Conception et mise en scène de François Delarozière.
Pari gagné ! Trois jours durant, le théâtre de rue est venu au secours d’un animal légendaire, le dragon échoué accidentellement sur une plage de Calais ! Au départ, la nouvelle suscita crainte et méfiance des habitants. Mais petit à petit, l’enchantement a gagné les Calaisiens venus exprès ou par hasard. Le dragon, superbe, avança dans la ville : « C’est, dit son créateur François Delarozière, un peu un dragon-lézard. Il peut venir des îles Galápagos ou d’ailleurs mais il a voyagé et son A.D.N. n’est pas d’ici en fait. Et cela me plaisait bien de faire venir un nouvel arrivant qu’on allait rencontrer, qu’on allait peut-être, qui sait ? Apprivoiser et qui, ensuite, pourrait élire domicile à Calais, terre de passage depuis toujours… Il deviendrait l’ambassadeur de la ville ». Bien vu pour ce choix d’un animal féérique, symbole de courage et de protection, dans le contexte social et économique actuel et délicat de la ville !
Mais, avant ce « happy-end » voulu par l’artiste et sa compagnie La Machine, le Dragon tout juste sorti de son sommeil, a dû gagner la confiance de la population. Le premier jour, étendu sur le sable du front de mer et après son réveil, moment inoubliable, l’animal-mécanique, plus vrai que nature, s’engagea dans l’espace urbain, tel un monstre ou un sauveur… Un instant théâtral de toute beauté, sous un ciel gris bleu et de pluie, traversé par des rais de lumière ! De la plage au port, ensuite par la place d’Armes et enfin à la mairie, la bête, franchissant divers obstacles, est allée à la rencontre de nous les humains devenus à son échelle, Lilliputiens ! Crainte, étonnement et joie, se lisaient sur les visages : « On a l’impression quand on approche que le dragon est vivant ! » Et une petite fille dit en voyant les boules de feu sortir de sa gueule : « Ses cris me font peur et il peut me brûler ! » ou encore « C’est tellement vrai mais aussi irréel ! »
Calais, peu à peu était comme métamorphosée. Oubliés le quotidien difficile et la crise migratoire… Au rythme du vent ou des instruments à corde, batterie et autres musiques, l’animal gigantesque, au fur et à mesure de son avancée impressionnante, gagnait l’admiration et la sympathie de la foule. Sa marche conquérante allait à coup sûr, le couronner Dragon de Calais ! Effet de surprise, fête poétique et musicale ! Une véritable mythologie urbaine était née, et gravée à présent dans la mémoire collective.
Mais que pouvait-il bien se cacher derrière cet animal de légende ? Une réalité plus concrète. Pour raviver son attrait, la ville s’est engagée dans un projet urbain et un développement de ses activités mais elle a vite pris conscience qu’il fallait joindre l’utile à l’agréable et au rêve. « L’idée, dit Pascal Pestre (adjoint à la Culture, à la Mairie de Calais) et qui est à l’origine du projet : était celle que Calais avait besoin de quelque chose de hors-normes pour changer son image.»
Une pensée loin d’être évidente pour une ville ouvrière de par son histoire, comme la plupart de celle des Hauts-de-France. « Changer son image » d’accord, mais pour tous ! Et en priorité pour ses habitants et touristes. La question reste ouverte pour les migrants et leur devenir… La Maire, Natacha Bouchart, eut alors le projet de faire appel à François Delarozière et à sa compagnie La Machine. Enthousiasmé par cette nouvelle aventure, il n’hésita pas une seconde. Il connaît bien la ville à laquelle il voue un attachement particulier. Et comme le dit un spectateur : « Chaque fois que je viens à Calais, c’est pour voir une grosse bête » ! On se souvient avec plaisir de l’impressionnant Long Ma, le dragon-cheval et Kumo l’araignée, un spectacle de rue créé il y a trois ans avec la précieuse collaboration du Channel – Scène Nationale.
François Delarozière refuse ouvertement tout signe politique dans son action artistique et culturelle aux côtés de la Maire et de son projet urbain. Il se contente à sa façon, d’aller à la rencontre des hommes et femmes : « Tout ce que je fais résonne avec un territoire et une population. » Le droit pour tous de vivre humainement et dans la dignité, il l’exprime à travers cette démarche artistique et géographique. Le projet à l’échelle de la ville c’est aussi pour François Delarozière, une volonté personnelle et essentielle à ses yeux, d’intégrer, à tous les niveaux, l’art et la culture dans la société civile, professionnelle, industrielle et d’avoir ainsi « la possibilité de peser sur un même plan que les urbanistes et les architectes. »
Une autre singularité esthétique et humaniste réside dans la fabrication du Dragon et du monde animalier en général, nés des mains de cet artiste. La conception de l’animal-machine est fondée sur la primauté donnée au choix des matériaux : « La matière pour moi, c’est comme le mouvement. J’utilise le mouvement comme langage. L’amplitude d’un mouvement, sa vibration, sa fréquence, tout cela fabrique des émotions, comme un mouvement de paupières, un battement de cils. On appréhende le langage humain : fermeture/ouverture et on le projette sur le dragon. De même avec les matériaux : bois ciselé, acier présents dans son corps, comme les moyens hydrauliques, de la fumée quand il lâche une flamme ou qu’il crache de l’eau, sont pour moi une façon de raconter une deuxième histoire, celle de sa genèse et là c’est plus compliqué, car on sait mal l’analyser… Mais nos constructeurs marquent de leur sensibilité, la matière comme par exemple, une couche de peinture laissant transparaître l’acier ou le bois. »
Pour François Delarozière : « La matière se charge de ce que l’on en fait et le geste se charge de l’intention et de l’émotion ». Autre point essentiel pour lui, le travail collectif : « C’est un vrai combat que l’on partage ensemble entre artisans et artistes. Notamment, sur la matière, c’est le processus qui m’intéresse avant tout. Car, s’il est bon, le plaisir sera là au moment où on le fait, c’est comme en art et le résultat aussi sera bon. » Si notre monde gangrène notre imaginaire d’horreur et de violence, la création spectaculaire de ces animaux-machines ou/et animaux-urbains ouvre à chacun la porte du rêve et de la joie ! Accessible à tous ! « Le sens de mon acte, dit-il, c’est rendre les gens heureux avant tout et d’éviter qu’ils meurent, qu’ils s’entredéchirent et de faire en sorte qu’il y ait d’autres choses dans la vie. ». La compagnie La Machine et son directeur espèrent en un temps momentané, celui de l’art vivant, gravé pour un instant ou plus, une œuvre poétique dans l’esprit des spectateurs. « Un autre monde débarque à Calais ! ». Un monde en couleurs, joyeux et mélancolique.
Avec cet événement, la ville transfigurée est devenue pendant ce week-end prolongé, un grand théâtre ! Protection civile et sécurité obligent, la gendarmerie, l’armée, la police et les pompiers engagés avec bonheur dans le spectacle ont permis d’offrir en compagnie de cet étrange dragon, une histoire à partager entre tous dans une ambiance bon enfant et un air de liberté. Comme par magie, la ville et ses hôtes se sont retrouvés, en ce week-end maussade de novembre, face à une autre dimension et face à une autre relation au réel: c’est sans doute là toute la richesse de ce théâtre de rue festif et spectaculaire. Bienvenue à cet ambassadeur de la ville ! Et rendez-vous le 17 décembre 2019, l’histoire urbaine et théâtrale du Dragon de Calais commence seulement !
A lire :
Article de Elisabeth Naud. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Jordi Bover / Compagnie La machine – Compagnie du Dragon. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.