« …des principes généraux qui s’appliquent à tout. Puisse mes héritiers, en lisant l’Art de faire illusion, trouver un moyen sûr de se garantir de l’erreur ! »
1- N’avertissez jamais du tour que vous allez faire, de crainte que le spectateur, prévenu de ce que vous voulez produire, n’ait le temps d’en deviner la cause.
2- Ayez toujours, autant qu’il sera possible, plusieurs moyens de faire le même tour, afin que si on en devine un, vous puissiez recourir à un autre & vous servir de ce dernier pour prouver qu’on n’a rien deviné.
3- Ne faites jamais deux fois le même tour à la prière d’un des spectateurs, car alors vous manqueriez contre le premier précepte que je viens de donner, puisque le spectateur serait prévenu de l’effet que vous voudriez produire.
4- Si on vous prie de répéter un tour, ne refusez jamais directement parce que vous donneriez alors mauvaise opinion de vous en faisant soupçonner la faiblesse de vos moyens. Mais pour qu’on n’insiste point à vous faire la même demande, promettez de répéter le tour sous une autre forme & cependant faites-en un autre qui ait un rapport direct ou indirect avec celui qu’on vous demande. Après quoi, vous direz que c’est le même tour dans lequel vous employez le même moyen présenté sous un autre point de vue. Cette ruse ne manque jamais de produire son effet.
5- Si vous faisiez toujours des tours d’adresse – comme ils dépendent tous de l’agilité des mains, le spectateur, continuant de voir les mêmes gestes, pourrait enfin deviner vos mouvements. Faites donc successivement des tours d’adresse, de combinaison, de collusion, de physique, etc., de sorte que le spectateur se trouve dérouté en voyant presque toujours les mêmes effets, quoiqu’ils appartiennent à des causes disparates.
6- Quand vous emploierez un moyen quelconque, trouvez toujours une ruse pour faire croire naïvement & sans affectation de votre part, que vous employez un autre moyen. S’agit-il par exemple d’un tour de combinaison, faites, s’il y a lieu, comme s’il dépendait de la dextérité des doigts & si, au contraire, c’est un tour d’adresse, tâchez alors de paraître maladroit.
7- Si vous faites des tours dans un petit cercle composé de demi-savants, ou de gens trop paresseux pour se donner la peine de réfléchir, il n’y aura pas grand inconvénient à faire indistinctement les nouveaux tours & les anciens, les simples & les compliqués. Mais s’il s’agit d’amuser une grande assemblée & de paraître sur un grand théâtre où il y aura vraisemblablement des gens instruits & des furets de bibliothèques, gardez-vous de donner comme inconnus des tours expliqués dans des livres & souvenez-vous qu’il est absurde d’intituler un livre « Recueil de Secrets » parce qu’un secret quelconque cesse de l’être quand il est imprimé.
8- Ne lisez donc les livres que pour vous mettre au pair de vos contemporains & pour savoir si ce que vous inventez a déjà été inventé par d’autres. Sans cette dernière précaution, les gens de génie présentent souvent comme nouvelles des inventions très anciennes parce qu’ils ne font pas attention que les idées dont ils sont créateurs, ont pu germer dans d’autres têtes.
9- Si vous ne pouvez rien inventer quant au fond, soyez du moins inventeur quant à la forme, en rajeunissant les anciens tours par des circonstances neuves. & surtout ne finissez jamais une séance sans en faire un qui, par ses effets, sa complication & sa nouveauté, soit impénétrable à la perspicacité des plus grands connaisseurs. Par ce moyen, ils vous applaudiront au moins une fois & leur suffrage, quoique modéré, entraînera la multitude qui vous donnera le sien sans réserve.
10- Quand vous ferez des tours dans une compagnie de gens éclairés, gardez-vous bien de vous attribuer un pouvoir merveilleux & surnaturel. Cette prétention, trop exagérée, vous ferait passer pour un imposteur & l’on refuserait de vous croire dans d’autres cas où vous pourriez dire la vérité. Contentez-vous de faire entendre que l’effet dont il s’agit dépend d’une cause non commune. L’extraordinaire, quoique naturel, sera aussi amusant pour des gens d’esprit, que le merveilleux pour le vulgaire.
11- Ne faites jamais un tour sans avoir préparé des subterfuges & des réponses captieuses pour les arguments solides qu’on pourrait vous opposer. Je dis « pour les arguments solides », parce que les objections mal fondées n’ont pas besoin d’être prévues pour être faciles à résoudre.
12- Profitez adroitement de tous les hasards & des différents degrés de crédulité qui vous tomberont pour ainsi dire sous la main. Les hasards favorables se présentent souvent mais il n’y a que les gens d’esprit qui sachent les mettre à profit.
13- Si on vous donne à deviner des tours dont vous n’avez pas été témoin, tâchez d’en élaguer toutes les circonstances que la renommée & la crédulité ont pu y entasser. Mais si vous voyez faire un tour qui vous soit inconnu, ne cherchez pas à le deviner en supposant que vous venez de voir des effets réels. Car, puisque les tours concilient toujours en des apparences trompeuses, vous vous écarteriez du but en cherchant la réalité.