J’aimerais dans les quelques lignes qui vont suivre, ouvrir un débat qui, je l’espère, vous semblera intéressant. Pour ce faire, je vais vous demander de m’accompagner quelques instants dans le passé pour nous figer superficiellement, tout d’abord au XIème siècle et nous promener, par la suite, jusqu’au XVIème siècle.
Dans cette époque d’obscurantisme qu’était le Moyen Age, l’illusion sous toute ses formes était considérée par l’Eglise comme un acte démoniaque. L’Eglise, volontairement, accréditait une certaine réalité dans l’art de l’illusion en faisant la chasse à toute personne qui exerçait l’art de la jonglerie (1).
Il est intéressant de noter que l’Eglise réagissait de manière semblable à l’égard de la musique et du chant. Sa méfiance face à la musique était grande, puisque selon elle, elle incitait l’être humain à pêcher. Toujours, selon l’Eglise, elle permettait au Diable de s’emparer, le temps d’une chanson, du corps de l’homme en développant sa sensualité et sa sexualité. Or, dans l’idée du clergé de cette époque, toutes les manifestations affectives qui portaient la moindre trace de sensualité, donc de sexualité, étaient généralement le signe de la présence du Diable. Il ne faut pas oublier que l’Eglise cultivait, au près des autres, la présence de Dieu, du Diable, du Paradis et de l’Enfer faisant ainsi que toutes ces croyances fassent partie intégrante de l’univers quotidien de l’homme du Moyen Age.
Le chant et la musique étaient donc considéré comme des actes ayant le pouvoir de séduire. Cette affirmation ne voudrait-elle pas dire que l’Eglise considérait l’art de l’illusion, au même titre que la musique et le chant, comme un acte de séduction ? Les spectateurs de l’époque n’étaient-ils pas émotionnellement touchés par les miracles qui se produisaient devant leurs yeux ébahis ? Si en plus, on ajoute, que l’Eglise supposait que les femmes étaient spécialement prédisposées à faire un pacte avec le Diable en pratiquant la sorcellerie afin de réaliser des « charmes » pour se procurer un époux, pour se marier, ou pour tout autre prétexte aussi fantaisiste ; on peut se dire que la crainte de l’Eglise face aux pouvoirs de séduction de l’être humain en général, et de l’illusion en particulier, a été un des facteurs de la condamnation et puis de l’interdiction de notre art.
On se rend compte maintenant que l’Eglise n’a pas interdit l’art de l’illusion uniquement dans le but de préserver la crédulité des autres (2), mais aussi dans le but de chercher à limiter les distractions de l’époque. En effet, en relisant l’implacable Traité de la Démonomanie des sorciers (Paris, 1579) (3) de Jean Bodin, on retrouve un extrait qui nous dit : « Le Diable cherche à faire rire les gens, afin que, trompés par leurs gaietés, ils se laissent aller à l’impiété. C’est ainsi que les magiciens, les bouffons, les porteurs de masques et les escamoteurs amènent les juges à rire et à admirer leurs exploits de façon à faire admettre leur art comme divertissement non condamnable ».
Effectivement, l’Eglise ne se trompait pas. L’illusion était un outil de distraction et de séduction formidable qui heureusement est passé, au même titre que le chant et la musique non religieuse, par les mailles de son filet et est devenu l’art que nous connaissons tous aujourd’hui. Et aujourd’hui, comme hier et comme demain, si nous sommes rester d’éternels séducteurs, c’est que l’illusion a toujours gardé le pouvoir de « charmer » nos semblables. Qu’importe le milieu social, la culture ou la langue parlée, l’art de l’illusion restera à jamais le plus beau des passeports pour l’amitié. Et finalement, notre but caché, n’est-il pas de nous faire aimer par ce moyen de communication et de séduction formidable qu’est l’art de l’illusion ?
Notes :
– (1) Le nom de « jongleur » qualifiait l’adresse, aussi bien manuelle qu’intellectuelle, des artistes ambulants de l’époque.
– (2) Rappelons-nous qu’à cette époque, l’Eglise avait le monopole des connaissances, étant la seule, à quelques exceptions près, à éduquer les hommes de Religions à l’écriture et à la lecture. Elle savait pertinemment bien que la connaissance symbolisait le pouvoir. C’est toujours dans cette même optique que nous retrouvons l’Eglise, plusieurs siècles plus tard, en train de sélectionner les livres qui étaient amenés de village en village par des colporteurs et qui ne pouvaient en rien, ni développer l’intelligence des acheteurs, ni leur enlever leurs années de superstition.
– (3) Réédité en 1616 à Niort sous le titre Fléau des démons et des sorciers.
Bibliographie :
– Le charlatanisme de B. Renaudet (Edition Armand Colin, 1914).
– Histoire de la prestidigitation de Max Dif (1er volume, fascicule 1, 1971).
– Tout savoir sur la voix du docteur M.-L. Dutoit-Marco (Edition Pierre Marcel Favre, 1985).
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