Quels ont été les moments forts de votre carrière ?
Je pense évidemment à François Truffaut avec Le Dernier Métro, Les Gendarmes, Les Fourberies de Scapin, Vive les femmes ! de Claude Confortès. Ma carrière s’est surtout faite au théâtre, j’ai été formé au conservatoire où j’ai reçu un premier et un second prix du Conservatoire National d’Art Dramatique en 1966 avec Michel Creton. Par la suite, Louis de Funès est venu me chercher pour me proposer de jouer dans le film Le Grand Restaurant, puis tout s’est enchaîné. On parle souvent de moi lors de ma période cinématographique avec de Funès, car quand j’ai tourné Les Grandes Vacances, la scène qui repassait régulièrement dans l’émission de Denise Glaser, c’était lorsque je mangeais des huîtres à la soupe au lait, cela était diffusé en boucle toutes les semaines, me permettant d’acquérir progressivement une belle notoriété. C’est l’un des rares films qui n’a pas vieilli, il demeure intemporel, en raison notamment de la mise en scène de Jean Girault qui reste très moderne. D’ailleurs, Louis de Funès était visionnaire, puisqu’à la fin de sa carrière ses responsabilités étaient tellement importantes vis-à-vis des producteurs, qu’il ne se trompait jamais et se donnait à fond dans chacune de ses apparitions. Il a démarré très tard en commençant par des petits rôles comme le pianiste dans des bars, etc. Il avait une classe formidable, c’était un homme très honnête et sympathique avec les acteurs. Il avait fait également du théâtre et quand on était de la famille, celle du théâtre de boulevard, une grande complicité s’instaurait avec lui. Il écoutait tout le monde, par exemple lorsque je suggérais un gag, il disait « j’achète ou j’achète pas », il était très proche de nous.
Plus précisément, afin de donner l’illusion d’avoir une toute autre personnalité que votre véritable caractère, comment avez-vous travaillé vos différents rôles, notamment comiques ?
Je travaillais ces rôles comme ceux plus classiques que je jouais. Quand j’ai participé au film Vive les femmes !, on m’a demandé comment je l’avais joué. En réalité, j’ai incarné mon personnage, comme on joue le personnage de « la flèche » dans L’Avare ou n’importe quel rôle classique, c’est-à-dire en se dégageant de la mémoire. En voulant donner l’illusion de la vérité, car notre travail n’est qu’une illusion. Le paradoxe sur le comédien de Diderot dit qu’il existe deux sortes de comédiens, ceux qui s’engagent à fond et qui ne contrôlent plus qui ils sont et s’investissent totalement dans leur rôle. Et il y en a d’autres comme moi qui se voient de l’intérieur et aussi extérieurement, car j’ai fait de la mise en scène. Si un projecteur tombe en panne durant ma scène, j’en ai conscience et je suis toujours prêt à rétablir les choses. Cela rejoint la thématique de l’illusion et je pense que notre travail au théâtre est un labeur d’illusion totale. Au cinéma, il vaut mieux complètement devenir le personnage, alors qu’au théâtre nous le reprenons et le contrôlons. L’expérience aide évidemment beaucoup à se détacher de tout cela. Il faut toujours sauver les situations, il faut constamment avoir un tour de plus dans son sac si jamais l’un d’eux rate, tout comme en magie.
Le slapstick, constituant un genre d’humour impliquant une forme de violence physique volontairement exagérée, a-t-il aussi été une source d’inspiration pour construire vos rôles ?
Absolument pas, je tiens à souligner que mes rôles ne sont pas du tout inspirés du slapstick, contrairement à ce que l’on pourrait parfois penser. Ce n’est pas mon truc, à la différence du personnage de Mister Bean qui est parfaitement en phase avec cet art. Mon travail d’un rôle comique se construit à partir de la réalité, alors que le slapstick est une marionnette. Moi j’ai été formé à Paris, avec comme première pièce, une oeuvre de Georges Feydeau, jouée aussi par Jean Le Poulain, Zizi Jeanmaire et Pierre Mondy. Feydeau à cela de merveilleux qu’on part de la réalité, jusqu’à arriver à une situation toute autre en raison du caractère du personnage, etc. Tandis que le slapstick c’est vraiment le bâton de la Commedia dell’arte, ce bâton fendu avec lequel les comédiens se tapaient dessus, générant un bruit terrible ! De Funès, quant à lui, partait aussi de la réalité, et non de la grimace, pour créer le comique.
Pouvez-vous nous parler du lien que vous faites entre la misdirection en magie et le théâtre ?
L’art du théâtre est de la misdirection en permanence, à la fois pour l’auteur, pour l’acteur et pour le metteur en scène bien-sûr. On doit conduire la pensée du spectateur, c’est exactement l’art de la misdirection, l’emmener à s’intéresser à une ligne qui n’est pas toujours celle de la vérité. Comme le théâtre c’est des gens qui se rencontrent à un endroit où ils ne devraient pas se parler, qui connaissent des choses que les autres ne savent pas, c’est exactement comme lorsque l’on manipule des cartes pour réaliser des illusions.
Vous avez joué dans le film Les Gendarmes et les Extra-terrestres où il y a quelques gags dignes de Gaston Lagaffe comme la fausse soucoupe volante, la casquette en feu de Louis de Funès, etc. Quel regard portiez-vous à l’époque sur ces effets spéciaux ?
On ne trouvait pas ça terrible avec l’équipe, notamment cette soucoupe volante, car il y avait à l’époque des effets spéciaux qui étaient remarquables. Tout comme les personnages des extra-terrestres qui étaient dignes des personnages à la Hergé, à la Tintin, c’est aussi simple que cela, ils ne sont pas compliqués, ce ne sont pas des aliens. L’idée géniale du film c’est le fait que ces extra-terrestres rouillent et boivent de l’huile. Ce qui était intéressant aussi, c’était les premiers effets d’illusion du véhicule qui avance, lorsqu’un paysage défilait derrière leur voiture donnant l’impression, par un plan séquence, que le véhicule avançait aussi. Cela existait depuis longtemps, aujourd’hui c’est surtout l’utilisation du fond vert qui est très efficace, comme à la télévision.
Dans l’un des épisodes des Gendarmes à Saint-Tropez, la 2CV perd une partie de sa carrosserie, tout comme le désossement en mille morceaux de cette même voiture dans Le Corniaud. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
À vrai dire, je n’étais pas là lors de cet effet, en revanche j’ai vu des cascades dans le film du Gendarme et les Extra-terrestres qui étaient incroyables, on voyait des voitures faire des sauts périlleux, des tonneaux, réglés par Rémy Julienne ,un très grand spécialiste des cascades auto, c’était extraordinaire.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la magie ?
Quand je suis né en 1943 mon grand-père avait fait la guerre de 1914, il était officier à la restitution du cheptel en 1920 et il avait vécu à Baden-Baden chez un magicien. Et dans les jouets que j’avais en 1945, il y avait un tube Raymond, des boules Excelsiors, un sac à l’oeuf, ainsi que deux ou trois accessoires qu’il avait ramené de l’appartement de cet illusionniste. C’était mes premiers jouets et je ne savais pas comment cela fonctionnait à l’époque. Puis, beaucoup plus tard, j’ai trouvé les deux tomes de Rémy Cellier : Manuel pratique d’illusionnisme et de prestidigitation, expliquant très bien comment cela fonctionnait. Puis, tout au long de ma vie, je me suis constitué une belle collection d’ouvrages de magie.
Vous êtes féru de magie, notamment de close-up, il me semble que vous avez beaucoup appris au travers des enseignements de Bernard Bilis. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Évidemment, j’ai appris au travers des vidéos de Jean-Pierre Vallarino, mais surtout de Bernard Bilis qui était le fils de l’un des professeurs de mon école, Teddy Bilis, brillant acteur, lorsque j’étais au centre de la rue Blanche. J’avais noué au fur et à mesure une amitié avec lui, cela m’amusait beaucoup de savoir que Bernard était le fils de l’un de mes enseignants.
Avez-vous quelques anecdotes que vous souhaiteriez partager ?
En effet, lors d’un tournage avec Michel Galabru, nous avons été intronisés au sein de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin au Château du Clos de Vougeot. Au cours de notre périple en train, une dame qui était dans notre compartiment, m’a prise à partie en me donnant l’ordre de lui signer un autographe au nom de Monsieur Jacques Villeret. Pensant au départ que c’était une blague, je lui ai alors répondu, « Mais Madame, je ne suis pas Monsieur Villeret » et à ce moment-ci elle continua sans relâche durant dix minutes, « mais vous n’êtes pas incognito ». « Je suis d’accord pour vous faire un autographe à mon nom », et Monsieur Galabru lui dit alors « Madame, vous voyez bien qu’il s’agit de Maurice Risch ». Et soudain, elle se tourna vers lui en disant « quant à vous Monsieur Piéplu on va se voir dans deux minutes ! » Au passage, je tiens à souligner que j’apprécie beaucoup Dijon et Beaune, j’y suis venu à plusieurs reprises pour jouer et voir des amis, tout en me délectant de quelques bons verres de Bourgogne.
Interview réalisée en novembre 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Maurice Risch / Coll. Christian Laurent / Coll. S. Bazou. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.