« Le Vieil Ezra : Je m’appelle Ezra. / J’étais le Poète de cette histoire. / J’étais né dans une maison blanche à la périphérie d’une ville du Nord. / J’étais né de Pierre et de Zocha. D’un amour sans étreinte. D’un amour inégal comme toujours. » Ainsi commence un flash-back de deux heures, avec allers et retours dans l’espace et le temps, entre un univers terre à terre et un autre onirique…
Une petite maison, comme celle d’un dessin d’enfant au milieu du plateau nu. Zocha vient de mourir : son mari, un taiseux et son frère, l’Oncle Jean, désigné comme l’idiot du village, préparent l’enterrement. Au moment de prononcer l’oraison funèbre de sa mère, Ezra perd ses mots et s’enferme dans sa chambre… Dehors, il se met à pleuvoir. L’eau recouvre le village et la rivière devient un lac.
Sur son lit, transformé en radeau, Ezra vogue vers des pays imaginaires avec un chien et un oiseau. Sous la conduite de la déesse indienne Kowagountata Papo et de Dionysos, personnages extravagants et incarnations des marionnettes de son enfance… Le jeune homme remonte le temps, rencontre des fantômes : Zocha, petite fille juive rescapée de Pologne, Monsieur Dieu, la Reine et le Roi de conte, et même Ingmar Bergman qui l’invite à une projection dans un cinéma miteux, après que son embarcation se soit échouée sur les côtes suédoises.
Autour de ce Little Nemo au pays des merveilles, la vie continue… Oncle Jean tombe amoureux, une petite fille nait des amours d’Ezra et Sarah, Pierre part dans le Sud… Ces deux mondes coexistent sur le plateau : le décor se déplie et se referme comme un accordéon, tourne au gré du récit et des lieux visités… La scénographie d’Emmanuel Clolus dévoile ironiquement les artifices du théâtre : changement à vue de costumes et décor, manipulation à découvert des guindes qui règlent les envols des objets et d’un petit peuple de marionnettes et d’effigies d’animaux, grandes et petites.
Simon Falguières se refuse à employer des effets spéciaux vidéo et a préféré rendre un hommage direct au cinéma, en projetant un vrai film en super 8 tourné par son frère Emmanuel : « Je voulais que cet espace soit celui de la lanterne magique. » Il apparait lui-même en un Ingmar Bergman fantomatique. « Cet artiste, dit-il, a une place centrale dans la pièce. Bergman adorait les marionnettes et y jouait, enfant, comme le petit Ezra. Les Étoiles emprunte aux procédés cinématographiques avec un montage faisant dialoguer plusieurs segments narratifs, le tout dans un joyeux artisanat du plateau… »
Rêve et réalité se superposent habilement dans l’écriture, comme dans la mise en scène. Au fil de séquences qui s’entrecroisent, les six acteurs jouent une quinzaine de rôles : ceux de la sphère familiale ou du peuple des fantasmagories d’Ezra, inspirée des sculptures naïves de l’Oncle Jean et de héros des contes pour enfants. Charlie Fabert, sorte d’Alice au masculin, est un Ezra plus concret qu’évanescent. Stanislas Perrin confère à l’Oncle Jean une tendresse empruntée. John Arnold joue un père bourru mais sensible. Agnès Sourdillon donne toute sa fantaisie à Zocha et à Kowagountata Papo. Pia Lagrange joue tous les rôles de jeunes filles avec piquant. Le metteur en scène confie à ses personnages quelques adresses au public pour signifier qu’on est bien dans une fiction théâtrale.
Cette féérie baroque nous révèle l’univers très personnel de cet artiste qui s’était fait connaître avec une pièce-feuilleton, Le Nid de Cendres. Une « épopée théâtrale » de six heures en quatre parties qui sera reprise en mai 2021 au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. Simon Falguières poursuit par ailleurs la création en solo du Journal d’un autre, un journal intime théâtral.
Compte-rendu de la présentation professionnelle par Mireille Davidovici et tournée prévue sous réserves. Source : Théâtre du Blog.
A lire :
– Les étoiles de Simon Falguières (Actes Sud-Papiers, novembre 2020).
Crédit photos : Simon Gosselin. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.