Leur signification : On sait que ce fut en 1362 (1), pour amuser Charles VI pendant sa démence, que les cartes furent inventées.
As vient d’un mot latin qui servait à désigner une pièce de monnaie. Au piquet, dit un chroniqueur, les as l’emportent même sur les rois parce que, selon le vieil adage, l’argent est le nerf de la guerre et qu’un roi sans argent serait faible.
Le trèfle, herbe abondante dans nos prairies, indique qu’un général ne doit jamais établir son camp que dans des lieux où il peut faire subsister son armée.
Les piques et les carreaux désignent les magasins d’armes. On voit encore aujourd’hui des piques dans nos arsenaux. Les carreaux (2) étaient une espèce de flèches, fortes et pesantes, qu’on nommait ainsi parce que le fer en était carré.
Les cœurs sont évidemment l’emblème de la valeur des chefs et des soldats : David, Alexandre, César, Charlemagne sont à la tête de chaque quadrille. C’est que les meilleures troupes ne peuvent rien sans l’expérience et le courage de leurs généraux.
Le titre de valet était fort honorable et les seigneurs le prenaient jusqu’à ce qu’ils fussent armés chevaliers. Aussi a-t-on nommé les quatre valets : Ogier, Lancelot, Lahire et Hector qui étaient des capitaines distingués. Les dames : l’anagramme de Regina est Argine ; c’est Marie d’Anjou, femme de Charles VII. Rachel représente Agnès Sorel, Pallas la valeureuse Jeanne d’Arc (3) et Judith est Isabau de Bavière, femme de Charles VI. Il est facile de reconnaître Charles VII dans le roi de pique en tant que David persécuté par son père Saül, et attaqué par son fils Absalon. C’est-à-dire Charles VII déshérité et proscrit par Charles VI, reprenant ses Etats à main armée et tourmenté depuis par son fils qui troubla par ses complots les dernières années de son règne, et même causa sa mort.
(1) Il y a un problème de date car Charles VI est né en 1368 et ne fut roi de France qu’en 1380. D’ailleurs, aucune source n’est citée. C’est en fait en 1392 que Jacquemin Gringonneur, artiste peintre et enlumineur, fut chargé de faire 3 jeux de cartes pour Charles VI (d’après les livres de compte du trésorier de Charles VI, Charles Peupart.) dont la «démence» ne fut pas continuelle car il régna tout de même pendant 43 ans, de 1380 à 1422.. Par conséquent les cartes existaient avant. Et en effet, si on en croit Max Maven, il existe un manuscrit suisse de 1377 faisant référence au jeu de cartes (Hélas, le titre n’est pas cité !). Vous trouverez cette référence dans le livre de Jon Racherbaumer intitulé Counthesaurus, publié en 2004.
(2) Le carreau le plus célèbre fut celui de Guillaume Tell qui… etc., etc…. sur la tête de son fils.
(3) Encore un problème de date car le roi Charles VII se maria avec Marie d’Anjou en 1403, rencontra Jeanne d’Arc en 1429 et Agnès Sorel en 1443. Par conséquent, l’interprétation des « dames » est postérieure.
Extrait de Le magasin pittoresque, Vol. 1, 1833, page 146-147
CARTES DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE
Après l’établissement en France de la république, proclamée par la Convention nationale dans sa première séance le 21 septembre 1792, les emblèmes de la royauté furent détruits. Les cartes de jeu n’échappèrent pas à la proscription générale. Les images qu’elles représentaient rappelaient des idées de monarchie. Elles durent être et furent en effet remplacées par d’autres images plus en harmonie avec les idées de république et de liberté. On composa sans doute alors plusieurs modèle et les cartes dont nous publions les dessins paraissent avoir été de ce nombre. Mais nous sommes d’autant plus fondés à croire qu’elles n’ont pas servi et qu’elles ne sont qu’un simple essai, qu’on y trouve aucune indication de couleurs. Ce qui a pu déterminer à ne pas donner suite à ce projet, c’est que la plupart des figures, étrangères aux passions du joueur, n’étaient pas par cela même suffisamment intelligibles aux masses, auxquelles elles étaient plus particulièrement destinées. On comprend en effet que si les philosophes contemporains, tels que Voltaire et Rousseau, étaient bien connus alors de la multitude, il n’en était pas tout à fait ainsi de Molière et de La Fontaine. Il lui fallait d’autres personnages et d’autres sujets, plus saisissants, plus démocratiques, en un mot plus révolutionnaires. Les cartes que nous publions comme un essai curieux, et qui se trouvent à la Bibliothèque royale, dans la collection de tarots formée par les conservateurs, ne remplissaient pas cet objet; on en employa d’autres qui, d’un travail assurément moins fini, répondaient mieux aux besoins du moment. Nos lecteurs pourront en juger eux-mêmes par la notice suivante qui en contient l’explication, et que firent paraître dans le temps les inventeurs. Devenue fort rare aujourd’hui, il nous a paru curieux de la donner en entier, avec son style si vivement coloré d’emphase et d’exaltation, comme un monument caractéristique de cette mémorable époque.
PAR BREVET D’INVENTION, nouvelles CARTES A JOUER de la république française (en 1795).
Il n’est pas de républicain qui puisse faire usage (même en jouant) d’expressions qui rappellent sans cesse le despotisme et l’inégalité; il n’était point d’homme de goût qui ne fût choqué de la maussaderie des figures; des cartes à jouer et de l’insignifiance de leurs noms. Ces observations ont fait naître aux citoyens Jaume et Dugoure l’idée de nouvelles cartes propres à la république française par leur but moral qui doit les faire regarder comme le Manuel de la révolution, puisqu’il n’est aucun des attributs qui les composent qui n’offre aux yeux ou à l’esprit tous les caractères de la Liberté et de l’Egalité. C’est à la moralité de ce but que les citoyens Jaume et Dagoure doivent le brevet d’invention qu’ils ont obtenu, et dont ils sont d’autant plus flattés, qu’il assure, pour l’universalité de la république, la perfection de l’exécution des types de ses bases inébranlables. Ainsi plus de rois, de dames, de valets : le GENIE, la LIBERTE, l’EGALITE les remplacent, la LOI seule est au-dessus d’eux.
Description raisonnée des nouvelles cartes de la république française.
Le génie remplace les rois.
Génie de cœur ou de la guerre (roi de cœur)
Tenant d’une main un glaive passé dans une couronne civique, de l’autre un bouclier orné d’un foudre et d’une couronne de lauriers, et sur lequel on lit : POUR LA REPUBLIQUE FRANCAISE. Il est assis sur un affût de mortier, symbole de la constance militaire; sur le côté est écrit FORCE, que représente la peau de lion qui lui sert de coiffure.
Génie de trèfle, ou de la paix (roi de trèfle).
Assis sur un siège antique, il tient d’une main le rouleau des lois, et de l’autre un faisceau du baguettes liées, signe de la concorde, et sur lequel on lit UNION. La corne d’abondance placée près de lui, le soc de charrue, et l’olivier qu’il porte à sa main droite, montrent son influence et justifient le mot PROSPERITE placé à côté de lui.
Génie de pique ou des arts (roi de pique) :
D’une main il tient la lyre et le plectrum, de l’autre l’Apollon du Belvédère. Assis sur un cube chargé d’hiéroglyphes, il est environné des instruments ou des produits des arts et le laurier accompagne sur sa tête le bonnet de la Liberté. Près de lui on lit GOUT.
Génie de carreau ou du commerce (roi de carreau) :
Il réunit dans ses mains la bourse, le caducée et l’olivier, attributs de Mercure. Sa chaussure désigne son infatigable activité et sa figure pensive annonce ses profondes spéculations. Il est assis sur un ballot et le portefeuille, les papiers et le livre qui sont à ses pieds, prouvent que la confiance et la fidélité sont les premières bases du commerce, comme les échanges en sont les moyens, ainsi que l’ordre en fait la sûreté.
La liberté remplace les dames.
Liberté de cœur ou des cultes (dame de cœur) :
Portant une main sur son cœur, elle tient de l’autre une lance surmontée du bonnet, son symbole, et à laquelle est attachée une flamme où est écrit DIEU SEUL. Le Talmud, le Coran, l’Evangile, symboles des trois plus célèbres religions, sont réunis par elle. L’on voit s’élever dans le fond le palmier du désert. On lit de l’autre côté FRATERNITE.
Liberté de trèfle ou du mariage (dame de trèfle) :
Par la faveur du Divorce, ce ne sera plus que l’assemblage volontaire de la Pudeur et de la Sagesse; c’est ce que signifient et le mot PUDEUR, et le simulacre de Vénus pudique, placé près de la Liberté comme l’un de ses pénates. Et si le mot DIVORCE est écrit sur l’enseigne qu’elle tient à la main, c’est comme une amulette bienfaisante qui doit rappeler sans cesse aux époux qu’il faut que leur fidélité soit mutuelle pour être durable.
Liberté de pique on de la presse (dame de pique) :
Paraissant écrire l’Histoire, après avoir traité la Morale, la Religion, la Philosophie, la Politique et la Physique. A ses pieds sont différents écrits et les masques des deux scènes unis à la trompette héroïque. Une massue placée près d’elle annonce sa force, comme le mot LUMIERE désigne ses effets.
Liberté de carreau ou des professions (dame de carreau)
Elle n’a pour attributs qu’une corne d’abondance et une grenade, emblèmes de la fécondité. Ses désignations sont le mot INDUSTRIE et la patente qu’elle tient à la main.
L’égalité remplace les valets
Egalité de cœur ou de devoirs (valet de cœur)
Egalité de trèfle ou de droits (valet de trèfle)
Egalité de pique ou de rangs (valet de pique)
Est représentée par l’homme du 14 juillet 1789 et du 10 août 1792, qui, armé et foulant aux pieds les armoiries et les titres de noblesse, montre les droits féodaux déchirés, et la pierre de la Bastille sur laquelle il est assis. A côté de lui est le mot PUISSANCE.
Egalité de carreau ou de couleurs (valet de carreau)
Le nègre, débarrassé de ses fers, foule aux pieds un joug brisé. Assis sur une balle de café, il semble jouir du plaisir nouveau d’être libre et d’être armé. D’un côté l’on voit un camp, de I’autre quelques cannes à sucre, et le mot COURAGE venge enfin l’homme de couleur de l’injuste mépris de ses oppresseurs.
La Loi remplace les as.
Loi de cœur, pique, trèfle et carreau (as de cœur, pique, trèfle et carreau): Si les vrais amis de la philosophie et de l’humanité ont remar¬qué avec plaisir parmi les types de l’Egalité le SANS-CULOTTE et le NEGRE, ils aimeront surtout à voir la LOI, seule souveraine d’un peuple libre, environner l’as de sa suprême puissance, dont les faisceaux sont l’image et lui donner son nom.
On doit donc dire : quatorze de LOI, de GENIE, de LIBERTE ou d’EGALITE, au lien de : quatorze d’as, de rois, de dames ou de valets. Et dix-septième, seizième, quinte, quatrième ou tierce au GENIE, à la LIBERTE ou à l’EGALITE, au lieu de les nommer au roi, à la dame ou au valet, la LOI donne seule la dénomination de MAJEURE.
Il parait inutile de dire qu’aux jeux où les valets de trèfle ou de cœur ont une valeur particulière, comme au reversis ou à la mouche, il faut substituer l’Egalité de devoirs à celle de droits.