Il y a une théorie qui circule dans le monde artistique et dans notre monde magique qui dit que le trac apparaît lorsque l’artiste ne s’est pas suffisamment préparé à la situation dans laquelle il va se retrouver (représentation, prise de parole en public, concours, etc.). D’emblée, si vous le permettez, je vais contredire cette théorie en prenant mon cas personnel comme exemple et celui de notre maître Arturo de Ascanio (attention n’y voyez aucune comparaison, juste un exemple supplémentaire).
Lorsque j’ai débuté la magie, j’ai très vite (sans grande créativité ni maturité) présenté des concours nationaux en Belgique que j’ai eu la chance (?) et le bonheur de remporter. Bien sûr, je m’étais préparé pour affronter ces « terribles » conditions mais à dire vrai, dans l’insouciance de ma jeunesse, le trac n’existait pas. Vous pouviez me placer en face des plus grands maîtres de notre art, je n’avais aucune palpitation, aucune accélération cardiaque, rien! Juste le plaisir de pouvoir partager ma manière de créer des illusions. Ce sont quelques années plus tard, avec une maturité artistique un peu plus profonde, que le trac est rentré dans ma vie par une petite porte pour ensuite s’inviter fréquemment. Paradoxalement, à ce moment de mon existence, j’étais beaucoup mieux préparé que dans le passé et pourtant le trac était beaucoup plus présent. Ce premier exemple va donc à l’encontre de la théorie précitée qui dit je vous le rappelle que si on est bien préparé, le trac n’existe pas.
J’en profite pour ouvrir une petite parenthèse et citer Kaplan (l’acteur pas le magicien) qui dit qu’une personne qui, à une étape de sa carrière, voit son trac miraculeusement disparaître, ne tardera pas à quitter la scène. Je vous rapporte également ce que la grande actrice Sarah Bernardt à dit à une jeune comédienne qui se flattait de ne pas connaître le trac : « Mais cela vous viendra avec le talent! ». L’absence totale de trac selon ces deux artistes signifie que, soit l’acteur possède un talent médiocre ou en tout cas très limité, soit il n’en possède pas du tout. C’est plutôt rassurant pour ceux qui ont fait du trac un fidèle compagnon, non?
Le deuxième exemple est donc celui de Arturo. Je pense que la grande majorité d’entre vous l’avez vu travailler dans des congrès de magie. Et il est vrai que de temps à autre le trac se saisissait de lui et ses mains commençaient à trembler. Est-ce que cela voulait-il dire qu’il ne s’était pas suffisamment préparé? Je ne le crois pas. Je suis plutôt d’avis de dire que Arturo avait une sensibilité à fleur de peau qui le rendait, dans certaines conditions, angoissé face à son public. Là où il était au sommet de sa forme, c’était lorsqu’il se retrouvait en petit comité entouré d’amis. Dans ces moments-là, le (mauvais) trac n’existait pas et nous assistions à une véritable démonstration de son savoir faire et de son savoir être.
Le trac et ses multiples formes
Je pense qu’un seul artiste ne vit pas une seule forme de trac. Le trac est variable non pas en fonction des conditions de travail dans lequel il va pratiquer son art mais plutôt en fonction du public. Permettez-moi de revenir sur mon cas personnel. Je suis capable de présenter de la magie de proximité en face de n’importe quel groupe social, dans n’importe quel endroit sans pour cela souffrir d’un trac quelconque. Maintenant, placez-moi en face de magiciens que j’admire, dans un lieu comme l’Escorial et écoutez les battements de mon coeur. Vous vous rendrez très vite compte que le trac est bel et bien présent. Tout est dans l’esprit, n’est-ce pas? A dire vrai, je pense que le trac prend naissance dans l’esprit de l’artiste en fonction de deux données. La première étant la peur du magicien qui n’est pas réellement fonction des erreurs qu’il pourrait réaliser au cours d’une démonstration mais plutôt dans le fait que ses spectateurs puissent se rendre compte de quelque chose qu’ils ne sont pas supposé voir. La deuxième donnée est dans le fait de se voir juger, critiquer par ses semblables. N’oublions pas que l’image mentale que nous avons de nous même est parfois très différente de celle que notre public a de nous. Ce qui est à la fois extraordinaire et terrible dans notre art c’est que la magie de proximité n’est pas une affaire personnelle, c’est une collaboration entre l’artiste et son public. Le but étant de créer une symbiose entre l’artiste et ses spectateurs. D’un côté, c’est beau mais de l’autre côté cela peut être terrifiant si la communication ne se passe pas très bien. Et si la communication ne passe pas du tout, il ne pourra jamais y avoir communion. Et sans communion, pas de symbiose et un résultat très clair : un spectacle raté.
Le bon et le mauvais trac
Pour ce qui est de mon one-man-show, bizarrement c’est différent. A chaque fois que je me retrouve dans un théâtre pour le jouer, invariablement le trac fait toujours son apparition avant que je monte sur scène. Par contre, dieu merci, il s’en va dès les premières secondes. Ça c’est ce que j’appelle le bon trac. Celui qui stimule, celui qui nous met dans un état d’énergie plus grand, celui qui nous pousse à nous surpasser. Malheureusement, je dois confesser que j’ai aussi vécu ce que j’appellerai le mauvais trac. Celui qui ne s’en va pas à la première seconde, celui que l’on garde jusqu’à la fin de la représentation, celui qui nous diminue au lieu de nous pousser. C’est dans ces moments-là, où l’on se demande si on est bel et bien fait pour ce métier de représentation?! Heureusement pour moi, il n’est arrivé que très peu de fois dans ma carrière mais sa seule présence peut nous envelopper de doutes et d’incertitudes quand à notre futur artistique. Il est si incontrôlable et si terrifiant que ce trac peut provoquer une souffrance telle qu’elle devient plus importante que le plaisir de pratiquer son art. Ce « mauvais » trac devient tellement handicapant et négatif que certaines personnes sont prêtes à changer de voie artistique pour s’en défaire à jamais.
Les mauvais remèdes
Une des choses les plus terribles du trac, c’est qu’il semble que celui-ci ne disparaît pas, même après des centaines de représentations. L’exemple de Jacques Brel (artiste extraordinaire) est révélateur. A chaque fois qu’il devait se produire sur scène, une crise d’angoisse tellement forte le prenait qu’il devait à chaque fois aller au toilette pour vomir. Certains artistes essaient de faire disparaître leurs « peurs » par la consommation d’alcool et parfois de drogue. Quelques fois ces « remèdes » aident à cacher momentanément leurs angoisses mais non content de faire disparaître leurs peurs, ils font par la même occasion disparaître leurs talents. Avouez que cet effet secondaire n’est pas des plus salutaires pour la longévité d’un artiste. Sans oublier que la drogue et l’alcool rendent le corps dépendant. Le cercle infernal invite l’artiste à sombrer un plus profondément dans la drogue et l’alcool et à un moment donné, il est trop tard pour l’arrêter.
Les traumatismes
Le trac peut être tellement traumatisant que des symptômes physiques peuvent apparaître. L’exemple de la comédienne Helen Hayes est typique. Avant chaque « première », elle devenait sourde. Voilà ce qu’elle même disait sur cette maladie psychologique : « Je ne pouvais rien entendre d’autre que ce qui était dit sur scène. » Il semblerait que sa surdité sélective représentait pour elle une manière de se concentrer exclusivement sur ses partenaires de scène et non pas sur le public. Comme quoi, on trouve toujours quelque chose de positif dans un inconvénient passagé (comme disait le poète : « Il n’existe aucun mal d’où ne naisse un bien »).
Il y a aussi le cas de l’artiste qui abandonna sont métier de comédien de théâtre malgré son immense talent pour n’accepter exclusivement que des rôles au cinéma, le public lui faisant trop peur. Et qui finalement devint l’un des plus acteurs le plus populaire de son époque.
Bref, le trac existe, il fait partie intégrante de notre art. Autant s’en faire un allié qu’un ennemi.
Pour clôturer ce thème voici mes réponses aux questions de Jesus Etchevery (*) sur les moyens de contrôler le trac :
1) Oui bien sûr, tous les symptômes du trac se sont manifestés dans ma vie et pas seulement une seule fois. Je les ai vécu, je les vis et je les vivrai.
2) Je pense que le trac peut devenir un vrai problème psychologique et même chronique pour certaines personnes. Mais quoi de plus beau que de pouvoir le maîtriser et de s’en servir pour se dépasser et découvrir de nouveaux horizons.
3) Je pense que les facteurs peuvent être multiples : une trop grande sensibilité, une mauvaise image de soi, une mauvaise préparation psychologique et une mauvaise préparation physique (technique). Bref, un déséquilibre entre le corps et l’esprit.
4) Comment vaincre son trac? Il y a différentes solutions à différents tracs. Je vais prendre une des solutions que j’ai trouvée et mise en pratique pendant plus de neuf ans à la télévision nationale belge avec succès. Imaginez-vous un instant en tant que présentateur d’une émission de variété en prime-time qui rassemblait plus d’un demi-million de téléspectateurs à chaque transmission. Si vous pensez à cette quantité impressionnante de personnes qui sont accrochés à vos mots, je pense qu’il vous sera difficile d’ouvrir la bouche ne fut-ce qu’une seconde. En fait, l’astuce psychologique que j’ai pratiqué lors de ces enregistrement télévisuels était tout simplement d’imaginer que je parlais à une seule personne, une personne que j’aimais plus que tout et qui m’acceptait tel que j’étais avec mes qualités et mes défauts. Cette fantaisie de mon esprit me permit d’avoir beaucoup moins de pression psychologique et de vivre mon aventure télévisuelle de manière beaucoup plus sereines. Une autre chose qui m’aida à être plus « léger » est de ne plus être à la recherche de la perfection. Dès que vous acceptez d’être imparfait, tout est beaucoup plus facile. Et en plus vous devenez beaucoup plus authentique et donc beaucoup plus touchant pour votre public.
5) Mes méthodes : voir plus haut
6) Mon conseil
– Soyez honnête avec vous même
– Aimez sincèrement les autres
– Soyez à la recherche du plaisir
– Acceptez que vous soyez imparfait
– Ne cherchez pas à paraître mais à être
– Lancer vous des défis et n’ayez pas peur des échecs
– Apprenez à respirer avec le hara (une bonne respiration remplit d’abord le bas du ventre, puis l’intercostal et enfin les poumons supérieurs).
– Jouez avec votre imagination ( Supposez que vous êtes en face de votre petite amie et non pas d’un public, supposez que votre audience est constituée de jeunes enfants de 4 ans et non pas d’adultes, supposez que les jurés de votre concours sont tous nus, etc.)
(*) Jesus Etchevery fait partie de l’Ecole Magique de Madrid et est, entre autre, le rédacteur en chef de la revue & quot « Circular » de la Escuela Magica de Madrid & quot. Celle-ci n’est distribuée qu’aux membres de l’Ecole. En tant que membre, j’écris de manière ponctuelle pour cette merveilleuse revue. Les articles que vous venez de découvrir ont tous été publié dans la & quot « Circular ».
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