Quels ont-été les moments forts de vos carrières ?
Romane Bollengier (danseuse au Moulin Rouge de Paris) : L’un des moments les plus importants, en particulier au Moulin Rouge, restera ma réussite à l’audition d’entrée en 2018. Je ne vous cache pas que ma joie était immense, puisque travailler pour une telle institution, dont la réputation n’est plus à faire, est un véritable honneur. Notre troupe se compose d’ailleurs de seize nationalités différentes ; tous les danseurs et danseuses qui aspirent à faire du cabaret rêvent de travailler un jour dans cette magnifique institution. Actuellement, il y a soixante-dix pour cent d’artistes australiens au Moulin, cela est sans doute dû au fait qu’en Australie, leur formation est moins conservatrice et permet une meilleure maîtrise de la performance acrobatique scénique. De plus, nous devons pratiquer la danse contemporaine, la danse moderne, et savoir-faire un peu d’acrobatie pour le French Cancan. Mais c’est surtout le film Moulin Rouge qui a connu un important succès en 2001 avec pour réalisateur principal Baz Luhrmann lui-même australien, qui a sans nul doute contribué à attirer de nombreux artistes de ce pays dans notre maison. Chaque année, plusieurs auditions ont lieu en France et à l’étranger. J’ai passé la première fois l’audition en collants et demi-pointes, c’était une véritable découverte ; puis je l’ai retenté une seconde fois, sans succès hélas, malgré l’expérience que j’avais acquise, les places étaient plus restreintes. Malgré tout, j’ai persévéré et c’est à la troisième tentative que j’ai réussi l’audition. C’est ma maîtresse de ballet Janet qui m’a annoncé cette incroyable nouvelle, je n’en revenais pas.
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Le second moment majeur, restera évidemment la réouverture du Moulin Rouge suite aux dix-huit mois de Covid. L’émotion était immense pour tout le monde, à tel point que lors de la première ouverture de rideau, nous avons eu une standing ovation, de même qu’à la fin de la première chorégraphie. Neuf cents personnes debout, ce n’est pas rien ! Nous avons eu aussi l’opportunité de rencontrer des artistes internationaux comme Céline Dion et Lana Del Rey. C’est toujours incroyable de pouvoir échanger avec de telles personnalités qui ont pu vivre de leur passion.
Jean-Victor Clérico (Directeur Général du Moulin Rouge de Paris) : Je suis arrivé pour un projet de spectacle en Asie qui ne s’est finalement pas concrétisé, et heureusement, car les négociations se sont arrêtées au mois de décembre 2015, peu de temps après les attentats de Paris. Puis, durant les années qui ont suivi, le public était plus frileux pour venir en raison des récents événements ; les crises sociales ont aussi contribué à ralentir le flux de spectateurs. Mais, la période la plus compliquée restera le Covid, puisque nous faisions deux spectacles par jour, et, du jour au lendemain, tout s’est arrêté. À vrai dire, c’était la deuxième fois dans la vie du Moulin que l’on fermait. Nous avions déjà fermé en 1981, lors d’une représentation privée pour la Reine Élizabeth II à Buckingham Palace. La fermeture et la réouverture resteront des moments d’émotions intenses pour nos salariés et pour les riverains du quartier. La remise en route de cette vaste machine était un véritable défi, puisque jamais nous n’avions fermé aussi longtemps. Même si par définition les entreprises familiales sont plus prudentes dans la gestion quotidienne avec une vision très long terme. Nous avons aussi pu obtenir un soutien très rapide de différents établissements bancaires, etc. Enfin, la chute des ailes du Moulin au mois d’avril 2024 m’a profondément touché, malgré nos contrôles très rigoureux. Néanmoins, là encore, nous avons eu une bonne étoile, car l’incident s’est produit en pleine nuit après la fermeture de l’établissement. Par chance, personne n’était là et n’a été blessé.
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Pourriez-vous nous présenter l’histoire familiale de votre Maison ?
Jean-Victor Clérico : Tout a commencé en 1946, mon arrière-grand-père Joseph Clérico qui avait mené auparavant une vie d’entrepreneur dans le secteur du bâtiment, a décidé après-guerre de racheter le Lido qui, à l’époque, était un salon de thé avec pour thématique Venise. Il y avait des bassins d’eau en souterrain, des promenades en barques, etc. Fort de son expérience dans le BTP, il entreprit d’importants travaux dans cette célèbre salle et créa ainsi le premier dîner-spectacle parisien. La salle était à l’époque au numéro soixante-dix-huit des Champs-Élysées. Là encore, le succès fut au rendez-vous, ce qui lui permit de racheter plusieurs salles de spectacles à Paris, dont le Moulin Rouge en 1955. À l’époque, il travaillait déjà avec l’un de ses fils au Lido, puis en 1960/1961, il décida de nommer l’un d’eux à la direction du Moulin Rouge pour reprendre cette affaire qui était à l’abandon. La même année, mon grand-père Jacki Clérico décida de fermer le cabaret et de faire des travaux d’infrastructures afin de réadapter la salle et ainsi lui donner une scène et des artifices plus sophistiqués qu’à l’époque. Il décida de réouvrir en 1962 avec sa première revue Frou-Frou, qu’il lança en compagnie de sa direction artistique composée de Doris Haug, maîtresse du ballet de la maison. Puis les revues se sont succédées, nous sommes désormais à la onzième revue, Féérie, qui comme les dix précédentes commencent par un « F », car mon grand-père était assez superstitieux et souhaitait conserver la première lettre de Frou-Frou qui avait connu un grand succès.
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L’histoire a ensuite évolué, mon père Jean-Jacques est entré dans l’entreprise pour aider mon grand-père dans la gestion quotidienne. Puis, nous sommes arrivés avec ma sœur Virginie à des moments différents de nos carrières pour apporter un soutien complémentaire. Ma sœur est arrivée en 2011, elle exerce aujourd’hui la fonction de directrice stratégique et marketing, elle travaille à la protection de la marque Moulin Rouge qui nous appartient depuis 2005. Puis en 2013, j’ai rejoint l’entreprise après avoir mené une carrière dans le conseil. C’est par ce projet artistique en Asie que j’évoquais dans la précédente question que je suis rentré progressivement dans l’entreprise familiale. Nous représentons la quatrième génération, puisque notre famille est propriétaire du Moulin Rouge depuis soixante-dix ans.
Cependant, je tiens à souligner que nous n’avons jamais été obligés de reprendre les rênes de l’entreprise, ce sont nos parcours de vie qui nous ont conduit vers le Moulin. Mais il est vrai que dès notre plus jeune âge, nous étions plongés dans cet environnement artistique, contribuant ainsi à faire naître chez nous une passion pour cet univers. Nous avons même connu l’époque où nous étions propriétaire du Lido jusqu’en 2006. Je garde d’agréables souvenirs, tout petit, lorsque nous nous rendions le mercredi après-midi au cabaret dans le bureau de notre grand-père, où nous visionnions des dessins animés dans son bureau. Nous nous amusions à explorer les différents couloirs et pièces de ce lieu mythique. Nous exerçons avant tout un métier passion, où nous essayons de transmettre notre énergie à nos équipes et au public au travers de la revue, c’est cette envie qui nous incite à évoluer en permanence.
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Nous nous nourrissons de beaucoup de spectacles, très variés, je suis même membre du bureau d’Eckoscènes qui demeure le premier syndicat professionnel du spectacle vivant en France. Nous investissons beaucoup pour le Moulin Rouge, mais aussi en-dehors dans le développement du spectacle en général. Mon père s’occupe principalement de l’aspect artistique et technique, d’ailleurs nous étions récemment au festival du cirque de Latina en Italie et à celui de Monte-Carlo. Nous sommes souvent membres du jury et parfois spectateurs professionnels, afin de continuellement rechercher de nouveaux numéros, et ainsi voir les générations en devenir, pour les suivre. Toutes nos attractions proviennent de festivals.
Il y a une dimension humaine très forte au Moulin, artistes, techniciens, etc. ne forment qu’un. Nous sommes en complète autonomie pour produire notre propre spectacle, grâce aux divers métiers d’artisanat et de savoir-faire du monde du spectacle. Beaucoup d’hommes et de femmes ayant des profils très différents participent à ce projet, il faut réussir à emmener toutes ces personnes qui n’ont pas le même background, en créant une cohésion d’équipe dans un projet artistique à long terme. Nous portons une attention particulière à la préservation de ces métiers d’orfèvres qui pourraient disparaître. Ils sont souvent formés par compagnonnage, notamment aux Compagnons du devoir. Le lycée professionnel Octave Feuillet à Paris demeure un vivier essentiel de la formation de nos plumassiers qui prolongent leur apprentissage chez nous. La raréfaction de ces métiers est notamment dû aux départs à la retraite des anciennes générations qui n’ont pas trouvé de repreneurs. Nous avons pour mission de défendre et promouvoir ces savoir-faire, dont le travail est capital pour le cabaret, ils sont toujours réactifs et efficaces afin d’assurer un spectacle de qualité. Chaque jour, plusieurs artisans s’affairent en coulisses pour que les artistes soient opérationnels pour la prochaine représentation. Dès le matin à huit heures trente et jusqu’à très tard le soir, je suis avec mon équipe. Nous avons des amplitudes horaires notables, tout en nous assurant de conserver bien-sûr un temps de vie à côté. Nos salariés sont très fidèles au Moulin, le turn-over est presque inexistant. Enfin, le fait que tout le monde soit sur place accroît ce phénomène de cohésion
Pourriez-vous nous parler de cet anniversaire des cent trente-cinq ans du Moulin Rouge ?
Jean-Victor Clérico : Effectivement, nous sommes rentrés dans l’année des cent trente-cinq ans du Moulin. Nous avons mis en place des événements depuis l’année dernière et jusqu’en 2025. Nous avons déjà fait le week-end anniversaire le 6 octobre 2024, des visites ont même eu lieu dans notre établissement et dans nos coulisses, chose rare d’habitude car nous souhaitons préserver le secret et ainsi sans cesse attiser la curiosité de notre public ; nous voulons conserver la dimension spectacle vivant et ne pas devenir un musée. Mais, le principal projet anniversaire consistera à mettre en lumière le patrimoine du Moulin, plus précisément nos archives et aussi organiser des visites immersives grâce à tous les documents historiques dont nous disposons.
Figure de proue des danseuses du Moulin Rouge en France, vous participez à différents tableaux dans cette revue pour l’anniversaire de cette célèbre institution. L’un de ces tableaux mérite le détour puisqu’il n’est pas sans lien avec l’art de l’illusion. Je parle en effet du sacrifice d’une princesse. Expliquez-nous votre rôle de prêtresse que vous incarnez dans cette revue, mais aussi de cet univers mystique ?
Romane Bollengier : Effectivement, ma nationalité française et mon parcours artistique en France m’ont permis de représenter le Moulin Rouge, mais chacune de nous représente aussi notre établissement dans son pays d’origine. Concernant mon rôle dans le show, je suis dans la ligne mais aussi remplaçante meneuse de revue. Le Moulin dispose aussi de meneuses de revue de façon permanente, elles sont trois. Il y a plusieurs postes différents au sein du spectacle, où sont également présents deux solistes et deux lignes de quatorze danseuses. Selon les besoins du Moulin et de notre évolution au sein du cabaret, nos rôles changent. À chaque poste correspond des chorégraphies et des critères différents. C’est très semblable au corps de ballet de l’Opéra de Paris.
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S’agissant de ce tableau des pirates, il apparaît juste après le prologue qui est relatif à l’ouverture du Moulin Rouge. Nous sommes embarqués dans cet univers enchanteur rappelant les rites Mayas avec le sacrifice de l’une des meneuses de revues qui incarne la princesse. Il y a également la découverte de toute une culture mystique, et nous disposons aussi d’une piscine qui sort de la scène pour le sacrifice. Maureen Jenkins est employée exclusivement pour cette prestation, d’ailleurs l’équipe dans laquelle elle appartenait avant d’être sous contrat au Moulin Rouge a participé cette année au JO. Son ancienne team a même utilisé la musique du French Cancan pour leur prestation. Lors de ce numéro aquatique, nous jouons le rôle des prêtresses qui incarnent des gardiennes protégeant la reine serpent dans cet univers représentant le rêve. À la fin, nous comprenons qu’il s’agit d’un rêve, ce tableau met en mouvement et est en réalité le rêve de la princesse. Cela part dans tous les sens, avec des costumes fluorescents et certains passages de chorégraphies sont plongés dans le noir faisant ressortir les costumes phosphorescents.
Vous avez plus d’une corde à votre arc puisque vous pratiquez et vous enseignez aussi le yoga. C’est une discipline très intéressante, une forme de méditation permettant d’atteindre un état de plénitude et de pleine conscience. À tel point, que Abigail McBride l’épouse du célèbre magicien Jeff McBride, enseigne la méditation. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Romane Bollengier : Tout à fait, je me suis formé au yoga durant la période de confinement, c’était un projet personnel que j’avais depuis un certain temps. Cet apprentissage a été consacré d’abord au Yoga Vinyasa qui m’a permis de mieux ressentir mon corps. J’ai même pu enseigner dans plusieurs établissements. Aujourd’hui je dispose de moins de temps pour transmettre mon savoir et je veux être cent pour cent disponible physiquement et mentalement lorsque je le fais. Ceci m’apporte beaucoup afin de préserver mon bien-être mental et physique, surtout en complément de mes performances au Moulin Rouge. C’est une pratique qui nous amène à nous aligner avec beaucoup de choses, à travailler des positions, cela nous apprend aussi à respirer puisque la méditation c’est avant tout un travail de respiration qui est primordial dans notre travail. Même si j’ai commencé la danse à quatre ans, j’ai grandi en travaillant mon corps et mon mental, en travaillant avec mes poumons, ma mémoire, j’ai toujours évolué avec le mouvement.
Tout comme la partenaire et danseuse Jade du magicien finnois Jay, qui a été influencée par ses amies artistes du Moulin Rouge, votre métier de danseuse implique également d’autres formes d’arts vivants : la comédie, « l’acting ». Il me semble que votre discipline est au carrefour de ces arts. Qu’en pensez-vous ?
Romane Bollengier : Tout dépend des danses, puisque le mouvement a pour but de toucher les gens. C’est une façon d’émouvoir et de se mouvoir, mais le côté « acting » est indispensable dans l’interprétation d’un ballet ou d’une œuvre. C’est vraiment la partie que je préfère dans le spectacle. Nous avons plusieurs univers différents, depuis 1999, la revue Féérie est une évolution de plusieurs périodes, en commençant par le rêve, puis le cirque. Et enfin le dernier tableau où l’on part de 1889 et on suit toute l’évolution du cabaret en midinette, jusqu’au port des vestes à paillettes, etc. Dans le tableau pirate, où nous interprétons les prêtresses, nous avons un regard plus dur et intense, alors que dans le tableau cirque, nous sommes plus espiègles et joueuses. J’adore incarner cette palette de personnages, tout en continuant à me mouvoir sur scène. Le spectateur voyage sans quitter son siège. C’est une forme de transcendance, où l’on revit la période au travers de la gestuelle et de l’interprétation. C’est l’un des aspects qui me plaît le plus. Chaque spectacle est différent et le public nous galvanise. C’est ce qui fait tout l’intérêt du spectacle vivant. C’est un moment suspendu, magique, hors du temps. Même si nous sommes fatiguées, nous nous rappelons toujours que le public a investi dans des places et que nous devons les faire rêver. Même s’il y a des jours difficiles, notre métier nous permet de nous évader, c’est un échange de bons procédés. Lorsque nous sommes sur scène, nous nous jetons des regards pour nous soutenir et partager ces moments. J’adore cet esprit de troupe, de corps, qui nous pousse, on se connaît toutes par cœur. Ce sentiment d’appartenance est fondamental. C’est notre famille de cœur, lorsque je suis au Moulin je me sens en sécurité, d’autant plus que la salle est feutrée.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le French Cancan ?
Romane Bollengier : Je connaissais et je pratiquais le French Cancan avant d’entrer au Moulin, mais celui que nous présentons est beaucoup plus rigoureux. Il est né en 1820 entre les murs du Moulin. C’est un véritable symbole que nous devons honorer chaque soir. Tout est calculé au millimètre près, nous avons même été formées un mois suite à notre admission. Nous travaillons chaque mouvement mais surtout nous nous concentrons sur notre cardio. Puis nous devons nous entraîner avec les costumes. Au-delà de la danse, des battements et des roues nous avons sans cesse une jupe entre les mains. C’est une danse très festive, provocatrice car à l’époque il s’agissait de provoquer l’armée, l’église, les politiques, la société en général, en montrant nos chevilles et nos jambes. À l’époque, ces danseuses faisaient partie des premières femmes qui gagnaient leurs vies et qui étaient indépendantes. De plus la provocation est un comportement très français. C’est un peu comme la Marseillaise, il y a d’ailleurs des notes de notre hymne national au début de la musique du French Cancan au Moulin Rouge. Elles étaient les premières féministes en réalité. Nous avons un rôle de porte-drapeau essentiel, au même titre qu’une équipe sportive nationale. Les couleurs bleu blanc rouge de notre robe ont pour but de représenter la France dans ce qu’elle a de plus beau, de plus festif et d’authentique. Je suis très fière de la représenter en tant que française en France.
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Joséphine Baker, Mistinguett et Gaby Deslys, ont-elles été une source d’inspiration ?
Romane Bollengier : Oui, je connais bien sûr la figure emblématique de Joséphine Baker, tout comme Mistinguett, qui ont marqué l’histoire du Moulin. Qui plus est, elles étaient toutes les deux des femmes fortes, féministes et de superbes meneuses de revue. Mais aussi La Goulue, interprète renommée du French Cancan à l’époque sans compter les autres vedettes du cabaret tel que « Nini pattes en l’air », « Grille d’égout », « Valentin le Désossé », etc. En effet, j’ai toujours été intéressée et attirée par ce monde du cabaret. Récemment, j’ai même pu interpréter Mistinguett lors d’une séance photo, et non pas sans émotion lorsque l’on connaît l’importance de ces personnes qui ont marqué Paris et le cabaret.
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Comment collaborez-vous avec l’équipe artistique, notamment avec les artisans plumassiers, cordonniers, etc. ? Tout comme les magiciens, le costume et le maquillage sont primordiaux afin d’incarner au mieux son personnage et transmettre des émotions. Comment avez-vous appréhendé l’usage des costumes et du maquillage pour danser ?
Romane Bollengier : S’agissant des costumes, tous les soirs, une équipe d’habilleurs nous aident à nous habiller entre deux chorégraphies, tous nos costumes imposants restent sur le pallier, à proximité de la scène, sinon les perruques et les autres tenues sont dans nos loges à l’étage. Ces mêmes artisans font aussi des coutures et des retouches rapides. Nos tenues sont entretenues tous les jours, lavées, repassées, etc. Les ateliers sont au sein même du Moulin Rouge sur plusieurs étages et nous disposons d’une réserve pour les anciens costumes. Les habilleurs sont hyper-efficaces, pour que les costumes de la revue soient adaptés pour chaque danseuse, il faut prendre les mensurations des chapeaux aussi, etc. Tout est fait à la main, c’est du sur-mesure, on a beaucoup de chance de travailler avec des professionnels de ce niveau. Concernant les codes maquillage du cabaret, nous devons porter de faux-cils, du rouge à lèvres, ce sont les codes de base du milieu du cabaret. Nous devons faire attention à ce que notre maquillage ne soit pas trop sombre et assez lumineux. Nous pouvons jouer avec les textures et les couleurs qui nous correspondent, sans que ce soit trop excentrique. Mais nous devons respecter aussi le port du chignon pour pouvoir enfiler les perruques. C’est notre préparation quotidienne. Tant que l’on respecte ces règles de maquillage, on peut se permettre de s’amuser un peu. Au cas par cas, nous avons des retours personnels.
Certains de nos habilleurs travaillent à l’Opéra de Paris, et aident à l’habillage, d’autres sortent d’écoles de mode, de couture, ou ont eu des expériences dans des théâtres, dans l’univers de la scène, etc. Mais ils doivent avant tout être polyvalents et capables de travailler dans l’urgence. Nous disposons de chaussures de rechange au cas où, de même si un point de couture est nécessaire, la réparation sera très rapide. C’est un vrai travail d’équipe.
Participez-vous à des numéros d’illusions lors de la revue ou lors de précédentes revues. Êtes-vous également intéressée ou férue de magie ?
Romane Bollengier : Non, je n’ai jamais participé à un numéro d’illusion, malgré le fait que la magie soit un spectacle dont l’on souhaite percer les secrets. Cependant, nous essayons de créer de la magie sur scène au travers de nos performances.
Auriez-vous quelques anecdotes ?
Romane Bollengier : J’ai déjà cassé un talon au début d’une chorégraphie, les bottes devaient être fatiguées, je ne m’en suis rendu compte qu’après coup. Le talon a été poussé discrètement en-dehors de la scène par mes deux collègues. J’ai pu sortir de scène sans impacter notre danse, car nous ne sommes que trois à ce moment-là et quelques secondes plus tard je revenais avec une nouvelle paire de bottes. De même, pendant le French Cancan, cette danse étant très rapide et intense, il y a parfois des coups qui se perdent. En effet, j’ai déjà malheureusement donné un coup à une danseuse, qui a dû se rendre à l’hôpital. Cette collègue australienne ne parlant pas bien français, ne s’est pas fait comprendre auprès des médecins. Suite à cet incident, j’ai reçu une lettre m’indiquant qu’elle avait été victime d’un accident de voiture, ce quiproquo, qui s’est bien terminé, me fait sourire en y repensant. Nous avons aussi de grands fans qui connaissent les paroles de nos shows par cœur. J’ai aussi pu participer à de nombreux plateaux télé, à des danses lors des Jeux Olympiques de Paris l’été dernier, c’était génial. Malheureusement, le temps n’était pas en notre faveur, néanmoins, cela a rendu le moment encore plus inoubliable. Tout le monde a été très prudent pour ne pas tomber devant les caméras.
Comment faire un spectacle qui plaît toujours au public ?
Jean-Victor Clérico : L’accueil est fondamental, car l’expérience féérique se produit dès l’entrée au sein de notre maison, tous les détails ont leur importance. La brigade, les maîtres de salles, tous les postes ont un rôle à jouer pour que la magie opère. Le spectacle actuel a été créé en 2000, nous l’avons remanié, mais la trame date de cette époque. Mon baromètre aujourd’hui demeure l’applaudimètre du final, les réactions du public à la sortie de la salle. Nous veillons à ce que le spectacle soit toujours en phase avec notre société, nous travaillons toujours la technique, notamment la lumière, mais aussi la manière dont la musique enveloppe le son. Sans perdre de vue que le show est avant tout du music-hall, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une succession de tableaux, où les artistes abondent, où le mouvement est omniprésent, la volupté et la richesse des costumes à plumes contribuent à ces effets. Elles sont le prolongement de l’artiste. Sans oublier le French Cancan qui est le tableau phare du Moulin. Une fois ces éléments réunis, nous devons être vigilants à la durée, puisque nous sommes sur des formats de grosses productions comme celui des Misérables actuellement au théâtre du Châtelet. Nous conservons les classiques avec une mise en scène moderne en accord avec notre société contemporaine. Lors de l’événement de la Banque publique d’investissement, j’ai insisté sur le fait qu’il ne faut pas céder aux canons du modernisme absolu, puisque nous ne devons pas oublier que notre mission première est d’apporter du divertissement et de la convivialité. Le cabaret a toujours eu pour objectif de pousser les spectateurs à partager ce moment ensemble, le public a besoin de retrouver cette dimension chaleureuse. Le Moulin Rouge est une véritable ancre culturelle, puisque lorsque l’on parle de Paris, il n’est pas rare d’avoir à l’esprit notre music-hall.
À voir :
À lire :
- Le Moulin Rouge, quand Paris est une fête de Jacques Pessis (Le Cherche midi, novembre 2024)
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Interview réalisée en janvier 2025. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Archives du Moulin Rouge / Philippe Wojazer / Bertrand Royer. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.