Livret : Frédéric Boyer. Mise en scène : Thomas Jolly. Direction Musicale : Franck Ollu. Décors : Bruno de Lavenère. Costumes : Sylvette Dequest. Lumières : Antoine Travert. Assistante mise en scène et dramaturge : Katja Krüger. Chef de chœur : Richard Wilberforce. Chef de chant : Yoan Héreau.
Le monde souterrain de Macbeth :une forêt inextricable d’arbres morts comme frappés par la foudre sous un ciel tourmenté où s’inscrit en lettres fluo : « Ici on peut voir un tyran. » impressionne le public dès son entrée dans la salle. Hécate, déesse de la nuit et de la mort, haut perchée dans des atours élisabéthains, convoque le couple maudit. « Regardez, ils reviennent encore sur la scène », chante John Graham Hall (ténor) qui incarnera plus tard le Portier de l’enfer, oracle à ses heures. Car nous sommes aux portes de l’enfer : Macbeth et sa Lady, âmes errantes et fantômes crépusculaires, apeurés par l’image d’un homme en sang avec un poignard planté dans le dos, et d’un enfant de blanc vêtu. Tous habillés de costumes immaculés… Des branches d’arbres, surgissent les Sœurs bizarres, avatars des trois sorcières dans Macbeth de Shakespeare. Harpies harceleuses et moqueuses à l’éclatante chevelure rouge, elles apparaissant de tableau en tableau et chantent leurs prophéties obsédantes et mensongères pour aiguiser l’appétit de pouvoir de Macbeth.
Ces créatures de la nuit lui tendent un poignard fantôme et répètent : « Beau est noir, noir est beau. » Elles hantent aussi les rêves de Lady Macbeth et chantent un Requiem pendant le couronnement macabre des époux meurtriers… Macbeth Underworld nous emmène dans le cauchemar et les méandres de leurs âmes coupables. Condamnés à revivre éternellement leurs crimes odieux, ils sont poursuivis par les spectres de leur victime et celui d’un enfant inconnu : un fils du roi qu’ils ont fait assassiner ? Ou un bébé mort-né arraché du sein de Lady Macbeth ? « Pauvre petit oiseau » chante Macbeth. À la fin, le mystérieux garçon le terrassera, avec sa voix d’ange devenue poignard.
Pour revisiter Shakespeare, Pascal Dusapin a écrit sa partition en collaboration étroite avec Frédéric Boyer. Cet érudit, traducteur de Shakespeare, de la Bible et Saint-Augustin, est par ailleurs poète et directeur des éditions P.O.L. « Ça s’est fait comme ça, mot à mot », dit le compositeur. Ainsi, la musique colle au texte anglais, et inversement. Tout est chanté sans ouverture ni transitions. La pièce est resserrée sur la descente aux ténèbres du couple dans une suite de fantasmagories, jusqu’à la folie suicidaire de Lady Macbeth et au ressassement aveugle de son mari. Ils rejouent avec les mots de Shakespeare, réduits à l’os par l’adaptation, pour en extraire la substantifique moelle : « Nous avons préféré, dit Frédéric Boyer, créer avec Pascal Dusapin, une sorte de digression noire et enchantée de l’œuvre et de son mythe. »
Bruno de Lavenère matérialise cet outre-monde sinistre avec une scénographie où les branchages avancent et s’écartent pour laisser surgir les hautes tours du château et un lit conjugal dans les appartements imposants des époux. Grâce à un habile jeu de cache-cache, les interprètes apparaissent puis disparaissent dans le clair-obscur, montent des escaliers, escaladent les arbres… Thomas Jolly impulse un mouvement perpétuel en rythme avec la musique qui éclate en larges jets instrumentaux, joués par l’orchestre de l’Opéra national de Lyon, sous la direction musicale délicate et puissante de Franck Ollu.
Parmi les nombreux vents et cordes, les instruments de bruitage, on entend aussi un archi-luth (luth ténor au long manche de théorbe), emblématique de l’époque élisabéthaine. Katarina Bradić, mezzo-soprano vibrante et souple, épouse les lamentos de Lady Macbeth. Jarrett Ott, baryton à la voix puissante et ductile, passe par tous les états d’âme de Macbeth. Les Weird Sisters (Sœurs bizarres) Maria-Carla Pino Cury, Mélanie Boisvert et Melissa Zgouridi mêlent leurs tessitures acidulées.
Sans effets spectaculaires, cet opéra à la mise en scène parfaitement huilée et au grand pouvoir visuel et musical, nous emmène dans le monde fantastique – mais en plus sombre – des mythologies celtiques à la Tolkien. À travers Shakespeare et sans le paraphraser, Pascal Dusapin et l’équipe artistique parlent d’un monde de bruit et fureur, peuplé de nos cauchemars contemporains et habité par des souverains sanguinaires. À la fin, Macbeth devient un monstre de foire et on peut voir, les mots du début peints sur un écriteau : « Ici, on peut voir un tyran. » Une mise en garde contre le recul de nos démocraties ? Cette question est encore plus criante depuis que le spectacle a été créé en 2019 au Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles.
Article de Mireille Davidovici. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Stefan Brion – Opéra Comique. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.