Texte : William Shakespeare. Nouvelle traduction : François Regnault. Version scénique et mise en scène : Emmanuel Demarcy-Mota. Assistanat à la mise en scène : Julie Peigne, assistée de Judith Gottesman. Scénographie : Natacha le Guen de Kerneizon, Emmanuel Demarcy-Mota. Lumières : Christophe Lemaire, assisté de Thomas Falinower. Costumes : Fanny Brouste, assistée de Véra Boussicot. Musique : Arman Méliès. Vidéo Renaud Rubiano, assisté de Romain Tanguy. Son : Flavien Gaudon.
Une seule nuit et deux mondes : Athènes, la ville, ses lois. Et celui de la forêt, avec ses hors-la-loi et la magie. Ici, règnent les fées, esprits fantasques de la nature. Ici, vont s’égarer et se retrouver les amoureux. Hermia refuse le mariage avec Démétrius que son père lui destine et elle suit dans la forêt Lysandre, celui qu’elle aime… Héléna est dans le secret mais trahit son amie, en espérant attirer sur elle l’attention et la reconnaissance de Démétrius… Et alors les esprits de la forêt s’en mêlent : Obéron, le roi de ce monde brumeux, prie son serviteur Puck, ici démultiplié en fées garçons-filles, de verser le nectar d’une fleur d’amour sur les paupières des jeunes gens endormis, exténués par leur poursuite. Erreur de destinataires, la fleur sépare ceux qu’elle devait réunir. Les garçons déclarent leur soudaine et irrésistible passion à Héléna qui n’y comprend rien. Hermia est abandonnée et les jeunes filles se déchirent comme des collégiennes rivales… La fleur de passion entraîne encore d’autres dégâts, voulus, ceux-là : pour se venger de Titania, sa reine qui lui a « volé » son page, Obéron la condamne à tomber folle amoureuse du premier être vivant qu’elle rencontrera à son réveil.
Ce sera le paysan Bottom, affublé d’une tête d’âne (passons sur les talents intimes prêtés à cet animal). Et enfin, pour fêter les noces de la reine Thésée et d’Hippolyte (les rôles masculins et féminins sont ici inversés), un groupe d’artisans va jouer, avec le plus grand sérieux et en vers rimés, La Tragédie de Pyrame et Thisbé, victimes de l’amour et de l’erreur, comme Roméo et Juliette. L’un croyant l’autre morte et se tuant sur son corps et l’héroïne se tuant vraiment devant la fin tragique de son aimé. Là-dessus, Obéron, avant la fin de la nuit, répare les maladresses de ses fées et de la dangereuse fleur. Le mariage des princes d’Athènes annoncé au début peut enfin avoir lieu, comme la réunion des amoureux et la représentation de la pièce répétée par les artisans. Après quoi, bonne nuit, braves gens, un bon sommeil effacera (ou non ?) avant le jour, ces rêves étranges…
Emmanuel Demarcy-Mota a placé les histoires emboîtées de cette folle nuit sous un ciel sombre et changeant, dans une forêt mouvante, en jouant avec élégance, des trappes du grand plateau. La scénographie qu’il a conçue avec Natacha Le Guen de Kerneison, les lumières de Christophe Lemaire, la vidéo de Renaud Rubiano sont d’une grande beauté et en parfaite cohérence. Le metteur en scène a créé un monde sombre et transparent à la fois, avec ses disparitions et apparitions en beaux fondus, son vacillement et avec tout un jeu sur les profondeurs. Logiquement, les scènes à Athènes qui encadrent la pièce, se jouent à l’avant-scène, en lumière. Dans cette atmosphère très réussie, la compagnie du Théâtre de la Ville est impeccable : il faut rendre hommage en particulier à une diction parfaite.
Nous aimerions qu’il n’y ait aucun « mais »… Manque ici le trouble. On comprend la souffrance des personnages, on ne perd rien de leurs passions, de leurs égarements. Mais nous voudrions bien être aussi un peu égarés nous-mêmes Et que cela craque (ce qui arrive quand même parfois, en particulier, aux amoureuses), que cela surprenne. On aimerait que la troupe pousse sa maîtrise jusqu’à « lâcher les coups ». Mais ne nous plaignons pas : nous passons sans ennui aucun, ces deux heures et nous avons le temps de se demander, à regarder ces jeunes couples défaits et refaits, ces rois et reines, si l’amour est un désir de possession ? Un besoin vital de l’autre, au point de mourir de sa mort, comme Pyrame et Thisbé ? La fin de la pièce donne une piste : si c’était, modestement, la capacité à se réconcilier ? Y compris, chers citadins, en se moquant des pauvres artisans, maladroits et généreux. Cela renvoie à une nouvelle question : si, après les sombres fastes de cette nuit, leur modeste représentation était le théâtre le plus authentique, le plus émouvant ? Et ce Songe d’une nuit d’été nous a procuré un vrai bonheur : être assise dans une salle pleine avec un public heureux d’applaudir et d’exprimer son plaisir. Vive le public !
Article de Christine Friedel. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : ©Théâtre de la ville / Nadège Le Lezec. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.