Ne vous offusquez pas encore même si c’est un secret de magie révélé…enfin, oserais-je dire : à moitié ! Et encore nous ne sommes même pas sûr que cela se passe comme çà. Après avoir vu deux vidéos des numéros de Kevin James et de Criss Angel qui coupent en deux un assistant, je n’ai pu me poser qu’une seule question : « Mais comment diable font ils ? » J’ai beau connaitre quelques un des secrets qui régissent notre métier, cette fois, çà allait au-delà de ma propre logique. Il allait falloir fouiller. Existe-t-il un trucage fabuleux, une illusion d’optique que je ne connais pas, ou tout simplement l’illusion est de cette force qu’elle n’en est pas une ?
Peut-être est ce aussi simple : c’est juste une vraie moitié d’homme.
Ci dessus, Kevin James, Cut in Half Illusion / Sawed and Restored Man.
Puis m’est revenue en mémoire, une discussion que j’avais eue, il y a fort longtemps avec ma tendre maman concernant son passif d’infirmière. Elle avait travaillé dans certains services parisiens que l’on surnommait les mouroirs à monstres : des pièces où l’on entreposait littéralement les enfants malformés. Ici un enfant tronc posé sur une chaise, là un Spina bifida allongé sur un lit, ailleurs un hydrocéphale remisé dans un coin. Bref une honte humaine et médicale mais qui prouvait une chose : des gens différents existent et sont bien vivants. Puis dans ma cervelle rouillée un autre souvenir s’est ravivé, cinématographique celui là. Le fameux Freaks, la monstrueuse parade de Tod Browning.
Un film de 1932, où une trapéziste amoureuse du Mr Hercule du Cirque se laisse séduire par un lilliputien dans le but de lui voler son héritage. Un Cirque à l’ancienne peuplé de Freaks (« Monstres ») qui décideront alors de se venger jusqu’à la transformer en ce qu’elle déteste tant : un monstre elle-même. Ce film qui inspira beaucoup David Lynch et son Elephant Man, regorge de personnes malformées en tout genre. Hydrocéphales, lilliputiens, homme tronc et même un demi-homme. Tiens ? Un demi homme ? Cà collerait pas mal avec mon idée çà…
Et comme vous vous en doutez à l’époque, pas de trucages, ce film se veut réaliste. Tod Browning avait réuni toute une brochette de gens aux physiques ou particularités, disons, hors normes. L’homme qui nous intéresse ici, est celui en bas, au centre de la photo (ci dessus), assis sur une chaise. Enfin, posé sur une chaise est le terme qui convient le mieux ! Cet homme c’est Johnny Eck, de son vrai nom John Eckhard Jr, né le 27 août 1911 à Baltimore, Maryland et mort le 5 février 1991. Il fut précédé ce jour là, de son frère jumeau Robert, né sans particularité, alors que lui est arrivé sur terre sans jambes et avec une colonne vertébrale tronquée.
Mais loin d’être diminué par cette différence, il a accompli en une vie bien plus que beaucoup d’autres. Il a été principalement acteur, très connu pour son rôle dans Freaks ou encore dans les Tarzan de l’époque. Il a été aussi : artiste de foire, cirque, cabaret, peintre, sculpteur, photographe, magicien, marionnettiste, gymnaste, nageur, pilote de course, conducteur de train … et j’en passe. C’est sa carrière de magicien, et plus particulièrement une illusion, qui nous intéressent ici.
Ci dessus, Johnny et son frère Robert exécutant des tours de magie dans les années 1940.
En Décembre 1923, les frères Eck sont repérés par le magicien John Mc Asian, qui se produisait alors dans leur église locale. Lors du show, il fut abasourdi à la vue de ce garçon sautant sur la scène pour venir le rejoindre. Il lui proposa immédiatement un contrat pour intégrer un cirque itinérant, que ses parents validèrent pour un an.
Le contrat fut, semble t’il, modifié par la suite par l’ajout frauduleux d’un zéro dans la commission que le magicien se prenait. Eck effectuait un solo avec son frère qui mettait l’accent sur son physique anormal. Il mettait en avant son habileté manuelle et sa souplesse acrobatique. Puis sa carrière cinématographique prend le dessus, et il reviendra à la magie en 1937. C’est précisément cet évènement qui nous intéresse. En farfouillant dans divers livres comme Illustrated History of Magic de Milbourne Christopher ou Mysterious Stranger : a Book of Magic de David Blaine, et grâce à internet, j’ai réussi à reconstruire un compte rendu de la prestation de l’époque. En 1937 donc, les frères Eck intègrent la troupe du magicien Rajah Raboid après avoir découvert celui-ci dans The Vaudeville News dix ans auparavant. Le vrai nom de ce magicien est difficile à trouver, et serait Maurice P. Kitchen, ou plus vraisemblablement Ray Boyd.
Les frères Eck démarrèrent donc dans le spectacle Miracle of 1937 où le mentaliste-magicien-hypnotiseur Rajah Raboid présentait avec eux la fameuse illusion de « la femme coupée en deux ». Cette illusion, présentée telle que pour la première fois en 1937 à Portland dans le Maine, était tellement impressionnante qu’elle provoquait un vent de panique et des malaises dans la salle.
Voilà comment cela se déroulait : Deux versions semblent exister pour le début du tour. Soit : Il faisait d’abord monté quatre volontaires pour présenter une séance d’hypnotisme, puis en faisait redescendre deux, et donc restaient deux hommes sur scène. Il annonçait qu’il allait faire un grand classique mais avec une nuance : la « Femme Coupée en Deux » mais avec un homme. Soit : Il invitait une spectatrice à monter sur scène qui refusait à coup sûr quand elle découvrait que c’était pour participer à la « Femme Coupée en deux ». Il faisait donc monter deux hommes sur scène pour participer. La suite est celle-ci : il hypnotise un des deux volontaires, qui, une fois prêt, est allongé dans la boite, fermée. Rajah Raboid commence donc à scier la boite, quand le second volontaire commence à faire des réflexions du genre : « Facile, c’est une boite truquée » ou « c’est une tour de boite, c’est elle qui fait tout ». Rajah Raboid excédé appelle ses assistant qui sortent, démontent la boite, et ramènent le premier volontaire endormi, bien en vu sur une simple planche.
Là, il commence à le scier à vue, la lame passant bien à travers le corps, sans artifices. Juste au moment où il finit de scier, le volontaire allongé se réveille, se pose sur ses coudes puis finalement se soulève de la table à bout de bras, se rendant compte que ses jambes ne sont plus tout à fait là, ne cessant de répéter « Je veux mes jambes ! Où sont mes jambes ? ».
Les assistants de Raboid amènent alors un marchepied et le volontaire descend de la table, marchant sur ses mains et se retrouve sur la scène. A ce moment là : les jambes abandonnées sur la table, sautent depuis la planche sur la scène et commencent à marcher vers les coulisses. Le demi-volontaire se met alors à courir sur ses mains et part en course poursuite avec ses jambes. Au moment où il va pour les rattraper, juste au niveau du rideau menant aux coulisses, les deux assistants, l’attrapent par-dessous les bras et placent son torse sur ses jambes, lui faisant faire un rapide tour sur lui-même. Le faisant ainsi légèrement sortir de scène.
Il revenait alors immédiatement et s’arrêtant, l’homme en profitait pour demander à Raboid : « Je veux… je veux…je veux ma veste ! » Et il partait en courant dans l’allée centrale pour sortir définitivement du théâtre. Les gens qui jusque là étaient soit choqués, soit éberlués, soit riaient, lui faisaient une véritable ovation. C’est cette hilarité qu’il retrouva lors de toutes ses représentations qui contrebalançait parfaitement le coté choc de l’illusion. Son frère est absent de cette photo, mais bien sûr tout le succès reposait sur la particularité de Johnny et le fait que lui et Robert soient jumeaux. C’était même d’ailleurs ces si grandes spécificités et leur rareté qui permirent que ce tour ne puisse être reproduit par aucun autre magicien. Les deux frères furent toute leur vie inséparable et Johnny n’était rien sans son frère, même si ce dernier était effacé et vouait sa vie à s’occuper de Johnny. On voit donc ici l’exploitation des jumeaux comme le firent beaucoup de magiciens, mais aussi celle de particularités dont souffrent certaines personnes. Je ne sais si c’est véritablement une des explications du modus operandi de Kevin James et de Criss Angel, mais j’aime à le croire, quitte à me tromper. En tout cas on se rend compte que finalement, 70 ans plus tard, on a rien inventé !
A lire :
– Freaks de Boris Henry (Rouge profond éditions, 2009).
– Les monstres : histoire encyclopédique des phénomènes humains de Martin Monestier (Editions Le cherche midi, 2007).
A visiter :
– Le site dédié à Johnny Eck.
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