De Maurice Maeterlinck. Mise en scène : Clara Koskas. Avec : Suzanne Ballier, Grégoire Chatain, Paul de Moussac, Léo Hernandez, Pénélope Martin, Angélique Nigris, Diane Rumani, et Randa Tani. Régie : Luck Parize. Musiciens : Romain Firroloni et Mickael Bourse. Maquillage : Sarah Dellacase et Océanne Gagnot. Scénographie : Théo Bertolotti. Costumes : Emmanuelle Bertolotti et Chloé Bussat. Création marionnettes : Théo Bertolotti et Anne Tailliez. Création lumière : Titiane Barthel.
Les visages lourdement maquillés de blanc, en robe noire sans âge, hommes et femmes posent sans regard comme pour une photo de famille Des aveugles, abandonnés sur un rivage inconnu, tels que les a imaginés Maurice Maeterlinck. Ils ont perdu leur guide, n’entendent plus que le bruit de la mer, inquiétant, et plus tard, des pas incertains… Ils expriment leur angoisse, leur patience et leur attente sans horizon, plus forte que la peur. Sont-ils à l’image de la condition humaine ? Leur vie ne serait-elle que cette attente ? En un lieu inconnu, leur cécité éloignée de l’hospice protecteur, leur fait tendre l’oreille et ils prennent en pitié les sourds : « Je plains celui qui n’entend pas. » Le disgracié se console avec le malheur d’autrui…
Cette jeune metteuse en scène a une ambition qui relève du défi : puisque le théâtre est un art total, osons tout. Elle s’est formée au théâtre mais aussi au cirque, à la marionnette… Pour ces Aveugles, elle fait référence à la tragédie antique et à la danse butô. Et le théâtre symboliste de Maeterlinck se prête à ce syncrétisme.
Les plaintes de chœurs de femmes, empruntés à Eschyle, Sophocle et Euripide, touchent à l’universelle condition humaine et permettent à Clara Koskas de rapprocher Les Aveugles, de notre époque. Comme les chants, en russe et en grec qui ouvrent dans un bel ensemble vocal, un espace à la fois hors du temps et concret. Le bruit de la mer et un percussionniste au toucher délicat évoquent discrètement une Méditerranée inquiétante et dévoreuse d’hommes.
Clara Koskas se mesure ici à un théâtre archaïque et tient le défi haut la main. Elle organise l’image avec soin, en un tableau vivant et fantomatique et la fait évoluer insensiblement, avec une maîtrise parfaite. Rythme travaillé à chaque moment avec lenteurs et éclats soudains, images mouvantes d’une grande beauté, chœurs particulièrement réussis. Le jeu est contenu – elle pourra approfondir la direction d’acteurs individuelle – et le grand lyrisme de la naissance et de la mort est réservé à deux marionnettes : le bébé de la Folle et le corps du Guide défunt, « plus grand que nous », inspirée par ce qu’elle a appris de Gordon Craig, et sans doute de Kleist.
Clara Koskas a visiblement butiné d’une formation à une autre mais a partout recueilli le pollen grâce à sa curiosité et son travail. Faire jouer huit interprètes en toute harmonie et avec énergie sur cet étroit plateau, mérite d’être salué. Un tel appétit lui permettra de se mesurer à d’autres grands textes, classiques ou contemporains.
– Article de Christine Friedel. Source : Théâtre du Blog.
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