Notre collègue Jean Weber, le célèbre sociétaire de la Comédie Française, qui est aussi, comme chacun le sait, un excellent prestidigitateur, nous a envoyé l’article ci-dessous d’autant plus intéressant qu’il traite d’un problème très discuté.
Chers confrères en Magie, le « Débinage » vous tient fort à cœur ; vous le blâmez, vous le craignez et vous le fustigez.
Le débinage ? Mais vous lui donnez beaucoup trop d’importance ; ou plutôt il m’apparaît qu’il n’a point celle importance-là.
Dites-vous que si vos secrets restent ignorés, ce n’est pas parce que vous les gardez jalousement, mais bien parce qu’on veut les ignorer. Votre public se divise en deux groupes inégaux : ceux que vous intriguez et ceux que vous charmez. Les indiscrets et les autres. Les uns ont depuis fort longtemps consulté quelque Payot — trouvable en tous lieux et accessible à toutes les bourses — et avec la prestigieuse complicité des Maîtres de votre Art, ils ont tôt fait de dissiper vos fameux secrets. Toutes vos recettes, vos combinaisons et vos trucs y sont en effet révélés, commentés, analysés et comparés. Votre succès auprès de ceux-là en sera-t-il diminué pour autant ? Bien au contraire ! J’oserais même affirmer que lorsqu’ils savent où et comment celui-ci cueille ses cigarettes, cet autre contrôle ses cartes, ce troisième dissimule ses foulards, ils vous en admirent bien davantage !
Tant il et vrai, comme l’a dit Corneille, que : « la façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne. »
Quant aux autres, infiniment plus nombreux, ils ont été charmés, et le veulent demeurer. Ils refusent le débinage.
Jean Weber (Photo : Didier Morax).
Laissez-moi vous donner un exemple à l’appui de cette affirmation… paradoxale… puisqu’elle semble méconnaître la curiosité humaine. On sait qu’au crépuscule de sa vie, Dickson entreprit une campagne contre le spiritisme, l’occultisme et autre obédience sujette à controverse. Les séances qu’il donnait alors comprenaient trois parties : Conférence, expériences, révélations.
Ces manifestations étaient fort courues, mais l’effet en était le suivant : Le conférencier sceptique, intransigeant, accusateur, soulevait un grand enthousiasme ; l’illusionniste remportait un véritable triomphe mais le démonstrateur créait sur-le-champ un malaise ineffable.
… Et le grand Dickson devait se retirer devant un public de glace ! Ainsi donc, cet auditoire visiblement hostile aux sciences occultes, manifestement favorable au Prestidigitateur, cet auditoire qui « était venu pour ça » repartait déçu, gêné, muet, comme choqué de révélations impudiques, presque obscènes. Et ma conclusion fut, chers Amis Magiciens, que votre bête noire n’avait point du tout les dents si longues que vous le supposiez, qu’on ne la caressait qu’à regret et que ses morsures ne pouvaient nuire à la santé de votre Belle Maîtresse, cette Enchanteresse « sans qui les choses ne seraient que ce qu’elles sont » : l’illusion.
Rappelez-vous enfin que :
L’homme est de glace aux vérités, il est de feu pour les mensonges.
… Mais, j’entends une voix… C’est celle d’une Dame mûrissante — l’Association n’a-t-elle pas cinquante ans aujourd’hui ? – qui, pleine de savoir, d’expérience et de sagesse, me murmure ce que lui révéla le Lorenzo de Musset :
« Ce que vous dites là est parfaitement vrai, et parfaitement faux, comme tout au monde. »
Vous avez raison, Madame. Aussi, je me tais.
JEAN WEBER.
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