La vie de MELIES est une œuvre d’art. En elle, on rechercherait en vain l’ennui, la méthode, le prévisible. Pourquoi ce fils d’industriel abandonna-t-il les espoirs paternels pour s’adonner aux mystères de l’illusionnisme dans le théâtre rendu célèbre par ROBERT HOUDIN ? Pourquoi, prestidigitateur heureux, suivi par un public enthousiaste, riche d’une fantasmagorie dont il conservait la clé, se dirigea t-il vers la carrière dangereuse de la charge politique et de la caricature ? Il crut bon, à cette occasion, de changer même de nom et de se métamorphoser en Géo SMILE. Tout lui réussissait. Pourtant, Georges MELIES prestidigitateur, et Géo SMILE caricaturiste, n’étaient pas satisfaits. Cette réussite avait un soupçon de routine. MELIES connaissait trop les ficelles et les recettes de ses innombrables miracles pour en être lui-même dupe. Il lui fallait aller au delà du miroir, au delà de cette feuille d’argent qu’est la réalité.
Six mois après le cinématographe de Lumière, MELIES possédait déjà son premier studio, le premier studio du monde, à Montreuil-sous-Bois. Les marchands, avec leur habituelle légèreté, avaient attribué au cinéma le rôle d’un enregistreur de farces grossières et faciles. Qu’il demeurât un divertissement de kermesse était leur seule ambition. MELIES chassa les marchands de la foire et imposa la féerie, dont il se fit mage. De 1896 à 1914, il devait réaliser plus de 4000 films et tout inventer, l’exploitation commerciale, la mise en film, l’organisation corporative, le décor, la prise de vues, les truquages, le scénario, le montage, la régie, la publicité, l’interprétation, la figuration.
Autoportrait de Georges Méliès par lui-même.
La guerre et le baron Haussmann ruinèrent ses entreprises. La procédure fit le reste. MELIES sombra. Dans l’euphorie de l’après-guerre, personne ne se souvenait plus de ce Méphisto de la Croix de Malte à qui le cinéma devait tout. Bien entendu, nul ruban rouge n’ornait sa boutonnière ; les fripons et les crétins avaient épuisé le stock de la mercière. Des biographes pressés le donnèrent même pour mort. Entre temps, aux Etats-Unis, 90 négatifs de films de MELIES avaient été découverts. Il s’agissait des doubles qu’il envoyait régulièrement à sa filiale de 204 East, 38th Streets, à New-York. Le Musée du Cinéma de Los Angeles et la National Film Library du Musée d’Art Moderne de New-York, se jetèrent sur ce trésor et le disséquèrent scientifiquement. MELIES connut une gloire nouvelle, outre-mer, mais à son insu. Il n’avait pour vivre que les maigres revenus d’un commerce presque forain, un étalage ouvert à tous les vents, dans le hall de la gare Montparnasse.
C’est là qu’un jour, Léon DRUHOT le retrouva, vieilli, souriant et toujours spirituel. L’homme qui avait créé tant de mondes abstraits et connu le voyage sidéral, n’avait pour tout horizon que de méchants caramels mous et des poupées de celluloïd japonaises. Sa seule figuration était la foule anonyme des banlieusards pressés qui passaient matin et soir, les yeux enfouis dans des journaux qui entretenaient leurs angoisses. Des campagnes de presse s’amorcèrent en sa faveur. Des protestations s’élevèrent. Les margoulins du cinéma firent la sourde oreille. Mais on ne pouvait plus cacher MELIES. Avec les films découverts dans une grange par Jean MAUCLAIRE, ses nouveaux amis organisèrent un gala mémorable qui surprit le public, laissa pantelants les metteurs en scène dernier cri, et donna du courage à ceux qui avaient su aimer le cinéma. Un « snobisme MELIES », malheureusement cultivé par ses thuriféraires, faussa quelque peu cette renaissance du grand homme. Les derniers lampions éteints, on passa à d’autres exercices de rhétorique. Les Mémoires de MELIES, rédigés de sa main, illustrés de quatre-vingts photos de l’époque, furent offerts sur la place de Paris pour un forfait humiliant de deux mille francs. Aucun éditeur n’en voulut.
MELIES pouvait mourir. C’est ce qu’il fit avec la bonhomie et la ponctualité qui lui étaient coutumières. Au cours de ses dernières années, l’illusionniste avait perdu ses plus solides illusions. Ses jours s’écoulaient paisibles dans le Château du Cinéma, où il avait été admis par faveur spéciale, et avec quelque entorse aux statuts. Cette vie, où la réalité pouvait se transformer en rêve quotidien, fut une continuelle création. Il faut croire que le secret de MELIES n’a pas été tant d’amuser les autres que de s’amuser lui-même. Il sut s’amuser prodigieusement de la vraisemblance qu’il donnait à sa fantaisie autant que de la sottise de ses contemporains.
Maurice BESSY et LO DUCA. Auteurs de « MELIES MAGE ».
Bibliographie :
– Cinématographe, invention du siècle de Emmanuelle Toulet (Découverte Gallimard, 1988).
– Georges Méliès, l’illusionniste fin de siècle ? de Jacques Malthête et Michel Marie (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1997).
– Pour une histoire des trucages de Thierry Lefebvre (Revue 1895 AFRHC n°27, 1999).
– Méliès, magie et cinéma de Jacques Malthête et Laurent Mannoni (Fondation Electrique de France, Paris musées, 2002).
– L’oeuvre de Georges Méliès par Laurent Mannoni (Editions de La Martinière, 2008).
– Georges Méliès l’enchanteur de Madeleine Malthête-Méliès (Editions La tour verte, 2011).
A Lire :
– Le dossier Méliès, L’homme orchestre.
– La présentation de Méliès par Caroly.
– Le compte rendu de l’exposition Méliès, magicien du cinéma.
– Le dossier Magie et cinéma.
– Le compte rendu du spectacle Méliès, Cabaret magique.
– Méliès et le Théâtre Robert-Houdin.
A voir :
– Le DVD Georges Méliès, l’intégrale !
– Le DVD Méliès, 30 chefs-d’œuvre.
– Le DVD Méliès, le cinémagicien.
– Le DVD [Méliès, Encore.
->http://www.artefake.com/spip.php?article651]
– Le DVD collector George Méliès, à la conquête du cinématographe. Livre réalisé en partenariat avec les Amis de Georges Méliès-Cinémathèque Méliès, contenant les 2 DVD précédents de Fechner productions + un DVD de films inédits (novembre 2011).
A visiter :
– Les Amis de Georges Méliès-Cinémathèque Méliès.
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