Conception et mise en scène : Alice Laloy. Écriture et chorégraphie : Alice Laloy en complicité avec l’ensemble de l’équipe artistique. Assistanat et collaboration artistique : Stéphanie Farison. Collaboration chorégraphique : Stéphanie Chêne. Scénographie : Jane Joyet. Création lumière : César Godefroy. Composition musicale : Csaba Palotaï. Écriture sonique : Géraldine Foucault. Avec : Coralie Arnoult, Lucille Chalopin, Alberto Diaz, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Antoine Maitrias, Nilda Martinez, Antoine Mermet, Maxime Steffan et Marion Tassou. Spectacle créé au Théâtre National Populaire – CDN Villeurbanne et dans le cadre du Festival d’Automne 2024.
Élève de 1998 à 2001 de l’École du Théâtre National de Strasbourg, section scénographie-costumes, elle créera D’États de femmes en 2004, puis Moderato, deux ans plus tard. En 2012, recrée Batailles, prix de la création/expérimentation de l’Institut International de la Marionnette. Invitée par Fabrice Melquiot à concevoir un spectacle sur le dadaïsme, elle crée ÇA DADA en 2017 au Théâtre Amstramgram à Genève. Puis Alice Laloy entreprend une recherche photographique autour de Pinocchio et ira en Mongolie, à l’occasion du programme Hors les murs 2017 de l’Institut Français dont elle a été lauréate. Elle en présentera une version scénique : Pinocchio (live)#1 à la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette en 2019. Et deux ans plus tard, elle crée Pinocchio (live)#2 au festival d’Avignon, un magnifique spectacle avec les enfants-danseurs du Centre Chorégraphique National de Strasbourg et les jeunes élèves en art dramatique au Conservatoire de Colmar…
Cette pièce a été créée en octobre dernier au T.N.P. à Villeurbanne. Deux hommes assis dans un fauteuil manipulent des êtres vivants sur un ring dessiné par deux bandes de craie, comme dans un jeu vidéo mais ici ritualisé, hurlant leurs ordres au micro : « Avance, recule, plus vite, etc. » Dans le fond une cantatrice debout (Marion Tassou) dans une très longue robe grise comme les rideaux à jardin, à cour et dans le fond : un univers dystopique, comme on dit maintenant pour faire chic. Ici, tout est uniformément gris : sol, visages, corps et costumes de ces vraie/fausses marionnettes humaines comme magistralement animées en quatre manches. Ce sont des êtres réels mais vivants ? on ne sait plus trop, surtout quand deux assistants les prennent dans leurs bras et les replacent sur des bancs. Un moment magnifique. Entre temps, ils ont sauté, couru comme des automates, le regard terriblement vide…Sur le mur du fond, s’affichent les scores sur deux écrans et ces slogans qui nous agressent partout jusque sur les panneaux lumineux dans le métro, genre : Black friday, click and collect… Pour nous pousser à acheter et à consommer encore plus, selon l’évangile trumpien. De temps à autre, les écrans bafouillent : des lettres de mots s’affolent, ou bien apparait le très laid dessin géométrique d’un visage. Alice Laloy dénonce ici cet envahissement de ce qu’on ose appeler : « communication ».
Régulièrement tombent des cintres pour rythmer chaque épisode, une table, des chaises, un fauteuil, un canapé, un lampadaire mais aussi des carottes (un souvenir de Samuel Beckett ?) un tas de vêtements noirs et des cartons remplis de feuilles et déchets de papier qui envahissent le plateau. Mais toujours exactement à l’endroit nécessaire, pour être utilisés par les mannequins-automates. Cette machine scénographique, toute noire, inquiétante, bien visible, suspendue au-dessus du plateau, a été conçue par Alice Laloy, avec un fonctionnement d’une précision qui donne le vertige, elle a quelque chose d’implacable comme le jour et la nuit, ordonné par on ne sait quelle divinité, et de quasi-métaphysique : Alice Laloy sans avoir l’air d’y toucher, nous parle de la relation entre esprit et matière, entre être et identité : tous ces pseudo-humains sans aucun nom, sont déplacés dans un espace et un temps qui ne leur appartient pas : ici dans un présent fugitif, mais ni passé ni futur envisageables. Ici, ces humains automatisés semblent soumis à une causalité qui leur échappe. Le spectacle – et cela se sent – est le fruit du travail de toute une équipe et a dû faire l’objet de nombreux réglages. Avec une exceptionnelle maîtrise, Alice Laloy entraîne le public dans une quête fascinante où se mêle vrai et faux.
Ici, pas de texte ou si peu, ni psychologie, ni personnages. Aucune véritable narration ou scénario mais l’objet, lui, est un personnage à part entière : comment ne pas penser à l’armoire et au lit du curé dans Wielopole, Wielopole, aux pupitres en bois achetés à une école de la campagne polonaise, dans La Classe morte avec ses petits élèves-poupées qu’étaient les vieillards et qui les portent sur leur dos… Des éléments essentiels dans ces spectacles culte imaginés et réalisés par Tadeusz Kantor auquel les jeunes générations de créateurs ne cessent de se référer et qu’Alice Laloy connait visiblement bien.
Katharsy ou catharsis ? Et ce Ring de Katharsy dans un défoulement de violence gestuelle et sonore a aussi quelque chose à voir avec le théâtre antique grec… Sous le regard chorégraphique de Stéphanie Chêne, Coralie Arnoult, Lucille Chalopin, Alberto Diaz, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Antoine Maitrias, Nilda Martinez, Antoine Mermet, Maxime Steffan et Marion Tassou, la cantatrice font ici un travail exemplaire. Les deux joueurs finissent par ne plus avoir la maîtrise de ce combat permanent, et seront couverts par des jets de poudre violette envoyés par les acteurs-marionnettes. Et, à la fin, sorti de la robe de la cantatrice envahira tout le plateau, un immense drap de cette même couleur. Celle de la tenue liturgique durant les périodes de jeûne mais peu utilisée par les peintres. Mais Henri Matisse, Edgar Degas, Egon Schiele,Pablo Picasso… se sont emparé de ce violet, à chaque fois indiqué : manteau, tutu, bas, costume, dans le titre du tableau, pour habiller leur personnage. Cette couleur a aussi été à la même époque – sans doute pas par hasard – celle des suffragettes. Et ensuite souvent les féministes ont-elles porté des vêtements mauves dans les manifs… Une revanche contre le paternalisme et le pouvoir religieux ?
Ce spectacle poétique hors-normes est très accessible et d’une beauté exceptionnelle, dans la lignée exacte de son Pinocchio. Alice Laloy s’y interroge aussi sur le corps humain et la marionnette qu’il tend à devenir dans la société actuelle. Y emmener votre vieille tata ? Pas sûr (encore que !) mais vous, allez-y. Le public – pour une fois en majorité jeune – se retrouvait dans ce questionnement et a fait une ovation debout aux acteurs, à la créatrice et aux nombreux techniciens. Au moment des saluts, Alice Laloy et Daniel Jeanneteau, directeur du T2 G, ont rappelé avec juste raison que ce spectacle nécessitant de gros moyens, avait pu être créé grâce au service public. Et c’est bien que les habitants de Gennevilliers puissent aller le voir.
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Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Simon Gosselin / Compagnie s’Appelle Reviens. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.