Simonide de Céos, poète et orateur grec, est invité ce jour là par Scopas à participer à un banquet. A l’époque, engager un poète lors d’un repas pour divertir les convives était monnaie courante. C’est la coutume : dès lors qu’un lutteur gagne un combat, il invite ses amis à fêter sa victoire. Et Scopas est un grand lutteur.
Alors que Simonide récite ses textes, un des serviteurs de Scopas l’informe que deux personnes demandent à lui parler à l’entrée de la maison. Simonide s’excuse, prend congé, et sort. Personne ! A cet instant précis, la demeure de Scopas s’effondre, tuant sur le coup tous les invités. Simonide, seul rescapé, a-t-il été sauvé par les dieux ? Nul ne le sait. Toujours est-il que, grâce à ses techniques de mémoire, il est capable de retrouver l’emplacement exact de chacune des victimes qui sont ainsi restituées à leurs familles. Cette fameuse technique, la méthode des lieux (LOCI), consiste à placer des informations sur un trajet réel ou imaginaire afin de les retrouver un peu plus tard.
La mémoire est une faculté qui a toujours fasciné. Cette capacité à restituer une ou plusieurs informations étonne la plupart des gens, bien conscients des limites naturelles de leur mémoire.
Les procédés mnémotechniques trouvent leur source dans l’Antiquité, et même sûrement bien avant, où la transmission du savoir se faisait par oral. Un métier existait à cette époque, celui de poète, d’orateur. Son rôle consistait à transmettre le savoir de villages en villages. Et bien entendu, il devait donc mémoriser le plus fidèlement possible ce qu’il avait appris. D’où l’intérêt d’astuces pour aider cette fragile mémoire.
C’est Mnémosyne, déesse grecque et fille de Gaia et d’Uranus (le Ciel et la Terre) qui a donné son nom à la mémoire. Son aventure avec Zeus lui a permis de donner naissance à neuf filles, connues sous le nom des neuf muses, protectrices des arts, des sciences et des lettres. Dès lors, on a associé la mémoire au savoir : sans elle, il n’est pas possible d’apprendre, de progresser et donc de diriger. C’est d’ailleurs l’adage qui le dit : « Le savoir est une arme… ».
Très tôt, donc, les anciens ont compris que la mémoire fonctionnait par association et qu’il fallait rattacher une information à une autre parfaitement assimilée. La méthode des lieux consiste à imaginer un trajet réel ou imaginaire, par exemple dans une pièce, et de définir des endroits clés.
En pratique, vous êtes dans votre salon : il y a quatre angles (les coins de la salle), mais aussi une table, des chaises, un canapé, une télévision, une bibliothèque, un tapis. Le travail en amont consiste à parcourir mentalement ce trajet :
– vous partez de la porte d’entrée du salon (endroit clé n°1)
– vous vous dirigez vers l’angle n°1 (endroit clé n°2)
– puis vers l’angle n°2 (endroit clé n°3)
– vous continuez vers l’angle n°3 (endroit clé n°4)
– puis vers l’angle n°4 (endroit clé n°5)
– vous allez ensuite vers la table (endroit clé n°6)
– vous visitez les quatre chaises de cette table (endroit clé n°7, 8, 9 et 10)
– ensuite vous allez sur le canapé (endroit clé n°11)
– puis vers la télévision (endroit clé n°12)
– vous parcourez la bibliothèque (endroit clé n°13)
– puis le tapis (endroit clé n°14)
Ce trajet pourrait être plus important, mais ce qu’il faut retenir, c’est que vous démarrez de la porte d’entrée jusqu’au tapis en passant par les quatre angles etc…
Les Anciens, grâce à cette technique (ils utilisaient évidemment plusieurs trajets), pouvaient associer des idées clés, des mots, à un trajet de leur choix. Dès lors, il leur suffisait de le parcourir mentalement pour se souvenir de ces idées ou mots clés, à partir desquels ils pouvaient disserter. Les procédés mnémotechniques sont donc des amorces pour récupérer des informations… et non pas des solutions pour « apprendre ».
Il va sans dire que c’est l’habitude qui fait la différence. Les poètes et orateurs utilisaient cette stratégie au quotidien et la maîtrisaient parfaitement.
En pratique, si vous voulez vous tester, il vous suffit de prendre 14 mots et de les associer aux endroits clés décrits ci-dessus. Par exemple :
– ballon
– stylo
– pelouse
– poteau
– ordinateur
– caméra etc…
Vous vous imaginez à l’entrée de votre salon avec un ballon, puis vous plantez un stylo dans l’angle n°1 de la pièce, semez de la pelouse dans l’angle n°2, rencontrez un poteau dans l’angle n°3, déposez un ordinateur dans l’angle n°4 et votre caméra sur la table etc…
Il vous suffit de parcourir mentalement votre trajet :
– l’angle n°1 doit vous rappeler le stylo, la table doit vous rappeler la caméra etc…
Souvent, certains auteurs précisent qu’il faut apporter une touche d’humour à ces associations. En réalité ça n’est pas tellement sur l’humour qu’il faut travailler mais bien sur l’intégration des images au trajet. Ainsi, si je vous propose d’imaginer le stylo planté dans l’angle n°1, ça n’est pas pour vous faire rire mais bien pour vous forcer à intégrer le stylo à cet angle…
Cette méthode des lieux a traversé les siècles et même les millénaires car elle est encore aujourd’hui très utilisée par les « champions du monde » de la mémoire. Encore que, il faut bien l’admettre, tout ceci reste bien artificiel. Les procédés mnémotechniques ont une réelle utilité, mais sont ils toujours adaptés ?
D’autres anecdotes historiques, vous montreront que tout n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît…
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