Interprète : Nicolas Ferré. Musicien(ne) : Antoine Amigues et Swannie Galinier. Constructeur : Vincent Guillermin. Costumière : Émilie Piat. Co-écriture : Pia Haufeurt et Nicolas Ferré. Compositeur : Antoine Amigues. Regard complice : Yohan Lescop et Fred Blin.
Champ libre ! a pris le relais, il y a quatre ans, des Préalables. Avec dès la fin juillet et en août, de petits spectacles dans quelque vingt-cinq villes et villages autour d’Aurillac. Cette fois à Saint-Projet de Cassaniouze (Cantal) dans un merveilleux petit hameau au bord du Lot avec maisons aux toits en lauzes, vieille église et les restes d’une abbaye où, dit la légende, les moines du couvent tout proche de Conques (Aveyron) allaient mais en toute discrétion, consommer de jeunes nonnes affectées à cet usage. Cette grande abbaye et sa cathédrale du XIIe siècle mondialement connue depuis qu’elle a été réhabilitée par Prosper Mérimée, écrivain mais aussi inspecteur des Monuments historiques. Elle a un célèbre tympan aux quelque cent douze personnages, avec restes de polychromie et depuis 1994, une centaine de vitraux de Pierre Soulages.
Cela se passe sur l’herbe et à l’ombre de trembles centenaires, à quelques mètres du Lot. À côté, un petit marché de produits locaux. Spectacle gratuit. Public avec de nombreux jeunes et des enfants. Quelques bancs pour cent cinquante personnes. Pas de lumière artificielle, pas de micros H.F., pas de scène, juste un tapis noir, bref du théâtre, dit de tréteaux mais sans tréteaux, pas de coulisse pas d’éléments de décor sinon quatre caisses en bois où seront puisés quelques accessoires, et un frigidaire ancien au volume arrondi caché au début par un grand drap noir. Mais du vrai et bon théâtre de clown. Après quelques mots de Michel Castanier, maire de Cassaniouze et avant un petit air d’Antoine Amigues au synthé et à la batterie, entre, parmi le public, Frigo (Nicolas Ferré), nez de clown non plus rouge mais noir, chaussures trop longues et minces tout aussi noires, pantalon gris trop court… Il tient fièrement une baudruche blanche. Bref, dans la tradition de Grock dont il a la grande précision gestuelle, et plus récemment, des fameux italiens Colombaioni, avec l’archétype du clown, revu et corrigé.
Au programme, une union impossible entre le ciel et la terre, entre la pesanteur et l’apesanteur, et à la fin, on verra quelque chose qui s’apparente de très loin à une fusée spatiale ! Un frigidaire bidouillé, muni d’un siège où sera invitée à prendre place une spectatrice et ce sera le décollage – ou presque – avec bruit infernal au synthé, lumière rouge et fumée en dessous du frigo qui s’élèvera de… quelques centimètres ! Entre temps, quelques paroles en italien, une belle complicité avec les spectateurs acquis d’avance par le charme incontestable de ce pauvre mais très habile clown qui travaille sans filet, toujours en scène pendant cinquante-cinq minutes… Il dirige la musique du synthé avec une télécommande ! Comme les applaudissements, et a quelques tours de magie dans son sac… Des moments d’une poésie rare, comme cet enfermement d’un mouchoir rouge venu de nulle part dans une baudruche, dans un ballon gonflé à l’hélium qui s’élèvera au-dessus du Lot, petit point rouge. Ou ce téléphone portable chapardé vite fait à un spectateur et enfermé aussi vite fait lui aussi, dans une baudruche. Regard extasié des enfants. Une fois le portable bien haut dans le ciel bleu, Frigo le rendra à son propriétaire. (Les baudruches nous a-t-on dit, sont biodégradables). Avant de faire apparaître deux bouteilles de bière que Frigo et sa partenaire boiront assis sur une caisse à outils rouge.
Federico Fellini (très intéressé lui aussi par la magie) n’est pas loin ; ici, comme chez lui, plus de frontière entre l’imaginaire et le monde réel… Et comment croire un instant que ses paroles ont déjà plus d’un demi-siècle : « Le clown a toujours été la caricature d’une société bien établie, ordonnée, pacifique. Mais aujourd’hui tout est provisoire, désordonné, grotesque. Qui peut encore rire des clowns ? Le monde entier fait le clown maintenant. » Avis aux chefs d’État… Nicolas Ferré, très concentré sur son jeu, parle italien (bien vu cette distanciation, dirait papa Brecht) et comme les Colombaioni, il sait avec une courte phrase donner au public l’impression de comprendre ce qu’il lui dit. Et il y a une magnifique image où, à un petit garçon choisi par le public, il fait faire les mêmes gestes que lui… Ce spectacle a au début, un peu de mal à avancer mais ensuite en le détournant vers la magie, Nicolas Ferré et ses complices réinventent la tradition clownesque avec quelques accessoires mais surtout il réussit à établir une connivence de premier ordre avec les spectateurs qui l’ont chaleureusement applaudi.
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