Elle habite dans une rue très passante du 6ème arrondissement de Paris dont elle aime bien le bruit qui monte à ses fenêtres et elle affiche gaiement ses presque quatre-vingt-dix ans. Elle a bon pied, bon œil et une excellente mémoire mais a préféré que nous n’indiquions pas son nom. Elle possède, confortablement installés parmi les plantes vertes de son salon et dans une chambre, de très beaux automates qu’elle n’est pas peu fière de nous présenter. Automates, nos frères mécaniques ! C’est Leibniz qui disait déjà : « Chaque corps organique d’un vivant est une espèce d’automate naturel ».
Visite guidée de la collection
Mon père était issu d’une famille de chefs d’orchestre italiens dont l’un avait écrit avec Giovanni Ruffini le livret de Don Pasquale de Donizetti. Il avait fait HEC, et avait ensuite racheté en 1920 – donc il y a presque un siècle – la petite usine de fabrication d’automates Vichy. Située rue Vercingétorix dans le 14 ème arrondissement de Paris, elle était construite en bois et les ouvriers n’avaient pas le droit d’y fumer à cause des risques d’incendie. Les bureaux de l’usine étaient situés eux, boulevard Péreire et, dans un grand sous-sol, il y avait un hall d’exposition avec toute sa collection d’automates animés électriquement. Et tous les grands magasins : Le Louvre, la Samaritaine, le Printemps, etc. avaient des vitrines avec des automates au moment de Noël, et il y avait des petites passerelles pour que les enfants puissent mieux voir. C’est encore toujours le cas. Mon père était connu de tout le monde et son entreprise J. A. F. Jouets Automates Français n’avait aucun concurrent !
Grand automate électrique de vitrine figurant un groom noir (J.A.F, successeur d’Auguste Triboulet en 1923).
Les gens adoraient cela et cette fusion entre le mécanisme et le vivant fascinait mes enfants quand ils visitaient ce sous-sol et quand on appuyait sur un bouton, tous les automates se mettaient en marche ; à l’entrée, un orchestre de musiciens noirs grandeur nature jouait de la batterie, du saxo et du piano. Une femme passait l’aspirateur sur son mari qui disparaissait presque entièrement. Il y avait aussi un fakir qui faisait disparaître des femmes. Un tigre et un éléphant grandeur nature effrayaient les enfants. L’Ecrivain calligraphiait réellement quelques mots et terminait en mettant un point. Le Buveur se servait à boire, vidait son verre et son visage exprimait alors un contentement visible, reposait son verre puis se servait, à nouveau, etc. De tout cela, malheureusement, il ne reste que peu de choses mais ces automates n’ont sûrement pas été perdus pour tout le monde ! Mon père faisait aussi de petites vitrines comme celles d’Hermès, rue du faubourg Saint-Honoré et, plus tard, a aussi animé des poupées Barbie avec des fils.
Et les automates que vous avez pu sauver et qui sont chez vous ?
Il y a d’abord Le Baiser derrière l’éventail auquel je tiens beaucoup : c’est un cadeau imaginé et réalisé pour mon père pour sa sortie de l’hôpital. Dans un salon privé du restaurant Chez Maxim’s, il y a un violoniste costumé façon russe, et un couple assis autour d’une table ronde avec un chandelier à six branches et une bouteille de Champagne et, à côté, un canapé rose où il y a les vêtements de monsieur et de madame. Toutes les huit secondes, la jeune femme embrasse le jeune homme. Au plafond, pend un lustre et, sur le côté, il y a une console avec une théière; le tout est en excellent état et fonctionne à la perfection.
Le Baiser derrière l’éventail.
Autre vitrine publicitaire réalisée pour un opticien : L’Elégante avec un chapeau à fleurs et une ombrelle, qui regarde avec un face-à-main. Ses deux bras et sa tête sont articulés. Près de la fenêtre, vous pouvez voir sur un socle d’un mètre, un Chinois d’un mètre vingt environ, qui joue du diabolo. C’est un mouvement très simple. Mon père avait conçu neuf autres Chinois, dont l’un jouait de la guitare, pour répondre à la commande du baron de Ruder qui inaugurait un nouvel appartement dans l’Ile Saint-Louis. Mon père me l’avait ensuite offert et c’est devenu pour moi un véritable compagnon.
Il faut que je vous montre aussi un bébé de six mois allongé dans son berceau qui ouvre les yeux, bouge les mains et les pieds. A côté un petite pianiste – une poupée Barbie – qui joue et une autre qui écoute. Un père Noël lève les bras régulièrement. Il y a aussi des automates à fil comme Le Clown, lui, qui joue de la guitare. Les automates publicitaires, il y a une cinquantaine d’années, étaient nombreux et très populaires ; dans un des épisodes de la célèbre émission Les cinq dernières minutes avec Raymond Souplex, Le Tsigane et la dactylo (1962) étaient deux automates qui jouaient un rôle important dans l’intrigue.
Y-a-t-il encore en France des fabricants d’automates ?
Oui, j’en connais un à Grenoble, c’est un ancien employé de mon père qui en fabrique encore de tout à fait remarquables pour des vitrines. Enfant, je trouvais cela déjà passionnant et mes petits enfants sont tout aussi fascinés. Mon frère aîné, cinéaste, avait produit un film, La Révolte des Automates. Pour ma part, j’ai contribué à fabriquer ces personnages en débourrant des peluches pour que l’on puisse y installer les indispensables mécanismes électriques activant les articulations. Ces automates sont comme de vieux amis qui font partie de ma famille…
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