vous
dégommait de la présidence. Là dessus je me suis rebiffé, j’ai dit que ça n’était pas vrai. J’ai même voulu parier une bouteille de vin avec la demoiselle de la maison que c’était une blague qu’on faisait courir contre vous, comme on en avait fait courir dans le temps contre ma méthode dentifrice.
Monsieur Dupin dégommé ! leur ai-je dit, qu’on ne dégomme pas monsieur Dupin comme ça ! Monsieur Dupin est nécessaire à la Chambre comme je le suis au Pont-
Neuf. On est habitué à voir présider monsieur Dupin, à écouter ses coq-à-l’âne et ses bamboches, comme on est habitué à me voir escamoter la muscade et entendre les
petites histoires qui me servent à débiter ma poudre Persane. Si vous dégommez monsieur Dupin, ai-je ajouté, je ne vois qu’un moyen d’arranger l’affaire : c’est de me mettre à la place de monsieur Dupin, et de le mettre à la mienne. De cette manière, vous aurez sauvé le gouvernement représentatif et la poudre Persane. Je préside la chambre. J’y continue la tradition du président Dupin. Le président Dupin passe au Pont-Neuf. Je lui cède ma poudre, mes muscades, mes gobelets. Moyennant ces dispositions, point de crise dans le gouvernement, point de secousse en Europe. Une, deux ! partez muscade ! Partez coalition ! Partez réforme électorale! Monsieur Dupin
remplace monsieur Miette, monsieur Miette remplace M. Dupin : c’est à peine si le public s’aperçoit du changement opéré.
Toutefois, mon cher confrère, si la coalition s’obstinait à vous dégommer de la présidence sans me choisir pour vous succéder, il ne faudrait pas vous effrayer de la
chose. Vous ne resterez pas en place, c’est moi qui vous le dis. »
Miette, inventeur de la poudre Persane.
Miette en pleine scéance d’escamotage sous la statue d’Henri IV.
FEU MIETTE, FANTAISIES D’ETE
Par Champfleury, Paris Martinon, rue du Coq-Saint Honoré Sartorius, 17 quai Malaquais (1847).
Le Pont-Neuf, le plus vieux des ponts a été étrenné par Brioché, saltimbanque. Brioché fut le premier qui exécuta des tours sur le Pont-Neuf. Après lui vinrent d’autres saltimbanques, des comédiens en plein vent, des montreurs de marionnettes, des arracheurs de dents. C’était le meilleur endroit de Paris pour les recettes. La statue d’Henri IV érigée sur le terre-plein, le préfet de police interdit le pont aux saltimbanques. Mieux valaient les saltimbanques. Ils étaient du moins plus divertissants que ce bronze ! Œuvre de quelque Marochetti de la restauration.
Miette vint un jour s’emparer de l’héritage de Brioché. Il alla s’établir au bas du Pont-Neuf, sur le quai des Augustins. II est là depuis vingt-cinq ans. Il le dit avec orgueil et il a raison. Trouvez-en beaucoup de comiques qui aient conservé la faveur du public aussi longtemps ? La raison de ce succès tient à des causes occultes. Ce ne sont pas la Poudre persane, le taffetas pour les cors, les escamotages et le pallas de Miette qui ont fait son succès. Son succès, il le doit au magnétisme qu’il exerce sur ses spectateurs par deux jeux petits et brillants d’où s’échappe une flamme qui fascine l’auditoire.
Miette sait bien quelle influence il a sur son public, mais il ne s’en rend pas compte. Dans la vie privée, il a l’œil d’un honnête homme, d’un rentier, d’un père de famille. Ce n’est que le soir qu’il darde ses prunelles insidieuses. Il y a cinq ou six ans, un directeur d’un petit théâtre, le Luxembourg, s’il m’en souvient bien, vint faire des offres à Miette. On avait écrit une pièce pour lui dans laquelle il devait réciter son boniment habituel. Les propositions étaient avantageuses. Miette refusa. Monsieur, dit-il, je suis escamoteur, je ne veux pas être comédien !
Au premier abord, cette réponse paraît digne des temps antiques. Elle n’est que rusée. Miette craignait le gaz. Il craignait plus encore de ne pas retrouver ce public vierge, ce public naïf qui l’écoute la bouche ouverte, qui est plus attentif à ses moindres paroles qu’a un cri de rage de Frédérick Lemaitre, à un cri de douleur de Mme Dorval.
Dans la journée, rien ne révèle l’existence du grand Miette. Seulement, la place où il exerce le soir est occupée par un petit étal sur lequel sont exposées diverses porcelaines, les unes neuves, les autres cassées. Une bonne femme garde cette boutique en raccommodant force nippes. Saluez passants, cette femme est madame Miette. Oui, madame Miette, la légitime épouse du saltimbanque. Vous la reconnaîtrez l’été à un vaste chapeau de paille qui protège du soleil sa bonne vieille tête ridée. L’hiver, elle porte, assez ordinairement, une marmotte ornée d’agréments en plumes noires comme en mettent a leurs chapeaux les charbonniers. Donnez-lui vos porcelaines à raccommoder mais ne lui parlez que peu. Surtout évitez de l’interroger sur son mari. Elle cause peu habituellement mais quand il s’agit de son mari elle devient âpre, revêche, et se sert d’une concision de langage telle qu’on pourrait la qualifier de mutisme.
Mme Miette croit à son mari. Trente ans de ménage n’ont pu affaiblir son enthousiasme. Singulier privilège du génie masculin ! Depuis vingt-cinq ans, elle assiste à ses exercices et elle les trouve toujours agréables et nouveaux. Elle ne se mêle pas aux travaux de Miette. Elle s’y associe à la manière des chats qui occupent le premier plan de la baraque de Polichinelle et qui en jouissent sournoisement sans faire mine de les regarder.
Sitôt que l’horloge de la Vallée a annoncé aux libraires du quai la cinquième heure du soir, Miette arrive. Il ôte sa redingote et endosse une petite veste d’artilleur dont les avant-bras sont coupés. Cet habit coupé, dont on ne se rend pas compte d’abord, indique assez l’habileté de l’escamoteur et le mépris qu’il montre pour le charlatanisme. A un certain cri lancé dans les airs et obtenu sans pratique, les habitués accourent. Le fond des habitués se compose de jeunes vauriens du faubourg Saint-Germain, des apprentis de tout âge et de tout état. Les soldats qui vont aux Champs-Elysées dans le seul but de voir des arracheurs de dents, s’empressent de profiter d’un saltimbanque aussi proche. Les paysannes, les bonnes d’enfants se groupent. Le public est complet.
Miette, pour allumer l’assistance, commence par des tours d’escamotage. Il ne manque pas un jour d’exécuter le tour de la poule avec imitation de ce volatile en travail d’enfantement. Vient ensuite le chapeau d’Adam, qui consiste à donner à une casquette vingt formes différentes. « Le chapeau de nos pères », s’écrie Miette en se coiffant de la casquette affectant deux formes bien accusées de cornes, ce qui met l’assemblée au comble de la jubilation.
La corne n’a jamais manque son effet. On rit de la corne le même soir aux Français et aux Funambules. Une comédie où il n’y aurait pas de cornes n’aurait pas grandes chances de succès.
Les pièces où un mari passe sa tête par un oeil-de-boeuf au-dessus duquel est suspendu un bois de cerf, sont à peu près assurées de cent représentations.
La corne sera toujours le comble du drôle, et le plus comique des effets comiques connus. Nous, qui n’avons jamais compris la finesse et le sel de cette plaisanterie édentée, nous pardonnons Miette d’employer un moyen de succès aussi vulgaire. C’est là, du reste le seul reproche sérieux que nous lui faisons.
Tout en faisant ses tours d’escamotage, Miette commence ainsi :
Ces discours que je tente de rapporter avec une grande fidélité ne sont peut être pas tant nécessaire pour le public qui n’a pas entendu Miette. Il y a le ton. Il manque la vie de l’acteur.
« Je ne vous dirai pas que je suis l’élève de Mlle Lenormand. Mlle Lenormand n’a jamais fait d’élèves. Je ne vous dirai pas que je suis le gendre ou le successeur du célèbre Moreau ; mossieu Moreau n’a jamais eu ni gendre ni successeur. Mais qu’es-tu donc, alors ? Messieurs, je n’emprunte le nom à personne, je me nomme du mien, je suis MIETTE, l’un des sept fils du Dragon de Paris. Feu mon père était escamoteur, mon frère était escamoteur, je suis escamoteur, je demeure rue Dauphine, n°12, maison du marchand de vins, ce qui ne veut pas dire que je demeure chez le marchand de vins, c’est au contraire le marchand de vins qui demeure chez moi. J’ai travaillé trois fois devant l’ambassadeur de Perse mais je ne me targuerai point de ce vain titre pour vous dire que c’est l’ambassadeur de Perse qui m’a découvert le secret de la POUDRE PERSANE. Il ne m’a jamais parlé. D’ailleurs l’eût-il fait, je ne l’eusse pas compris, car il m’eût parié persan et je l’avoue, à ma honte, je n’ai point étudié les langues orientales. Mais ce fut un des officiers de sa maison, monsieur Ugène BARRRBARRROUX. Curieux d’apprendre à faire des tours, il m’en demanda et je les lui démontrai. C’était un élève agréable. Il ne me payait pas avec des pommes de terre. (Miette tire des pommes de terre de dessous les gobelets). Et voici des pommes de terre. Il ne vous tirait pas de carottes, il fait surgir une carotte) et voici des carottes, mais il y avait de l’oignon, (même jeu) et voici de l’oignon. Aussi me faisait-il des compliments. Il me disait : Mossieu Miette, pour les tours de passe-passe et de gobelets, à vous le pompon (il montre le pompon), et voici le pompon ! J’en étais donc très content. Aussi vrai que voici la petite balle (il escamote la petite balle) la moyenne balle (même jeu) et leur camarade la grosse balle (même jeu). Un jour je me présentai chez lui, il était en train de se nettoyer les dents. Cela ne m’étonna pas. La propreté de la bouche étant de tous les âges et de toutes les nations. Mais ce qui m’étonna, c’est ce qui va vous surprendre, c’est ce que depuis trente-cinq ans que j’exerce sur celle place je n’ai point encore vu ailleurs. La poudre dont il se servait était blanche comme de la neige. Il ouvre une boite et la montre en faisant le tour du cercle à peine introduite dans la bouche, devenait cramoisi comme de la lie de vin (Il introduit dans sa bouche un linge frotté de poudre persane, s’en frotte les dents et fait le tour du cercle en montrant au public le linge devenu rouqe. Il lient aussi la bouche ouverte de manière à faire voir ses dents). Voici, je l’espère, du cramoisi (Il remet la boite en place).
Curieux de ce phénomène, monsieur Ugène BARRRBARRROUX m’en informât, il me le dit, et je l’ai gardé pour moi. Voilà tout mon talent. Tant que l’ambassade de Perse resta en France, je n’en parlai plus à personne. Une fois qu’elle est partie, je me présentai a l’académie Royale, j’exposai ma recette et j’obtins mon brevet. Ce n’est pas plus malin que ça. La POUDRE PERSANE, Messieurs, n’a que cinq propriétés. Mais elles sont irrécusables (pause), Elle blanchit en deux minutes, montre en main, les dents les plus noires (pause). Elle calme à L’instant la douleur de dents la plus vive (pause). Elle corrige la mauvaise haleine, toutefois et quand la mauvaise haleine n’est point le produit de la putréfaction de l’estomac (pause). Elle raffermit les dents ébranlées dans leurs alvéoles, en arrête la carie, en enlève le tartre et le tuf (pause). Les dents sont un des agréments de la physionomie. Une bouche qui est délaissée n’en offre plus et pourtant les dentistes vous les arrachent. L’homme le plus hardi tremble à la vue des instruments qu’il faut introduire dans la bouche pour opérer l’extraction de la dent la plus simple. (A ce moment, Miette déroulait une trousse de dentiste dans laquelle se trouvaient des instruments énormes et rouillés, espèces de tire-bottes monstrueux qui faisaient frissonner l’auditoire. Miette se plaisait à prolonger la terreur en gardant le silence le plus complet en promenant ces appareils de terreur devant toutes les bouches des curieux qui se fermaient instinctivement.)
Me direz-vous que vous voyez entrer ces instruments de sang froid dans la BOUCHE ?
(Nouvelle promenade autour du cercle avec la terrible trousse). Non ! Eh ben gardons les ornements que la nature nous a départis sans nous livrer aux mains barbares des opérateurs. La POUDRE PERSANE nous épargne ces désagréments et voici la manière de s’en servir. Vous prenez un linge blanc de lessive que vous enroulez autour du doigt comme ceci (il opère en même temps et montre chaque exercice à la ronde). Vous le trempez dans l’eau, l’appliquez sur la BOATE, l’introduirez dans la bouche et vous frottez les dents puis vous prenez une gorgée et vous reposez (il l’avale; marque l’étonnement).
Oui, Messieurs, la POUDRE PERSANE laisse dans la bouche une odeur si suave, si exquise, si agréable que je ne suis pas assez ennemi de mon estomac pour l’en priver
volontairement. Avec toutes ces qualités, la POUDRE PERSANE coûtera donc bien cher ? Non Messieurs, nous l’avons mise à la portée de toutes les bourses. Il y a des boites de un franc de quarante centimes, de trente sous (pause). Il y a des boites de un franc ou vingt sous qui sont les deux tiers des boites de trente (pause). Il y a des boites de soixante-et-quinze centimes ou quinze sous, qui sont les deux tiers des boites de vingt et la moitié des boites de trente (pause). Il y a des boites de cinquante centimes ou dix sous, qui sont les deux tiers des boites de quinze, la moitié des boites de vingt et le tiers des boites de trente (longue pause). Enfin, Messieurs, il y a des boites, dites boites d’essai ou d’épreuve, et que je ne vends que dix centimes ou deux sous. Messieurs, si la POUDRE PFRSANE n’a pas rendu blanches en deux minutes, montre en main, les dents les plus noires. Si elle n’a point arrêté la carie, si elle n’a point enlevé le tartre, si elle n’a point corrigé la mauvaise haleine, toutefois pourtant que la mauvaise haleine
ne provient pas de la putréfaction de l’estomac. Si elle n’a point raffermi les dents dans leurs alvéoles, rendu leur couleur naturelle aux gencives. Si elle n’a point enfin calmé en un clin d’œil la douleur de dents la plus vive, entrez dans le cercle, démontez-moi, traitez-moi de fourbe et d’imposteur, prenez mon ordonnance, déchirez-la et jetez-m’en les morceaux à la figure. Au cas contraire Messieurs, dites-le à vos amis et connaissances, et rendez moi justice. »
Mais ce qui a fait le malheur de Miette, ce qui l’irrite quotidiennement, ça été l’invention de la lime chimique pour la destruction des cors. Tous les soirs, il se répand en imprécations contre la lime chimique. Ne serait-ce point là un bas mouvement de jalousie, car Miette s’occupe aussi de la guérison des cors, oignons, durillons et autres (sic), qui font le désespoir de tout homme qui descendrait assez gaîment le fleuve de la vie sans ces infirmités de bas étage.
« Mais on vous dira peut-être, ne l’écoutez pas, c’est un charlatan . Charlatan ! (Avec indignation contenue) Savez-vous, Messieurs, ce que c’est qu’un charlatan ? La liste des charlatans est entre les mains de mossieu le procureur du roi et non point sur la place publique. Un charlatan est un homme qui promet ce qu’il ne peut pas tenir. Découvertes universelles ? Charlatan ! Un homme ne saurait tout découvrira lui tout seul. Eh bien ! Et les autres, ils seraient donc la, les bras croisés à le regarder faire. Allons donc ! Panacées, remèdes à tous maux ? Charlatans ! Un remède qui est bon pour une maladie n’est pas bon pour une autre. Me ferez-vous croire que vous guérissez le mal de tête avec ce qui guérit les cors aux pieds ? Charlatans et qui plus est charlatans imbéciles.
Ils l’ont pourtant essayé. Ils ont pris vos pieds pour des barres de fer et la preuve, c’est qu’ils les ont limés. Vous irez donc, quand vous souffrirez d’un cor chez le serrurier voisin, poser le pied sur son enclume, et lui direz : limez-moi mon cor ! Charlatans. Oui, Messieurs, il y a bien un moyen de guérir les cors mais ce n’est point avec leur lime chimique. Lime chimique ! Pourriez-vous me dire ce que c’est qu’une lime chimique ? Vous m’obligeriez infiniment (s’adressant à un gamin). Peux-tu me le dire toi ? Non, tu n’en sais rien, ni moi non plus. J’ai consulté Boiste, Vailly, Restaut, Poche (il confondait avec le dictionnaire de poche), Napoléon, Landais, le dictionnaire universel, le dictionnaire de pharmacopée, et nulle part je n’ai trouvé ce mot lime chimique. Est-ce donc à dire que la lime chimique n’existe pas ? Si Messieurs, malheureusement elle existe mais elle ne sert à rien qu’à faire des dupes car, que peut avoir de commun un composé de bois, de verre pilé, de vermillon pour la rendre rouge, d’indigo pour la rendre bleue, avec les cors aux pieds qui sont le produit des humeurs synoviales. Répétons-le donc ; limes chimiques, charlatans ! Mais ils ont vendu cent mille limes chimiques à un franc la lime. Cela leur a fait cent mille francs avec lesquels ils ont passé pied en Belgique. Voulez vous savoir où se trouve le dépôt général des limes chimiques ? Doubles guides sur la route de Bruxelles.
Oui, Messieurs, les cors se guérissent et j’en ai le moyen. Je ne l’ai pas inventé, je n’ai rien inventé mais je l’ai pris dans un livre que voici et que vous pouvez vous procurer comme moi. Il se vend cul-de-sac Faron. A l’enseigne du Chat-qui-Pelotte. Imprimé à Paris en 1738, par monsieur Laforêt, chirurgien pédicure de Sa Majesté Louis XV, membre de l’académie de médecine de Paris, de celle de Montpellier, de la société libre des sciences de Turin et de plusieurs autres têtes couronnées et corps savants ; celui-là n’était pas un Charlatan. Le remède qu’il donne est bien simple. Vous pouvez le préparer vous même comme moi car je vais vous en dire la recette. il se compose de : Térébenthine 8 gros. Gentiane 2 grammes.
Tout cela compose le ciroene royal. Si vous ne voulez pas vous donner la peine de le faire vous-même, je mêla suis donnée pour vous.
Avec ce morceau de ciroene qui vous coûtera deux sous, vous aurez de quoi guérir trois cents cors aux pieds. Pour le franc que vous aurait coûté la lime chimique qui n’a jamais guéri un cor, vous aurez de quoi en guérir radicalement six mille. Rentré chez vous le soir, vous defaitez votre chaussure vous mettez le pied à nu, vous le dégagez des sueurs vous Coupez sur le ciroéne une emplâtre de la grandeur du cor, vous l’amollissez avec votre haleine et l’appliquez dessus en entortillant l’orteil d’un linge pour qu’il ne s’en aille pas. Le lendemain matin le cor est-il guéri ? Non, mais il ne fait plus de mal. Répétez plusieurs jours de suite, et le cor sera radicalement guéri.»
Une des preuves du génie de Miette, c’est qu’il n’emploie pas de compères. Il travaille seul. Ce n’est pas lui qui se servirait d’un pitre grossier qui arrête un public grossier par de sales histoires remplies de mots obscènes. Il sait qu’il a un public jeune et il ne s’est jamais permis le moindre mot a double entente, n’étaient les cornes, sa seule faiblesse. Et qui n’en a pas ?
Miette est petit et gros. Son sac à la malice est attaché par des cordons qui s’enroulent difficilement à sa taille. Il a un petit nez en l’air d’une grande finesse de dessin, qui est bien un nez d’observateur. Chose étonnante, Miette a très peu de front. Joignez à cela l’habitude de toujours avancer sur les yeux une touffe de cheveux grisonnantes. La puissance de son œil est masquée par deux paupières très-avancées, qui forment presque deux écailles d’huitre. Comme toutes les personnes qui ont des paupières de cette nature, il est obligé de rejeter un peu sa tète en arrière pour regarder en face. Une de ses épaules est un peu plus forte que l’autre, ce qui a fait avancer à quelques envieux, sans doute, que Miette était bossu. Les gens de génie ont toujours eu des détracteurs ! Miette n’est pas bossu mais il en a l’esprit.
Son organe lui a été très utile. Aussi, faut-il l’avoir entendu au moins cinq fois pour comprendre la domination qu’il exerce sur les masses. La voix de Miette est aigre et stridente. On la croirait le fruit des amours d’une girouette et d’une crécelle. Cette voix rend merveilleusement chaque phrase; elle s’enfle, elle arrive à un crescendo extraordinaire pour le mot de la fin qui retentit longuement dans les airs, comme s’il était répercuté par un écho.
Dans son intérieur de la rue Dauphine, Miette devient simple comme bonjour. Il est très-aimable avec les personnes qui vont lui rendre visite. Il apprend à faire des tours de cartes (encore un moyen de se rendre agréable en société). Il parle avec enthousiasme de Napoléon, dont il possède le portrait. Il raconte volontiers la connaissance qu’il fit avec Carle Vernet. Miette alors était obscur. Il ne s’était pas encore trouvé. Carle Vernet, grand chercheur de figures curieuses pour ses caricatures, le rencontra faisant des tours de gobelets, mais entouré d’un public pâle.
« Il attendit jusqu’à la fin » dit Miette, « et il me proposa de me faire mon portrait. Vous pensez bien, monsieur, que j’acceptai. Nous entrons chez le marchand de Vins du coin. Le peintre fait venir une bouteille à quinze. Nous buvons, le voila qui se met à en conter de toutes les couleurs. Il fait des calembours, j’en ris encore. Et puis il me dit : C’est fini, voici cent sous pour ta peine. Je ne voulais pas recevoir, moi, de l’argent d’un homme si amusant, que c’était moi plutôt qui devais le paver. Bon, que lui dis en riant, vous êtes artiste, j’en sais quelque chose, vous n’en avez pas de trop pour vous. Ah ! bien oui, il n’entend pas tout ça, il ne veut pas reprendre sa monnaie. Moi, je veux payer le vin… le vin était payé… Ah! ça camarade, je lui dis, je me fâche pour de bon ; nous allons redoubler. Garçon, une autre bouteille de quinze. Figurez-vous, monsieur, qu’il était sauvé avec le portrait, sans crier gare, sans me laisser son nom. Qu’est-ce que je vois un jour à l’étalage de Martinet, mon portrait tout craché, ma ressemblance, quoi ! Il y avait un nom au bas, Carle Vernet. J’entre chez le marchand. Il me dit que c’est un grand peintre qui fait de la caricature pour s’amuser. Je suis été trois, quatre fois chez lui, on ne le trouvait jamais. C’est si coureur ces artistes. Enfin, monsieur, il m’a porté bonheur. On a voulu voir si je ressemblais à la caricature. Il y a peut-être de ça huit ans, je travaillais sur le quai. Un vieux monsieur bien mis, décoré, s’arrête a m’écouter. Je connais ce vieux-là, que je dis à ma femme.
Après la séance, il me dit : Vous ne me reconnaissez pas mon brave ? Attendez donc un peu, je réponds, je vous ai vu quelque part. Ah ! vous êtes M. Carle Vernet, je gage. Vous avez la mémoire des physionomies, dit-il en riant. Oui, et j’ai encore la mémoire d’autres choses. Pourquoi que vous vous êtes couru comme ça de chez le marchand de vins, l’autre fois. L’autre fois, il y a dix-huit ans de cela. Il avait raison. Il était bien vieilli, bien cassé. Je n’ai pas osé lui offrir une bouteille, c’était bon dans le temps que je ne le connaissais pas. Eh bien ! les affaires qu’il me dit. Là, M. Carle, ça va et vient, je ne me plains pas. Allons, tant mieux mon ami, et il me donna une poignée de mains. Depuis j’ai su que ce pauvre vieux M. Carle était mort. Ma parole, j’ai pleuré. Tenez, j’ai là son portrait que j’ai acheté. Ah! le brave homme. Il paraît qu’Horace Vernet est son fils. Ah! sacristi, en voila un particulier pour la bataille. J’ai vu son fameux tableau de la Smalah. Eh bien, monsieur, je ne demande qu’une chose avant de mourir. C’est de pouvoir dire au fils que je pense toujours à son brave père Carle.»
Miette était ému en me racontant cette histoire. Je le quittai en songeant à ce grand cœur qui battait sous un habit de saltimbanque et je compris alors cette phrase à la Bossuet, cette pensée qu’on jurerait écrite par La Rochefoucault et que Miette a le courage de crier tous les soirs en plein air :
« UN ESCAMOTEUR EST UN HOMME QUI EST PÉTRI DU MÊME LIMON QU’UN MARÉCHAL DE FRANCE.»
On devrait écrire, en lettres d’or cet axiome sur le tombeau de Miette, au cas où il aurait un tombeau. (1).
(1) Mon admiration pour Miette date de loin. J’ai connu le célèbre escamoteur, il y aura tantôt sept ans. Alors j’étais commis-libraire sur le quai des Augustin. Bien des fois mon patron me surprit la bouche ouverte, qui est le signe de la plus profonde attention, devant les tours de Miette. Il n’est plus, hélas ! J’ai appris l’an passé, en province sa fin. Le convoi était triste et peu nombreux. Personne n’a récité de discours sur la tombe du saltimbanque. Que ceci lui serve d’oraison funèbre.
Portrait de Miette par Carle Vernet.
HISTOIRE DU PONT-NEUF 2nde partie.
Miette et Pinetti par Edouard Fournier. Edition E. Dentu (Paris, 1862).
De ces médecins du roi de Perse, laissés sur le pavé par cette majesté ingrate et peu civilisée, il resta. l’illustre poudre persane, Pinetti la vendait en 1784 sur le Pont-Neuf. Pinetti de qui l’on racontait tant de tours miraculeux. Pinetti dont certains livres d’escamotage ont gardé le nom. Pinetti qui, certain soir, mandé à la cour, enleva au duc d’Orléans sa chemise sans qu’il s’en aperçût. De ses mains d’escamoteur, la fameuse poudre, qui elle-même escamotait si bien, car dès qu’elle avait touché les dents, tartre, tache, malpropreté de toute sorte n’y paraissaient plus, la divine poudre persane passa aux mains de Miette et devint le secret de sa dynastie.
Le père, surnommé le Dragon de Paris, était physicien sur les boulevards, avec une large baraque « remarquable au dehors », dit Gouriet, par un écriteau chargé de toutes sortes de termes en ique. Ce qui prouve assez qu’au dedans tout doit être magique. Moins fier, Miette le fils revint au Pont-Neuf. Il y fit fortune. Qui ne se souvient de lui avoir en tendu crier de sa plus belle voix où vibrait la noble satisfaction de soi-même « Où je loge, messieurs et mesdames ? Où je loge ? Chez le marchand de vin! pour mieux dire, le marchand de vin loge chez moi ! La maison où il demeurait rue Dauphine était à lui. « C’est, ajoutait-il les jours de bonne humeur, en se passant la langue sur les lèvres pour déguster son calembour, c’est une des propriétés de la poudre persane. Mais ce n’est pas la meilleure, non messieurs, elle en a une multitude d’autres. Là dessus, dans un incomparable pallas renouvelé de ceux de Pinetti et dont M. Champfleury a recueilli le texte avec une pieuse exactitude, il faisait le boliment de sa poudre, au grand ébahissement de chacun, même de sa femme qui l’entendit trente ans et s’extasia le dernier comme le premier jour. Miette eut souvent d’illustres auditeurs mais aucune visite ne le flatta plus que celle de Carle Vernet qui l’appela son ami et lui fit sa caricature. Il n’en parlait que la larme à l’oeil. Ah disait-il souvent, quand il pensait à ces hommages rendus à sa gloire, « c’est qu’un escamoteur est pétri du même limon qu’un maréchal de France » II avait aussi parfois des élans d’orgueil dynastique. Je n’emprunte le nom à personne, criait-il, je me nomme du mien. je suis Miette, l’un des sept fils du Dragon de Paris. Feu mon père était escamoteur, mon frère était escamoteur, je suis escamoteur. Par malheur il ne pouvait ajouter « Mon fils sera escamoteur ». Le ciel refusa cette joie à son cœur et cette gloire au Pont-Neuf. Quand Miette mourut, il y a tantôt dix-sept ans (La Notice de M. Champfleury porte, sur la première édition, la date du 6 octobre 1845. II y dit que Miette était mort l’année précédente). Il mourut tout entier, lui et sa dynastie. C’était un vaste lambeau du Pont-Neuf qui s’en allait en attendant que le Pont-Neuf s’en allât lui-même.
Miette y était tout le présent, tout le passé. Par sa poudre persane, ses escamotages et son pallas, il rappelait Pinetti par son adresse à faire toutes sortes de coiffures avec une seule casquette, il rappelait Tabarin et son fameux chapeau, par l’emplacement qu’il avait choisi, au bout du pont. Il rappelait Descombes et Brioché. Lui parti, tous ces souvenirs semblent s’en être allés. Pleurons Miette !
A lire :
– Paris et les escamoteurs.
– L’escamoteur.
– Rêglementation sur les escamoteurs.
– Hommages aux escamoteurs.
Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Collection Christian Fechner / Didier Morax. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.