CARTIS (1874-1952)
Nicolas Germano Casini est né le 20 décembre 1874 à Rome. Fils d’hôteliers Romains, Nicolas est placé au séminaire car sa mère Angela ABATE n’a pas le temps de s’en occuper. Son père meurt alors qu’il n’a que cinq ans. Depuis tout jeune le petit Nicolas rêve de travailler dans un cirque. Enfant turbulent, sa mère a bien du mal à le raisonner.
En 1889, le Circo New-Haven passe à Rome. Nicolas va voir une représentation et tombe sous le charme du monde du cirque. Le soir même, à tout juste quinze ans, il fait ses valises sans le dire à sa mère et débarque dans le cirque en vue d’incorporer la troupe et d’apprendre le métier. Au vu de sa taille, de sa stature et de sa force, il évolue rapidement comme trapéziste, puis devient voltigeur. Dès cet instant, sous le pseudonyme de GERMANO, son second prénom, il s’intègre complètement dans la troupe déjà homogène de ce cirque. Il parvient à monter un numéro de barriste où il acquiert vite une belle notoriété. De succès en succès il est vite apprécié par ses pairs en produisant un spectacle déjà hors norme pour cette époque. Il traverse ainsi plusieurs fois toute l’Italie et passe les frontières pour quelques représentations en Suisse, en Autriche, au Monténégro et en Albanie.
En 1892, il a dix-huit ans, en plein succès, au milieu d’une représentation, il se brise un poignet. Il doit alors renoncer à poursuivre une carrière qui s’avérait déjà si brillante. Alors que beaucoup le dise « finit pour la scène », la chance et la persévérance lui permettent de rebondir. Le cirque est alors dirigé par Victor PINETTI, l’arrière-petit-fils du Grand Joseph PINETTI (voir généalogie des PINETTI). Pour lui faire faire de la rééducation pour ses poignets, en guise de mécanothérapie, PINETTI apprend au jeune Nicolas la manipulation et donc la prestidigitation.
Observateur, tenace, courageux, doué d’un esprit vif et inventif, il se prend de passion pour la prestidigitation et s’entraîne du matin au soir, devant la glace, à table, dans la rue, et finit par monter son propre numéro d’illusion. Il se lance alors dans ce métier, nouveau pour lui, avec une ardeur, une confiance qui ne se démentiront jamais. Il présente son numéro dans les patronages, les pensionnats, les casernes, et les hôtels. Sans cesse il se perfectionne et obtient une telle notoriété que les salons les plus riches d’Italie le sollicitent de toutes parts. En deux ans, il connait un réel succès, ce qui l’amène à se produire consécutivement dans cinquante-quatre salons sans pouvoir prendre un jour de repos.
En 1894, il retourne en Italie pour revoir sa mère. N’ayant jamais fait son service militaire il se fait arrêter par les Carabinieri et fait six ans dans la Regia Marina, la Marine Royale Italienne. Il se fait remarquer par ses supérieurs qui le charge de distraire les troupes. Il fait alors six ans de prestidigitation dans l’armée, découvrant ainsi une partie du Moyen Orient. En 1896, lors d’une permission, il vient rendre visite à sa mère, Angela ABATE. Elle décide alors de le marier, contre son gré, à une fille d’une excellente famille Romaine. De ce mariage naîtra une fille, Lydia.
En 1900, libéré de son service militaire, c’est seul qu’il décide de reprendre la route. Sa carrière de magicien peut enfin commencer. Sa première destination est l’Autriche. Il transforme alors son nom de scène de cirque GERMANO en GERMANN dont la consonance lui semble plus judicieuse. Ainsi, il se produira successivement, durant plusieurs mois, dans toutes les stations bordant les lacs de ce pays avant d’arriver à Vienne. S’ensuivent alors les tournées qu’il enchaine, il part en Égypte, revient en Italie, se produit en Prusse, en France puis c’est la Belgique, les Pays Bas et l’Angleterre. C’est en Hollande qu’il fait la connaissance de Théo BAMBERG (OKITO) et qu’ils mettent au point ensemble le numéro de La boule volante en utilisant des cheveux asiatiques, bien plus gros et mats que les cheveux européens.
Comme magicien, il retourne alors se produire au Monténégro, en Albanie puis s’embarque à nouveau pour l’Égypte et la Turquie où il travaille durant de longs mois. Son élégance et la qualité de ses prestations font qu’il est l’un des illusionnistes les plus réputés de son époque… Il est devenu l’homme des cours et des salons aristocratiques. GERMANN retourne en Italie, puis arrive en 1904 en France. Son spectacle s’est étoffé, et, lorsqu’il revient en France, c’est désormais avec une partenaire qu’il se produit. Le pays porte encore les stigmates de la guerre de 1870 et son nom de scène faisant trop germanique, il pense à changer de nom et va devenir CERMANN. Là encore, son nom d’artiste fait trop juif, après l’affaire Dreyfus qui reste encore présente dans les esprits. Il décide alors de combiner son nom CASINI avec le mot ARTISTE (son activité) et il trouve CARTIS qu’il gardera jusqu’à la fin de sa carrière.
CARTIS se produit ensuite en Belgique, dans le Nord de la France, avant de s’installer à Nice, sur la Côte d’Azur jusqu’en 1914 où les salons les plus cotés et les plus grands hôtels se le disputeront. Au cours de cette période il se sépare de sa première partenaire et rencontre à l’occasion d’une réception donnée dans les salons de l’hôtel Negresco, Mademoiselle CALDÈS qui deviendra sa nouvelle partenaire. C’est une jeune personne de la bourgeoisie locale et l’organisatrice de ce gala. Elle partagera sa vie pendant près de dix ans et sera son agent en l’accompagnant dans tous ses déplacements.
C’est à ce moment qu’il se rend compte qu’il y a un problème de concurrence entre magiciens professionnels et amateurs, qui n’engagent pas les mêmes frais. Mais en tant qu’italien, il n’a pas le droit de fonder un syndicat. Il rencontre alors Agosta MEYNIER, lui parle de son idée, et l’aide à monter l’ASAP (Association Syndicale des Artistes Prestidigitateurs) qui deviendra ensuite la FFAP (Fédération Française des Artistes Prestidigitateurs) et ensuite AFFAP. Nicolas resta membre toute sa carrière de ce syndicat professionnel et contribua à l’animer. Quand il n’est pas en tournées, il participera aux galas, une dizaine en tout et notamment les deux premiers, ceux de 1903 et 1904.
CARTIS va traverser une nouvelle fois une bonne partie de l’Europe et repasse à nouveau les frontières faisant déjà quelques premières incursions en Afrique du Nord. Il affine son style, ne pratique plus la manipulation en tant que telle mais l’intègre dans ses « expériences » afin de les perfectionner. Il exploite son côté créatif pour se démarquer de ses confrères.
En août 1914, lorsque la guerre éclate, il est à Toulon. Il a quarante ans. Étant italien, il n’est pas mobilisable, alors pour servir quand même son pays d’adoption et de cœur, tout naturellement il se fait embaucher à l’Arsenal de Toulouse. Là, il devient « tourneur-fraiseur », participant à la fabrication du matériel dont les armées ont besoin. C’est sa façon de contribuer à l’effort de guerre.
En 1915, il rencontre une jeune ouvrière de vingt-trois ans qui travaille à la cartoucherie près de l’Arsenal. Renée SAUVET est aussi une artiste de variétés depuis sept ans, une fantaisiste qui présente sur la côte un beau numéro de duettistes, les « Froux-Froux ». Elle est séparée depuis quelques temps de son compagnon et partenaire. Renée deviendra la nouvelle compagne et partenaire de CARTIS, et ce, jusqu’à la fin de sa vie. Tous deux, dès qu’ils sont de repos, donnent des galas pour les blessés dans tous les hôpitaux. Pour rajouter un peu de fantaisie et de mystère, ils décident que Renée va porter kimono et obi. Ils montent un nouveau numéro avec des décors déjà grandioses pour l’époque qui se nommera Nully CARTIS et sa JAPONNAISE.
Pendant quelques mois, ils vont sillonner le Sud-Ouest, de Toulon à Toulouse, de Bayonne à Bordeaux, de Perpignan à Narbonne, de Carcassonne, à Arles ou Sète etc. Au cours de l’année 1916, engagements militaires terminés, ils quittent arsenal et cartoucherie et leur prestation prend un nouvel essor. Pour la scène, à temps perdu, ils cherchent à créer des décors insolites. En assemblant un fatras de morceaux d’étoffes, ils réalisent des « tableaux », paysages, natures mortes ou portraits… C’est souvent en cherchant l’originalité que nait une nouvelle et grande idée, ce sera une seconde attraction… un numéro de « peintres chiffonniers ». La poésie… L’humour… L’art dans toute sa simplicité… Ils sont immédiatement appréciés et reconnus, c’est ainsi que naissent Les CERMANO’S.
Ce numéro est unique en son genre, déjà par la qualité du travail accompli sur la toile mais, en plus de ça, il est le seul et unique « peintre chiffonnier » avec des tableaux lumineux. La lumière se baisse juste après que le tableau ait été effectué. Les fenêtres, les portes, la lune s’éclairent, comme par magie, berçant les spectateurs dans une atmosphère très romantique. Puis la lumière revient petit à petit et le public peut alors découvrir à son plus grand étonnement le même tableau qui vient tout juste d’être réalisé mais sous la neige !
Les CARTIS vont bientôt étoffer la troupe avec la naissance, le 29 juillet 1917, à Toulouse de la petite Lydie. La guerre prend fin, la vie reprend et c’est le moment pour la CARTIS et Cie de reprendre la route forte de deux numéros exceptionnels. CARTIS veut faire découvrir à sa compagne le pays qui l’a vu naître, ainsi que les pays qu’il a déjà traversé avant leur rencontre. Ils se lancent ainsi, avec Lydie, dans un long périple sur les côtes adriatiques, qui se poursuivra en Turquie, en Égypte, en Tunisie, en Algérie et au Maroc.
Nous voilà en 1920, leur itinéraire repasse par la Sicile. Le 1er septembre c’est à Catane que leur seconde fille voit le jour, ils la prénomment Sébastianna. Celle-ci fera sa première apparition sur scène en 1923 sous le nom de Yolanda, elle à tout juste trois ans. Commence alors les grandes tournées familiales qui mettront à contribution toute sa famille.
CARTIS en profite alors pour monter son numéro à grande mise en scène avec un soucis du détail impressionnant pour tout ce qu’il entreprend. Il confectionne tout d’abord de splendides décors, habillement pensés et modulables, en longueur et en hauteur, suivant la taille de la scène. Ils peuvent ainsi s’adapter à toutes les scènes, aussi bien celles du Pacra ou du Petit Casino qu’à celles, immense, du cirque théâtre de L’Empire, de L’Olympia ou celle mythique de L’Alhambra. Pour ne prendre que les scènes parisiennes. Il décore avec un goût raffiné tout son matériel. Les accessoires de scène sont confectionnés avec le plus grand soin et brodés main avec la plus grande minutie par les différents membres de la famille. Une importance est donné au moindre détail. Ses tenues de scènes, il les veut magnifiques et elles sont somptueuses. Même si les costumes de ses enfants sont de très belles copies, brodées ou peintes de ses mains, les siennes et celles de son épouse sont d’authentiques tenues de mandarin chinois, payées à prix d’or. CARTIS incarne alors, aussi bien à la scène qu’à la piste, un débonnaire magicien chinois pince-sans-rire. Yolande danse et chante avec beaucoup de charme, ce qui vient rehausser un numéro déjà très homogène.
Au fil des ans, CARTIS est devenu d’une habileté manuelle remarquable. Il invente, construit et perfectionne tous ses « trucs ». Ses tableaux sont des chefs-d’œuvre de patience. Tous les tours qu’il présente sont des créations ou des adaptations. Il devient de plus en plus créatif. Parmi ses inventions, il a mystifié et dérouté les prestidigitateurs les plus avertis avec son étrange apparition de verre dans un cornet de papier. Il surprend tout le monde avec Les colombes savantes. CARTIS est aussi appelé « l’homme aux 100 gilets » car à chaque fois qu’il fait un tour il a son gilet qui change de couleur.
Son spectacle dure 2h30 à 3h00 et se compose de deux parties, une première partie en costume oriental avec la famille. La seconde partie plus classique en habit (queue de pie). A ce spectacle déjà complet, il va ajouter les CERMANOS BROS sa version unique et spectaculaire du « peintre chiffonnier ». il s’agissait de deux clochards qui récupéraient et triaient des vêtements, puis les rangeaient de manière à composer de magnifiques tableaux. Les tableaux sont de vrais chefs-d’œuvre de patience, tout le matériel est décoré avec tant de soin et de goût qu’il en est jalousé par nombre de ses confrères. Il crée vingt-huit tableaux différents et originaux pour les CERMANOS BROS La version originale en « Diorama » est électrifiée en 1920. Elle présente la plupart de ces œuvres en 3D. Les fenêtres sont éclairées, le soleil ou la lune luisent, des dégradés de lumière simulent le crépuscule ou un rayon de soleil sur une corbeille de fleurs.
Deux numéros permettaient à la troupe d’avoir deux cachets, et pour l’organisateur de la tournée, une seule troupe à transporter, nourrir et loger. Tout le monde était gagnant ! Tous les grands music-halls de France et de l’étranger leur ouvrent leurs portes, en contrepartie elles ont une garantie, c’est l’assurance de la perfection. Comme rançon de la gloire, leurs spectacles sont réservés trois ou quatre ans à l’avance.
Dans PERCHICOT, de la piste à la scène, Yolanda CARTIS témoigne de ces tournées : « Durant les tournées il fallait que CARTIS s’occupe de bien faire suivre le matériel d’une ville à l’autre pour qu’il arrive à temps, qu’il y ait quelqu’un à l’arrivée pour le réceptionner et ensuite l’amener à temps au théâtre de la ville suivante. Il devait aussi y avoir une répétition, généralement le matin, afin que l’éclairagiste et surtout le préposé au rideau sache ce que l’on voulait. Mon père ne manquait jamais, avant de partir de remettre discrètement une enveloppe avec quelques billets au machiniste du rideau. C’était la tradition, car celui-ci se souvenait des radins ou des présomptueux, et il pouvait lors d’un prochain passage nous « pourrir » facilement le numéro avec quelques manipulations de rideau au moment voulu. »
En 1925, la troupe CARTIS s’installe en Avignon puis à « Cette » (Sète) d’où elle rayonne en France et en Afrique du Nord. En 1927 les CARTIS et Cie se lancent dans une grande tournée en Amérique du Sud. En 1928 démarre une tournée française avec, comme point d’orgue, sur Paris, l’Olympia, Bobino et L’Empire. Suit en 1929, la grande et prestigieuse tournée André Perchicot dont on parlera plus tard. En 1930, c’est la naissance de Raoul, le quatrième enfant de CARTIS, en pleine tournée au Maroc, en Algérie et en Tunisie.
En 1931 la CARTIS et Compagnie monte une tournée à « grand spectacle » en association avec Mr POUPEYS qui organise depuis quelques années des tournées internationales. Pour l’occasion, CARTIS revêt sa troupe d’une fabuleuse et authentique garde-robe chinoise et la nomme THE KING-SU. La mise en scène, elle aussi, sera impressionnante. Pour ce spectacle de trois heures il sait unir les genres, de la micro-magie à la grande illusion, dans un choix de tours sélectionnés dans son inépuisable répertoire.
En 1932 démarre la tournée COLLINET en Afrique du Nord et est organisée la même année une tournée PERCHICOT. En 1933 et 1934 une tournée COLLINET est organisée en Afrique du Nord. En 1935, retour sur Paris, la CARTIS et Cie joue à l’Olympia, Bobino, l’Empire, Medrano, etc. En 1936, il passe à la télévision lors des premières émissions françaises et, notamment lors de l’Exposition Universelle de Paris. Il devient alors le premier artiste à passer à la télévision française, en compagnie de Yolande et The Great Marcel. On retrouve trace de ces émissions et quelques photos via le journal de l’ASA (ancêtre de l’AFA). Cette même année, la troupe CARTIS se produit à Paris et dans le Nord de la France.
En 1937, CARTIS collabore à la création de la revue Le Magicien d’André MAYETTE et écrit le sommaire des n°1 et 2. Tout au long de sa carrière CARTIS s’impliquera dans de nombreux projets pour aider ses amis, tout en ne dérogeant pas à sa règle, rester très discret. En 1938-1939 démarre la tournée avec le Cirque POUTIER qui est suspendue pour cause de guerre. De 1939 à 1946 les CARTIS et Cie se produiront principalement en région parisienne pour cause de guerre.
De 1946 à 1949 CARTIS abandonne progressivement la magie à cause de sa maladie (sûrement Parkinson). Il se produit toujours avec les CERMANO’S. En 1950, à l’âge de soixante-quinze ans, il est contraint et forcé, par sa maladie, d’abandonner la scène. La même année Raoul CARTIS crée Les CARTIS et les CERMANO’S, la relève est assurée. Quand on lui demandait pourquoi il ne se fait pas naturaliser français, CARTIS répondait tout le temps : « On ne fera pas un bon français d’un mauvais italien. » Ce qui le desservira de nombreuses fois. Il n’avait, de ce fait, pas accès aux mêmes droits que les français. Ainsi, malgré qu’il ait servi à l’Arsenal, pendant la Seconde Guerre mondiale, il n’a jamais eu droit à son masque à gaz pendant la Seconde Guerre mondiale car c’était un italien, alors que sa femme et ses enfants en ont eu un.
CARTIS avait l’habitude de prendre sous son aile d’autres artistes. Son impresario Émile AUDIFFRED, qui était aussi le directeur du Théâtre de l’Empire (cette agence fusionnera plus tard avec celle de « Roger Audiffred et de Charley Marouani ») lui permis d’aider les talents qu’il avait découvert. Ce fut le cas avec le cycliste mondialement connu PERCHICOT qu’il rencontra en 1917 alors qu’il faisait de la prestidigitation dans les hôpitaux militaires. Jeune ingénieur et champion cycliste de vitesse sur piste (France 1912 et Europe 1913), André PERCHICOT alors dans l’aviation est abattu en 1916 par les Allemands. Après une longue période de convalescence, souhaitant se reconvertir dans la variété, CARTIS lui présente après la guerre ses connaissances. Lui mettant ainsi le pied à l’étrier, sa carrière décolla d’une manière spectaculaire. Il deviendra le célèbre fantaisiste qu’on connait, enregistrant plus de 200 tubes, tournant sept films dans les années 20, ce qui était très rare à cette époque et organisant de très grandes tournées artistiques internationales, Les tournées PERCHICOT. CARTIS et sa famille y furent invités de nombreuses fois, notamment en septembre 1928 et en 1929 à l’Alhambra d’Alger. Cette solide amitié dura jusqu’à la fin de leur vie. Les tournées PERCHICOT étaient toujours impressionnantes car un cortège interminable de voitures se succédaient. C’était un vrai spectacle pour l’époque.
Sur une tournée, à l’Alcazar à Marseille, CARTIS repère un jeune comique troupier embauché au pied levé pour palier à un désistement et que sa femme, Renée SAUVET, trouve vulgaire. Il le suggère à Émile AUDIFFRED pour le prendre dans la tournée. Ce jeune comique qui s’appelle alors Fernand CONTANDIN sera plus connu plus tard sous le nom de FERNANDEL.
CARTIS cédera en 1949 une grande partie de son matériel, de ses costumes, de ses décors et de ses secrets à un jeune magicien dont l’histoire trouve une répercussion avec la sienne. Le jeune Andres SANZ né à Alcala de Enares, près de Madrid fuit en 1938 l’Espagne Franquiste et arrive en France. Aidé par CARTIS, ce jeune immigré deviendra Mister SANZ et se produira vingt-cinq ans en France.
CARTIS était très apprécié de ses confrères. Voici les témoignages et anecdotes de Jules DHOTEL, d’André MAYETTE et de ROBELLY.
En 1928, dans le théâtre Le petit Casino Yolande faillit perdre son doigt dans un moulin à café et c’est le Dr Jules DHOTEL, grand ami de la famille, qui pendant des semaines l’a soigné pour qu’elle ne perde pas son doigt. CARTIS avait rencontré ce jeune et talentueux médecin pendant la guerre. Ces deux-là sont faits d’acier trempé, ce sont des perfectionnistes, ils vont toujours aux bouts de leurs idées dans leur science ou dans leur art. Avec la guerre, avec le temps, ils ont appris à se connaitre et savent s’apprécier. Cette amitié de Jules DHOTEL pour les CARTIS durera jusqu’à leurs disparitions.
Vers la fin de sa vie, CARTIS, qui ne livrait jamais ses secrets, et qui en a amené la plus grande partie dans sa tombe, consenti à révéler un de ses tours favoris, Le verre au cornet. Dans La prestidigitation sans bagages (livre VI, pages 473, tour n°1535), juste avant de décrire la routine, Jules DHOTEL précise : « je l’ai vu exécuter d’une façon magistrale par mon ami le grand illusionniste CARTIS, qui l’a depuis longtemps à son répertoire et dont elle est l’un des tours favoris. »
André MAYETTE, dans le n°1 de la revue Le Magicien dresse comme premier portrait de cette nouvelle revue celui de son ami et fini ainsi : « Comme homme, Cartis est un excellent camarade, un grand cœur ; combiné il fit des représentations devant les blessés durant la guerre ! Ajoutons à ces éloges mérités qu’il aime la France qu’il considère un peu comme sa patrie ; ayant épousé une de nos compatriotes il voulut que ses enfants fussent aussi français. On retrouve dans cette belle famille l’esprit qui a animé tant de générations appartenant au monde patriarcal des artistes de cirque et de music-hall. »
Il réapparut encore dans le n°2 pour y expliquer l’une de ses inventions Les anneaux aux colombes, puis fut encore mentionné dans le n°6 pour « sa méthode personnelle de la boule volante », technique qu’il avait mis au point avec son ami OKITO.
Dans L’Escamoteur n°39, ROBELLY rend un vibrant hommage sur trois pages à CARTIS qui vient de passer de vie à trépas et fini ainsi : « Oui ! Cartis a connu le succès, mais au prix de quel travail, de quelle patience, et c’est ce qui l’a usé. Cartis n’avait pas une maladie, il avait un coffre solide, mais il avait usé son cerveau pour l’Amour de son Métier. Il était l’honnêteté en personne, toujours prêt à rendre service ; il y avait toujours une place libre à sa table et aussi… un billet de banque sauveur sortait de son portefeuille sans qu’on le lui demande. Le 24 octobre 1952, il est parti, regretté de tous, même de ceux qui l’avaient bien oublié sur ses tristes vieux jours. Que les jeunes, surtout, qui me lisent, veuillent bien méditer ceci : Lorsqu’un homme comme Cartis est frappé par la douleur et surtout par l’âge, il est complètement oublié par ceux qui auraient pu lui apporter quelques consolations. Quelques mots coûtent bien peu, une petite visite également. Bien sûr, il en eut deux ou trois, mais c’était dans le but de lui ravir quelques secrets ou de lui quémander quelques trucs… Lui, qui avait été si accueillant toute sa vie, a été bien mal récompensé de sa grande bonté. L’oubli a été total. Et c’est bien triste, hélas ! »
Nicolas Casini décède le 24 octobre 1952, laissant l’image d’un homme discret et très apprécié de la profession, toujours là pour aider et soutenir tous ceux qui l’entourent. Issu de la bourgeoisie, son avenir était assuré. Pourtant il n’hésita pas à tout lâcher pour partir vers l’inconnu, courir l’aventure et venir enchanter des milliers de personnes. Il a rencontré la magie par hasard ou plutôt, par « accident », au sens littéral du terme, mais il fut instruit par un « Maître » et, comme on entre en religion, il entra dans cet art avec une foi et une passion qui dura jusqu’à son dernier souffle. Et cet « accident » ne fut sans doute pas étranger au fait que tout au long de sa carrière il fit attention au moindre détail, dont un seul manquement pouvait faire basculer une carrière. Il n’était pas homme à rechercher les honneurs, seul lui suffisait le plaisir du travail bien fait et l’amour qu’il partageait avec son public. Sa seule ambition n’a été que de divertir.
Yolande CARTIS (1920-2017)
Sébastianna CASINI est née le 1er septembre 1920 à Catane en Sicile. Suivant ses parents dans les tournées, la petite Sébastianna commence dès l’âge de trois ans et demi dans le spectacle en tant qu’assistante dans la grande illusion La maison de poupée. Sa sœur aînée Lydie est calme, très proche de son père et suit à la lettre ses consignes. Sébastianna, elle, au contraire, est beaucoup plus extravertie et délurée, fait preuve d’énormément d’improvisation et très tôt elle semble avoir déjà ses idées sur la mise en scène. Un an et demi après avoir été intégrée dans le numéro, un directeur de théâtre la voit en coulisses, en train d’improviser un duo de charleston avec le fils du régisseur. Impressionné, il en parle à CARTIS et lui demande d’intégrer cet intermède dans le numéro. Le succès est de suite au rendez-vous. Sébastianna est vraiment à l’aise sur scène, elle danse, chante et développera plus tard son propre numéro de magie.
Sébastianna prend alors comme nom de scène Yolande ou parfois Yolanda. Et, malgré son très jeune âge, elle sera très jeune une « Vedette » à part entière dans le spectacle des CARTIS et Cie. On retrouve très tôt la trace de Yolanda, « la danseuse miniature » dans les contrats ou les nombreuses coupures de presse qui fleurissent déjà dans les pages des quotidiens de l’époque. L’éloge fait aux CARTIS passe invariablement par Yolanda et ce, que ce soit à Paris ou à Londres, à Cannes ou bien à Nice, à Tunis, à Casablanca, Buenos Aires ou à Montevideo. CARTIS, seul, n’a plus la vedette dans ses spectacles, sa fillette aura aussi sa place dans la troupe durant quinze années.
Elle sera, en compagnie des magiciens CARTIS et The Great MARCEL, l’artiste vedette des premières émissions de la télévision française en 1936 et, notamment lors de l’Exposition Universelle de Paris de 1937. Ce fut un tournage qui dura sept ou huit heures pour seulement dix minutes d’émission. On retrouve trace de cette émission et quelques photos via le journal de l’ASA (ancêtre de l’AFA). Les souvenirs qu’André CASINI-MARSHAL a pu recueillir par Yolanda sur cet enregistrement sont assez cocasses, ne serait-ce que sur le plan du maquillage… Faire de la magie en « plan fixe » et « en buste » avec une troupe de quatre personnes… peu s’y risquerait de nos jours.
Yolande s’épanouit pleinement artistiquement. Elle est très sollicitée pour partager la scène, notamment par le duo Les MAYBERTS (André Mayette, Robert Véno) et André DELCASSAN « SANAS ». En avril 1945, elle rencontre l’artiste de music-hall et de cinéma MARSHALL’ M. Ils formeront le duo Gladys STERNER et MARSHALL. Yolande chante et MARSHALL fait un numéro de cascadeur burlesque. Yolande et MARSHALL auront deux filles et deux fils, dont André CARTIS né le 19 août 1946 à Paris, qui seul connaîtra une appétence pour la magie, perpétuant ainsi la tradition des CARTIS.
Voici quelques extrais de critiques parlant des CARTIS et montrant la notoriété de la jeune Yolande dans cette troupe.
Au Majestic-Cinéma de Sousse : «… Et voici la troupe Cartis, composée d’humoristes, pince-sans-rire, qui évoquent, à la fois, Grock et Little Tich, Benevol, les Fratellini, Clowneries et illusionnisme, magie et prestidigitation, gros succès. La petite Yolande, dans ses exercices de danses séduit le public. Elle unit avec beaucoup de fantaisie et de charme la danse classique qui évoque les beaux jours de Rosira Mauri et de Zambelli et les Javas tortillonantes, le shimmy passionné ; les tangos langoureux et le fox-trot ; fox-trottant… »
La soirée Niçoise – Casino de la jetée : «… La deuxième partie comprenait trois attractions d’une rare valeur : « Les Great Cartis », un illusionniste extraordinaire, exécutant ses tours dans de somptueux décors chinois ; une toute mignonne danseuse, Yolande Cartis, qui promet beaucoup… »
Les Cartis au Majestic de Casablanca : «… Dans un décor de rêve, voici les Cartis, illusionnistes parfaits, qui, au Majestic, obtiennent à l’heure actuelle un beau succès. A genoux près de la rampe, la petite danseuse Yolande, le charme, la grâce, la légèreté. Nous ne vous avions pas dit ce que faisaient les Cartis au Majestic. Nous vous avions laissé le plaisir de le découvrir. Maintenant, vous les avez vu, vous les avez applaudi, ce n’est donc plus un secret et vous conviendrez, comme nous, que leur numéro est tout simplement merveilleux. Ce ne sont pas les premiers illusionnistes que nous voyons sur la scène du Majestic, mais nous pouvons dire que la Direction de cet établissement a eu la main heureuse en les engageant. Leurs tours d’adresse, de passe-passe, de prestidigitation, appelez-les comme vous voudrez, sont réglés d’une façon parfaite et sont très intéressants. Et tout se passe dans un décor si évocateur de mystère que l’on se sent un peu impressionné. Les costumes sont du meilleur goût, sans aucune fausse note comme il arrive souvent. Et puis, il n’y a pas que les Cartis, il y a aussi Yolande. Yolande, c’est très peu sur la scène quand elle reste tranquille, mais dès qu’elle se met à danser, c’est une merveille. Elle est animée d’une telle ardeur et met une telle grâce dans ses gestes qu’elle vous oblige à applaudir malgré la plus mauvaise digestion ou le plus fort mal de tête.»
Raoul CASINI (1930-2008)
Raoul Casini, fils de Renée SAUVET et de Nicolas Casini dit « CARTIS » est né le 20 octobre 1930 à ARLES et décède le 8 décembre 2008. Au début des années 50, le comédien MARSCHALL’ M, son beau-frère et époux de Yolande CARTIS, l’aide à remonter le numéro de magie et de « peintre chiffonnier » de son père. Ainsi, avec Odette, son épouse et partenaire, ils feront revivre Les CARTIS et les CERMANO’S durant une quinzaine d’années avec notamment des passages à l’Alhambra, à Bobino, au Moulin-Rouge et durant deux saisons au cirque ROBBA. Le duo ne durera que jusqu’à la fin des années 60 avant qu’il ne poursuive une seconde activité de marchand forain.
André CASINI-MARSHAL (né en 1946)
Dès tout petit André est placé sous les bons hospices du music-hall puisque ses parrains et marraine civil en sont de grands noms. Ayant eu quatre enfants et ne pouvant conjuguer sa carrière artistique et sa vie de maman, Yolande placera André en pensionnat à l’âge de huit ans, il y restera cinq ans. Il enchaîne ensuite avec des études de tailleur couturier et travaillera pour de prestigieuses maisons de haute couture. Après une vie bien remplie alternant entre magie et travail, André Casini s’installe en 2009 à Tourtoirac où il ouvre le « CARTIS magic théâtre » petite salle de quarante-cinq places et propose des cours de magie. De 2012 à 2017, il s’occupera de sa mère, Yolande, qui nous quitte le 17 février 2017.
André Casini perpétue fièrement la mémoire des CARTIS en organisant des expositions et des représentations à leur mémoire. Il continue à faire vivre l’histoire de sa famille et dispose, pour ça, d’énormément d’archives (contrats, lettres, coupures de journaux, programmes de revues, photo, etc.). C’est le dernier garant de la mémoire des CARTIS.
Sources :
– Revue Le Magicien n°1 de mars 1937.
– Revue Le Magicien n°2 d’avril 1937.
– Revue Le Magicien n°6 de juin 1938.
– Histoire de la Prestidigitation de Max DIF. Couzeix : M. Roux (1974) – Tome 3, page 97.
– Revue L’Escamoteur n°39 de mars-avril 1953.
– PERCHICOT, de la piste à la scène de Michel MANTOGUT. Éditions Atlantica (Juin 2018) – pages 201-206.
– La prestidigitation sans bagages de Jules DHOTEL Éditions A. Mayette (1942) – livre VI, page 473.
– 100 ans de magie, 100 ans d’histoire. Éditions AFAP (2003).
– Revue Journal de la prestidigitation n°169 de novembre-décembre 1952.
– Journal de l’ASA (1936).
– Collection personnelle André CASINI-MARSHAL, avec l’aide précieuse de ses souvenirs et de ceux de Yolande CARTIS.
À lire :
Article publié en août 2022. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © André CASINI-MARSHAL. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.