D’après L’Homme qui rit de Victor Hugo. Ecriture et mise en scène de Claire Dancoisne.
La Compagnie de La Licorne a encore frappé fort avec cette création, une petite forme inédite, noire et lumineuse, de théâtre dans le théâtre. Belle mise en abyme de l’œuvre hugolienne. La Green Box, titre éponyme de la roulotte à la fois accessoire et refuge du saltimbanque et penseur Ursus, un préposé du théâtre de foire. A la façon d’une vitrine moyenâgeuse et de ce qui pourra devenir plus tard le théâtre de rue, aux XVII et XVIII èmes siècles en Angleterre, l’attraction se déplace, de parvis de cathédrale londonienne en place d’église villageoise. Un théâtre ambulant de carrefours, de marchés, foires, et fêtes… Le public voyeur étant toujours nombreux, quand il s’agit d’apprécier les fantaisies cruelles et mauvaises.
Ursus n’est pas celui qui assure ce mélodrame animalier et carnassier, homme pourtant : philosophe, médecin et guérisseur, il connait dépité ses semblables, mais est aussi le protecteur des exclus de ce monde. Comme ces êtres que les Comprachicos, brigands et trafiquants d’enfants de privilégiés qu’ils ont volés et qu’ils défigurent pour les rendre monstrueux donc attractifs. Par ailleurs, Ursus est aussi un défenseur de la cause animale et végétale. Le monstre Gwynplaine, lui, retrouvera ses titres de lord et siègera à la Chambre où il dénoncera les injustices et les trahisons, l’iniquité des puissants face aux miséreux. Rien n’y fera, les députés de la noblesse se moqueront de cet homme qui rit.
Ici, le loup domestiqué est le protagoniste : Homo le bien nommé, plus humain que les hommes, se glisse dans la parole avertie du bateleur Ursus. Et, via son regard politique, il rend compte de l’inhumanité et de la corruption des hommes arrogants et suffisants. Les boutiques foraines ne peuvent rivaliser sur les places publiques avec la Green Box, un divertissement populaire bas et inavouable, un lieu de curiosité bien malsaine : « Ce loup, docile et gracieusement subalterne, était agréable à la foule. Voir des apprivoisements est une chose qui plaît. Notre suprême contentement est de regarder défiler toutes les variétés de la domestication. »
Mais sur scène, le Loup mène la danse. Claire Dancoisne, artiste habitée par une esthétique décalée immédiatement identifiable, tendance baroque, apporte toute la dimension mélancolique de l’univers gothique et se plaît à cultiver l’œuvre hugolienne. Puisqu’attraction il y a avec cette Green Box, elle sera volontairement sombre et noire, profondément minérale et mortifère, puisque ossements et squelette morcelé tiendront lieu de décor, une danse macabre moqueuse.
Avec un sac de marin, rempli d’os pour seul bagage, l’acteur à la tête de loup, – jambes et bras aux longs muscles vigoureux – s’agite sur son piano d’os accumulés, comme s’il jouait une partition. Il s’adresse au public, donnant son avis sur l’obscénité du rire humain, à l’aide de sa collection personnelle d’ossements : crâne, fémurs et tibias, mains squelettiques, colonnes vertébrales en miettes.
Olivier Brabant se fait aussi bestial que possible, bondissant, pivotant sur son établi d’os, soulevant la patte et prenant une clavicule ou une vertèbre dans ses griffes, multipliant les mouvements vifs du loup, sautant courbé, puis se redressant, mimant avec ses muscles d’animal, le prédateur royal. Une performance de haut vol : le public écoute la dénonciation politique des malversations des prétendus puissants, subjugué par ce comédien qui joue de sa voix rauque mais aussi de son corps si proche de la bête.
Article de Véronique Hotte . Source : Le Théâtre du Blog. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : Christophe Loiseau, Cie Théâtre de la Licorne. Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.