D’après La Ronde d’Arthur Schnitzler. Écriture : Yann Verburgh. Conception et mise en scène : Johanny Bert. Dramaturgie: Olivia Burton. Création lumières : Gilles Richard. Acteurs marionnettistes : Yasmine Berthouin, Yohann-Hicham Boutahar, Rose Chaussavoine, Elise Martin, George Cizeron, Enzo Dorr. Création musicale et interprétation en scène : Fanny Lasfargues. Scénographie : Amandine Livet et Aurélie Thomas.
La pièce qui fit scandale à sa création en 1920, est devenue un classique, mais étrille toujours, quelles que soient les joliesses de la mise en scène. La brutalité du désir, de son urgence à son épuisement, de l’appétit à la satiété, du Soldat à la Petite Bonne, de la Petite Bonne au Jeune Monsieur… Ici, se heurtent classes sociales, âges et fragilités. La chair est avide et triste, au bout du compte. Johanny Bert et Yann Verburgh, inspirés par la dramaturgie circulaire et le mouvement perpétuel de La Ronde en donnent une version non édulcorée, mais moins amère, avec un regard vif sur les questions de sexualité dans notre société. Le spectacle s’ouvre sur l’allégorie de la caverne dans La République de Platon, mais retournée. Et paradoxe : ici, ce sont les ombres projetées, les marionnettes, les artifices, qui mènent à la connaissance du vrai. Sinon, à quoi bon, le théâtre ?
Cette (nouvelle) Ronde commence avec une jeune fille actuelle, délurée, indépendante et grande gueule, honteuse de n’être pas encore débarrassée d’une encombrante virginité et requérant à cet usage le premier venu. Alors, cela commence à tourner : entre la fille et un garçon, entre ce garçon stagiaire et son patron, entre, lui et son épouse qui va rencontrer un partenaire dans une boîte échangiste… LGBTQIA+ (Lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels, en questionnement, intersexuels, asexuels et autres), toutes les options existantes dans le monde réel sont là. Mais il ne s’agit pas d’une exposition universelle des différentes identités sexuelles revendiquées en sous-groupes. Mais au contraire, de la circulation de désirs changeants, surprises, plaisirs et amours.
Johanny Bert et Yann Verburgh ont enquêté, et au fil des rencontres, recueilli les témoignages de ceux qui ont bien voulu se confier. Mais ici l’emploi de la marionnette change tout et autorise la plus grande liberté, sans voyeurisme… Elles sont capables de tous les excès visuels et de toutes les métaphores en action, « s’envoyer en l’air », grimper « au septième ciel », se disloquer de plaisir, perdre la tête, déployer un sexe masculin interminable et joyeux, et autres outrances pleines de vérité et terriblement humaines. Et quand apparaît un acteur prêtant son corps à un « humanoïde » à l’expression aussi limitée que celle de Siri (l’interlocuteur artificiel de certains téléphones), il passe très bien pour un robot. Belle inversion, avec son pesant d’humour. Cette vie intense que transmettent les poupées, on la doit au soin avec lesquelles elles sont fabriquées et habillées par Pétronille Salomé, virtuose, puis déshabillées, articulées, manipulées par les acteurs qui leur donnent voix et mouvement dans l’ombre. Ils viennent saluer à la fin et c’est juste. Durant tout le spectacle, on les devine tout en noir qui accompagnent, entourent, prennent dans leurs bras les marionnettes pour les mettre en avant et les faire jouer. Avec des gestes précis qui donnent au spectacle une bonne partie de sa tendresse : ici justement le propos de La Ronde.
Ce n’est pas gagné tout de suite : le prologue prend son temps, et dans la première scène on parle trop, alors que le jeu des marionnettes dit tout. Et l’écriture reste explicative et pesante. Puis cette (nouvelle) Ronde prend son rythme et les scènes, leur intensité. Une belle invention plastique donne de plus en plus de charme au spectacle, avec, par exemple, au pays des fantasmes et des rêves (la boîte de nuit) une sorte de grand jouet, peluche consolatrice – doudou pour adultes – à supposer qu’on devienne adulte un jour. L’objet prend selon les angles de vision, l’allure de l’appareil génital masculin ou le schéma plus récemment décrit, et moins visible du clitoris, le tout avec grâce. Où l’on voit le fantasme rencontrer la fantaisie, et les marionnettes, s’émerveiller. Cela donne un spectacle culotté (et bien évidemment déculotté…) poétique, souvent drôle, parfois émouvant, libre surtout, et parlant à tous, même s’il n’est pas fait pour les enfants. Encore que… « Sérieux comme le plaisir », aurait dit Robert Benayoun, le réalisateur de ce film éponyme (1975).
À lire :
Article de Christine Friedel. Source : Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Christophe Raynaud de Lage. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.