Extrait de la revue L’Illusionniste, N°84 de décembre 1908
« Nul n’est prophète en son pays ». Le célèbre magicien Comte, né à Genève le 22 juin 1788, faillit apprendre, aux dépens de sa vie, la vente de ce proverbe. En effet, accusé de sorcellerie par des paysans suisses, il fut par eux fort malmené et sur le point d’être brûlé tout vif dans un four à chaux. Mais son talent qui l’avait perdu, heureusement le sauva. Grâce aux ressources de son art de ventriloque, il suscita des voix démoniaques qui semblaient sortir du four et mirent en fuite ses bourreaux effrayés. Cet accident n’amoindrit pas sa passion pour la magie en faveur de laquelle, d’ailleurs, il avait déjà abandonné l’étude du droit. Il obtint bientôt une telle célébrité que Louis XVIII lui décerna le titre de «Physicien du Roi » à la suite d’une sensationnelle représentation que Robert-Houdin raconte dans ses Mémoires et au cours de laquelle Comte se révéla parfait Courtisan. Le même enthousiasme L’accueillit à la cour du roi de Prusse et de divers autres souverains. C’est qu’en effet son habileté était prodigieuse, et nul prestidigitateur ne l’a dépasse dans ses tours d’adresse, dans ses boniments, ses lazzis et surtout ses mystifications dont quelques unes sont devenues légendaires. La ventriloquie en faisait les principaux frais ainsi qu’on peut le lire dans les anciens recueils, notamment dans le Manuel des Sorciers, de De Fontenelle.
En 1812, Comte ouvrit un théâtre de Magie rue Dauphine, dans la salle dite des «Jeunes Elèves», d’où, en 1817 il passa dans celle de l’ancien cirque Franconi, rue du Mont Thabor, puis à l’Hôtel des Fermes, rue du Bouloi, sous le nom de Théâtre des Nouveautés. Ayant obtenu, un peu plus tard, l’autorisation de faire jouer de petites pièces par les enfants, il alla établir ce nouveau « Théâtre des Jeunes Elèves » passage des Panoramas. Enfin, encouragé par un succès toujours croissant. Comte se fit spécialement construire une salle de spectacles passage Choiseul. C’est celle-là qui, considérablement agrandie, sert aujourd’hui à l’exploitation des Bouffes-Parisiens. Ce petit théâtre Comte qui dura jusqu’en 1855, après même que son fondateur s’en fut retiré, fut une véritable pépinière d’artistes dont plusieurs, par la suite, marchant sur les traces de leur maître, se firent remarquer sur les grandes scènes parisiennes. Comte mourut à Rueil en 1859, le 25 novembre.
Note de Didier Morax
Il y a quelques années j’ai eu la chance de retrouver Gérard Comte-Offenbach, qui était le descendant de la famille et responsable de la conservation et de la transmission ultérieure du Livre de Raison de Louis Christin Comte (il faut lire CHRISTIN et ne pas transformer comme beaucoup l’on fait). Il y avait les lettres de remerciement des principales cours d’Europe, un document signé du Roi de France, les autorisations et les plans relatifs à la construction du Théâtre, le livre des comptes relatant les différentes interventions dans les salons huppés, ainsi que de nombreux autres documents. Mon ami Christian Fechner, m’a poussé pour que j’obtienne le plus de renseignement possible sur Comte « Physicien du Roi », et je pense que notre numéro de duettiste bien rodé depuis de nombreuses années nous a permit d’obtenir une mine énorme de renseignements sur ce grand magicien dont nous n’avions que très peu d’informations. La plupart de cette collecte de renseignements à permis à Christian Fechner de conforter ses idées sur les liens qu’ont Entretenus Robert-Houdin, le nouvel arrivant sur la place de Paris et Comte l’Ancien bien établis.
Caricature de Louis Comte.
Toute cette histoire découle du fait qu’un jour Christian m’avait parlé de la relation entre Comte et Offenbach. J’avais enregistré l’information, et plus tard une simple carte de visite « Comte Offenbach Député à Blois » trouvée dans un amas de documents, passa d’abord inaperçue car j’avais enregistré Comte comme titre et non comme nom. Heureusement que quelques secondes plus tard, alors que le document était déjà submergé, mon cerveau se dégrippa et que le travail de recherche pu commencer. Aujourd’hui je vous fais part de cette anecdote car je pense qu’une simple information enregistrée dans un coin de notre tête peu un jour provoquer le déclic sur de nouvelles découvertes. Je pense que Christian avait découvert la relation entre Comte et Offenbach en lisant la Baguette magique du Prof. REX, que je vous livre ci-dessous.
La Baguette magique N° 8 (3ème série) 1958
D’un magicien à l’autre…par le Prof. REX
On sait que M. Comte, physicien du roi, né à Genève, – la Rome protestante – le 22 juin 1788, Créa à Paris un Théâtre de magie en 1812, lequel après avoir occupé plusieurs salles différentes fut transféré le 23 janvier 1825 au passage Choiseul. Encouragé par le succès, le magicien avait fait construire une salle expressément pour lui qu’il exploita jusqu’à sa mort. Dès 1855, le maestro Jacques Offenbach prit possession de la scène de cet établissement qu’il baptisa « Bouffes Parisiens ». En 1864, il fut procédé à l’agrandissement de ce dernier. Tout s’explique pour ceux qui n’ignorent pas que le fils du prestidigitateur – Charles Comte- étant resté propriétaire et directeur de ce théâtre depuis le décès de son père en 1854, devint le gendre d’Offenbach. Est-ce par amour que le fils de l’escamoteur renonça à la prestidigitation ? N’avait-il peut-être par son envergure et son talent ? La concurrence du Théâtre Robert-Houdin ouvert en 1845 n’était-elle pas trop forte ?
Séance de Fantasmagorie vers 1812 (Affiche : François Binetruy).
Un fait est certain, c’est que l’héritier du « physicien du roi » fut pour beaucoup dans l’apparition de l’opérette sur les scènes françaises. C’est le 9 août 1865 que Charles Mottet, maire d’ Etretat, unis par les liens du mariage Berthe-Céleste-Marianne Qffenbach, née le 26 Septembre 1845 avec Charles Comte. Le mariage religieux fut célébré le lendemain. Béni d’abord à la sacristie – le marié étant protestant – il fut suivi d’une messe solennelle emplissant les voûtes romanes d’une musique très spéciale écrite par Offenbach lui-même. On imagine qu’il dur transposer en… musique sacrée, certains flons-flons de sa musique légère. Nous devons à J. Brindesont-Offenbach de savoureux détails sur le tandem Comte-Offenbach. (Voir Offenbach, mon grand-père, édition Plon, 1940). Ce qui est conté à ce sujet est certainement authentique et mérite de trouver place dans la documentation de La Baguette Magique.
Qu’on en juge :
Charles Comte était le fils de Louis Comte, Physicien du roi et ventriloque réputé, non seulement à la cour de France, mais dans toutes les cours d’ Europe. En 1812, Louis Comte fonda, passage Choiseul, le Théâtre des Jeunes Elèves où, pendant plus de 35 années il donna des spectacles sains, honnêtes, ainsi que l’affirmait son prospectus :
Par les mœurs, le bon goût, modestement il brille,
Et, sans danger, la mère y conduira sa fille.
En dehors de ces spectacles de fééries, de drames, de vaudevilles, pièces morales et enfantines, Louis Comte poursuivait ses séances de Magie, Prestiges, Illusions, Nouvelles Fantasmagories et Ventriloquies. Il donnait également des soirées en ville et à domicile (de 60 à 500 francs). Un soir que Louis Comte opérait sur la scène, sa femme, qui demeurait dans l’immeuble du Théâtre, mit au monde un fils, Charles. On prévint aussitôt l’heureux père qui donna à la nourrice l’ordre de descendre dans les coulisses avec l’enfant. A ce moment le prestidigitateur faisait sortir des colombes d’un chapeau haut-de-forme. Mais ce n’est pas tout, dit-il aux spectateurs émerveillés. Je vais à présent extraire de ce chapeau nullement préparé, je vous prie de le croire… Regardez de tous vos yeux… un nouveau-né que j’ai le plaisir de vous présenter ici, tout en vous informant que l’enfant et la mère se portent bien. Sous les applaudissements d’un public éberlué, le poupard fit ainsi de fort bruyant débuts dans notre monde, en pleurant et en criant ; il devait pourtant prendre goût à cette rampe et à cette scène des Bouffes-Parisiens.
La nonne sanglante, scéance de fantasmagorie par M.Comte et M.Scribe.
On comprend que ses premiers pas symboliques sur les planches paternelles l’aient attaché à la maison. Si Charles Comte, malgré cela, ne fut pas attiré par le Théâtre, nourri dans le sérail, il en connu tous les détours et sut se montrer un excellent administrateur. Sa face ronde et son visage souriant attiraient la confiance; il se dégageait de lui une sympathie réelle. On comprend qu’après avoir séduit Offenbach, il ait conquis le cœur de sa fille Berthe. Rempli de qualités justement appréciées, diplomate, habile à convaincre, fort en affaires, d’une roublardise souvent machiavélique, Charles Comte n’échappa pas aux railleries des siens qui plaisantaient ses défauts. Un surtout, dominait : Son économie poussée à l’excès.
COMTE exécutant le tour Le roi de tous les coeurs.
Offenbach s’amusait de ces fantaisies et par principe donnait toujours raison à son gendre contre sa fille. II estimait Charles, travaillait avec lui, par conséquent il ne se mêlait jamais aux dissentiments et aux querelles qui pouvaient diviser les époux. Avec la collaboration de son gendre il consacrait tous ses soins à l’opérette qui venait de naître car après lui avoir donné le jour il fallait encore l’élever et la bien élever. Curieux berceau d’ailleurs pour ce genre si français. L’opérette vint, en effet, au monde à Marigny, dans la petite salle en planches du physicien Lacaze, pour s’épanouir un peu plus tard au Théâtre Comte, physicien du roi. Mais de Lacaze, de Comte et d’Offenbach, il semble bien que ce dernier fut le magicien le plus étonnant, l’enchanteur le plus original qui sut, par ses propres moyens et sans imiter personne, amuser, distraire et éblouir, non seulement sa génération mais l’humanité tout entière et cela jusqu’à la consommation des siècles.
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