Conception et mise en scène de François Delarozière.
« Nous attachons une attention particulière à ne pas transfigurer la machine, à lui laisser une esthétique mécanique brute. C’est l’intervention humaine de la manipulation, du discours, de la musique ou de la danse qui donne vie aux machines. » Telle est la philosophie de François Delarozière sur la piste d’envol de la légendaire Aéropostale, après Saint-Exupéry, Guynemer et les autres, ce nouveau pionnier essuie les plâtres d’un projet colossal.
Bien connu pour avoir conçu la famille des Géants de Royal de Luxe – qu’il accompagne de 1983 à 2005 – puis Les Machines de l’Île à Nantes, le metteur en scène et scénographe s’apprête à inaugurer, à Toulouse La Halle de La Machine. Ce grand bâtiment, construit avec des subsides de Toulouse-Métropole et de la Région Occitanie abritera ses créations quand elles ne sont pas en tournée. Le quartier de Montaudran, autrefois banlieue industrielle, sort de terre autour de l’Aéropostale désormais baptisée La Piste des Géants. La métropole entend ainsi le doter d’un équipement culturel et touristique. « Le financement de La Halle de la Machine (12 Millions d’euros) dépend des services de l’urbanisme, précise François Delarozière : une façon d’ouvrir la porte à l’art dans l’urbanisation de la cité. » La piste d’aviation de 2,5 km reste telle qu’elle, bordée des « jardins de la ligne », plantés d’essences végétales issues des pays traversés jadis par l’Aéropostale. Malheureusement, on ne peut pas y mettre les pieds, remarque le metteur en scène. Non loin, on trouvera un musée dédié à la mémoire des pionniers. Mais rien de muséal dans La Halle des machines : « les mécaniques animées de la compagnie prendront vie sous les yeux du public grâce à une équipe technique et artistique et à travers un large éventail de récits ». La Symphonie Mécanique, Les Mécaniques Savantes, L’Expédition Végétale, Le Dîner des Petites Mécaniques et Une nouvelle forme de vie non répertoriée, seront mis en mouvement pour les visiteurs et, entretenus, prêts à repartir jouer aux quatre coins du monde.
Photos : Jordi Bover
Grâce à un contrat de délégation de service public de dix ans avec Toulouse-Métropole et un budget de fonctionnement de 632 000 euros, l’association La Machine emploie 35 personnes et fait appel, pour la construction d’objets de spectacle atypiques, à de multiples professions : des métiers d’art à l’industrie et aux technologies de pointe. Comédiens, techniciens, marionnettistes, musiciens et décorateurs se chargent de les animer : « le mouvement est un langage, une source d’émotion. »
Dehors, dans le « manège carré », se croiseront La marche des buffles, La ronde des insectes et Les Poissons…
Dans le même temps, des dizaines de techniciens, mécaniciens, comédiens, musiciens s’activent aux répétitions du spectacle inaugural. Le Gardien du Temple se donnera du 1er au 4 novembre dans les rues de la Cité rose : St Cyprien, Capitole, Esquirol, les quais de la Daurade, Port Viguerie, Matabiau, Alsace Lorraine, Carmes, Salin, Boulevard Carnot autant de labyrinthes, terrains de jeu où une araignée articulée de 13 m de haut et 20 m de diamètre retrouvera le Minotaure (47 tonnes pour 4 m de large, et jusqu’à 14 m de haut) Telle Ariane, la fileuse le sortira de son souterrain… Cette épopée, conçue à raison de trois épisodes de deux heures par jour, s’inspire du mythe d’Ariane, mais revu et corrigé par la plume de Jorge-Luis Borges : dans La Demeure d’Asterion, nouvelle du recueil L’Aleph, où l’écrivain donne la parole au Minotaure.
Photos : Jordi Bover
Un étrange ballet se prépare accompagné d’un orchestre, perché sur quatre plateformes mobiles à huit mètres du sol et dirigé par Mino Malan, auteur de la musique. Un ténor donne voix à la complainte du Minotaure : « On me prend pour un fou / On me traite de monstre / Tout ça n’est que mensonge (…) Mes ailes retrouvées / qui sait ce que je ferai »… Pour le metteur en scène de cet opéra de marionnettes géantes, dont il a écrit le livret, le monstre n’est qu’un malheureux paria, mis à l’écart du monde parce que différent : mi-homme, mi-taureau ! C’est un personnage poétique et pathétique qui s’ennuie et aspire à sortir des « couloirs sans fin et des corridors vides ». Ariane, fille de Minos et de Pasiphaé – ici une araignée -, utilise ses pouvoirs magiques pour le guider vers sa future demeure, le temple dont il deviendra le gardien… Telle une danseuse, elle évolue avec grâce, chacune de ses huit pattes activée par un humain. Ses yeux et sa tête bougent sous l’impulsion de trois manipulateurs. Elle bave et crache de la vapeur, tandis que le Minotaure, mu par dix-sept personnes, se cabre, rugit et lance des flammes sur son passage.
Les répétitions sont tenues secrètes mais le public pourra bientôt admirer ces géants dans les rues de Toulouse. Le premier jour est celui de l’apparition des machines. Les jours suivants on les verra évoluer dans différents quartiers. Pour éviter les bousculades, seul le point de départ de chaque journée sera communiqué. On retrouvera les deux protagonistes du Gardien du Temple, apaisés, dans La Halle des machines et sur la piste de l’Aéropostale à Montaudran. L’Araignée embarquera sur son dos une dizaine de personnes, et le Minotaure une cinquantaine. « Ces sculptures vivantes transforment le regard que nous portons sur nos cités conclut le maître d’œuvre. Le théâtre que nous pratiquons est un théâtre de rue et d’action dans la rue. Ainsi cet art dans la rue nous permet d’envisager, dans l’espace public, un acte fédérateur. »
Notes :
- L’inauguration de La Halle de La Machine (3 avenue de l’Aérodrome de Montaudran à Toulouse) a eu lieu du 9 au 11 novembre 2018.
À lire :
Article de Mireille Davidovici. Source : Le Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Jordi Bover / Compagnie La Machine. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.