Nous avons suivi ce festival depuis sa création en 1986 par Yvon Bec, adjoint à la Culture de cette ville de quelque 35 000 habitants. Il y avait seulement six compagnies, dont le théâtre Zingaro, devenu Bartabas et quatre venues de l’étranger. La population locale, assez réticente au début, s’est assez vite appropriée ce festival surtout les jeunes, grâce à la qualité de spectacles et… aux retombées économiques pour de très nombreux commerces1. Et il y eut vite des reportages au Journaux Télévisés de 20 h ! De quoi rendre heureux et fiers, les habitants de cette ville auvergnate, peu connue des Français. Il y a maintenant dix-huit compagnies dans le IN, et six-cent-une compagnies dites « de passage »2, inscrites dans un catalogue et jouant un peu partout mais dans des lieux réservés à l’avance : soit un OFF dirigé par le IN, une particularité d’Aurillac.
Michel Crespin, son directeur pendant six ans, avant que Jean-Marie Songy ne prenne le relais avait voulu avec ce théâtre dit « de rue », qu’il soit accessible à tous avec des spectacles gratuits ou à prix relativement bas. Très vite, se met alors à venir un public bien différent de celui d’Avignon, souvent très jeune, qui se précipite dès que l’entrée n’est pas payante, en général dans la journée. Et de nombreux spectacles importants sont joués dans la nature (prairies, bords de lacs, stades, etc.) à la périphérie d’Aurillac mais seulement accessibles par bus, pour des raisons de sécurité routière, une autre spécialité d’Aurillac.

Avec Pierre Berthelot, le cofondateur de la compagnie Générik Vapeur, Michel Crespin créera en 2013 la Cité des Arts de la rue, à Marseille où sont réunis sept compagnies et un centre d’enseignement : la FAI-AR, Formation Avancée et Itinérante des Arts de la Rue, première formation professionnelle dans ce domaine. De 1994 à 2018, le festival sera dirigé par Jean-Marie Songy, remplacé, il y a six ans par son collaborateur, Frédéric Rémy. En 2004, l’association Éclat, productrice du festival, a construit le Parapluie, un vaste lieu à la sortie d’Aurillac qui abrite à la fois des répétitions dans l’année, et des spectacles pendant la durée du festival. Et, depuis quelque vingt ans, deux semaines avant, des compagnies qui y jouent, présentent leur spectacle gratuitement – grâce à l’aide en particulier du Conseil Général – dans quelques petites communes cantaliennes, assez éloignées d’Aurillac. Des réalisations – le plus souvent des solos – d’intérêt variable… Mais celui que nous avions vu l’an passé, à Saint-Projet-de-Cassaniouze, un hameau au bord du Lot, était d’un excellent niveau et a été très applaudi par plus de deux cent personnes. Le festival ne cesse de s’étendre à la limite des possibilités de cette agglomération et depuis quelques années, a surgi un phénomène encore impensable, il y a dix ans : des chapiteaux privés en périphérie d’Aurillac, accueillent à la fois des bars-restaurants et des spectacles. Et des compagnies créent aussi des collectifs3…
Sociologiquement, le festival a donc beaucoup évolué. Comme l’avait souligné Charlotte Granger dans un remarquable article d’Études Théâtrales : « Le théâtre à 360° ayant ses exigences propres, la dramaturgie mobile n’entraîne pas le même rapport au texte, au verbe, au mot, que le théâtre de salle. Elle doit se saisir de la matière urbaine. En cela, les artistes de rue renouvellent les conventions dans le domaine des écritures non textuelles. Leur capacité d’adaptation aux lieux choisis pour une représentation, des centres villes aux zones péri-urbaines ou rurales, fait de leurs spectacles un perpétuel work in progress. Enfin, la relation originale au public, via l’interaction et l’interpellation du spectateur, reste un ressort essentiel de la création des spectacles. » Le mot théâtre désignant comme étymologiquement, à son origine, ce qui est vu, plutôt qu’entendu par le public.
Le festival d’Aurillac, malgré les resserrements budgétaires, est toujours bien là, avec environ la même quantité de public mais qui, depuis deux ans, fait plus attention à ses petits sous. Mais c’est un des festivals de France où on peut venir avec sa tente et dormir un peu n’importe où… Et se nourrir n’est pas cher… On l’oublie souvent, cette manifestation est une des rares en France avec Chalon dans la rue en juillet, à accueillir l’été, un public populaire et surtout jeune… alors que le festival d’Avignon est devenu souvent financièrement inaccessible : il est prudent de réserver maintenant (et de payer !) pour juillet 2026, une petite chambre non climatisées chez l’habitant à 100 € minimum, la nuit…
Frédéric Rémy, le directeur du festival d’Aurillac, interviewé à France Inter, insiste sur la couleur socio-politique du festival, avec, cette année, des compagnies venues brésiliennes : « Ce n’est pas du tout de l’exotisme, dit-il. C’est vraiment des artistes qui luttent et qui ont lutté par rapport aux années Bolsonaro, l’ancien président d’extrême-droite. Il a fallu qu’ils résistent et ils parlent de leur engagement politique. On a des compagnies qui vont être vraiment dans cette intention, mais aussi qui parlent beaucoup d’intimité, d’inclusion, de leur singularité. On est face à des artistes qui mettent le corps en avant, le corps qui peut être noir, le corps qui peut être LGBTQI+, le corps qui peut être indigène. C’est une affirmation très politique, très identitaire. Leur courage doit nous servir de modèle et je crois que ce qu’ils ont à nous dire, c’est surtout : faites attention et ce qui nous est arrivé, cela peut également vous arriver. »
Notes de la rédaction :
1 Le festival d’Aurillac rassemble chaque année près de 200 000 personnes.
2 Le rendez-vous des « compagnies de passage » nous offre depuis près de 40 ans toute la démesure, l’insolite et l’éclectisme que les arts de la rue peuvent donner à voir, faisant du festival d’Aurillac un événement mythique et populaire. Près de 3 000 artistes et complices s’annoncent à l’occasion de cette édition 2025. Durant quatre jours, le bouillonnement de la création prend possession de chaque recoin, surgit dans notre quotidien et enchante nos imaginaires. La métamorphose de la ville entière s’opère au rythme des interventions, des détournements, des performances de celles et ceux qui lisent et écrivent sur et dans l’espace public. Ces artistes viennent en autoproduction. Ils·elles engagent des moyens importants pour vous partager leur parole, leur travail, leur utopie.
3 Parmi ces collectifs, La Cour aux Miracles, créé en 2025, se retrouve autour des disciplines de la prestidigitation. Il présente lors de leur première édition des formats et des disciplines magiques variées. De la magie de close-up avec des petites jauges à des formats d’escapologie avec beaucoup plus de spectateurs. L’idée de cette « cour » est de donner une visibilité à une discipline mal connue du public et des programmateurs et aujourd’hui en pleine expansion. Faire lien, donc et, avoir la possibilité de rencontrer des acteurs de la magie.

Voici leur note d’intention :
« Une sombre légende dit que la magie aurait quitté la rue au milieu du XIXe siècle, pour s’enfermer et s’oublier dans le confort des salons privés, la gloire des théâtres et l’ivresse des cabarets. Arrachées au soleil et au vent, celles et ceux qui descendaient des bateleurs de jadis auraient alors dit adieu aux espaces ouverts pour des horizons plus restreints. Bon, ça c’est la légende. Et si la magie n’a pas découvert les salles à ce moment-là, elle n’a pas non plus abandonné la rue à tout jamais. Debout sur des tréteaux éphémères, dessous la toile des grands chapiteaux forains ou dans l’intimité de la roulotte, les illusionnistes ont continué à offrir leurs prodiges aux dehors. Escamoteurs et escamotrices en plein vent, nous n’avons jamais renié la vérité de l’instant. Cette année, fidèles à la tradition de l’itinérance et des festivals, nous nous sommes donnés rendez-vous à Aurillac. Et avec une nouvelle promesse : construire une cour dédiée aux magies contemporaines.
On aurait pu dire de nous : ce sont des âmes solitaires. Parce qu’on nous a nourri de visions fantasmées, on aurait pu rêver de venir seul.e, les mains dans les poches, et produire de nos manches et gibecière tout un spectacle, avant de disparaître pour une prochaine destination. On nous a appris à invisibiliser les assistants et assistantes qui partagent nos secrets. On nous a discipliné à travailler seul.e, et à cacher dans l’ombre des coulisses les complices de nos mensonges. À ne pas faire corps.
Parce que l’heure est plus que jamais au collectif, parce qu’on a urgence à ne plus mentir, on a fait vœu de se rassembler et, ensemble, de jouer. La Cour aux Miracles sera une réunion d’illusionnistes modernes, une constellation d’artistes complices, un foyer de douces subversions, un carrefour des rencontres flamboyantes et la plateforme de nos rêves à venir. Pour la première fois, nous voulons créer ce joli miracle d’un lieu entièrement magique à Aurillac, voué aux mystères des compagnies d’aujourd’hui et de demain.
À frotter nos pratiques, et à en voir les étincelles qui en sortaient, on s’est bien rendu compte que ça fonctionnait. À épauler nos doutes et à se conseiller, on a bien vu qu’on s’élevait deux pieds au-dessus du sol. Ensemble, on lévite. Archipel amical et professionnel, cette cour est le résultat de rencontres, de collaborations et d’amitiés qui se sont tissées sur les bancs du Centre National des Arts du Cirque et de sa formation « magie nouvelle » à Châlons-en-Champagne, dans les salles de la Villette et de sa saison annuelle du Magic WIP (de Thierry Collet), entre deux scènes de festivals ou sur les routes du Sud qui relient Toulouse et Marseille, comme autant de phares dans nos nuits promises aux merveilles.
Nous qui nous consacrons à ce drôle d’art qu’est celui de tromper, nous avons senti que le moment était venu. Dispersé.e.s entre nos ateliers marseillais et toulousains, la Bretagne et la Lozère, Besançon, Limoges et Paris, nous avons prêté serment. Pas celui de révéler nos secrets. Mais d’emmener dans nos spectacles, quelques pépites de vérité.
La Cour aux Miracles est la place où les illusionnistes viennent enfin à la rencontre de ce qui s’évite et de ce qui se tait. Nos spectacles le racontent. Nous arrivons pour embrasser l’amour et ses différentes formes, engager un corps à corps honnête et sincère avec la mort, l’éternité et le deuil, chercher notre chemin dans l’oubli et les souvenirs, questionner la vengeance et le désir de violence, raconter les rencontres et ce qu’elles nous apprennent, penser l’identité, l’altérité et nos multiples métamorphoses…
Nos outils sont aussi variés que nos pratiques : mentalisme, quick-change, magie jeune public, productions et disparitions, cartomagie, hypnose et fakirisme, magie de salon, entresort forains, escapologie, et même magie électroménagère ! Et si nous avons la magie au coeur, elle se nourrit et s’enrichit de nos disciplines particulières : danse, ventriloquie, théâtre, marionnette, chant… Notre magie prend plusieurs formes : spectacles, entresorts, déambulations. Et c’est ainsi qu’on construit du grand spectaculaire comme des petits mystères plus intimes.
Ouvert à tous.tes, la cour sera un carrefour des pratiques et une grande place d’échanges. Sur les bancs du public ou sur le bois du comptoir, on se montrera des tours. On s’y racontera ce qu’on a vu, dans la cour, mais aussi les autres miracles du dehors. On s’échangera des techniques, des histoires, et des souvenirs. Ce qui compte, aux heures de désespoir, ce n’est pas ce qui est vrai et ce qui est faux, mais ce qui aide à vivre. »
Pour sa première édition à Aurillac, le collectif La Cour aux Miracles a programmé 11 spectacles, 1 entresort, 1 DJ Set marionnettique et magique. Au programme de la journée à l’École de la Jordanne – Pastille 121 :
- 10h – Ouverture du site – Close-up en continue sur la journée
- 10h30 – Amours – Compagnie Mumuche – Création 2025
- 11h50 – Papillon Noir – La Subliminale cie
- 13h – Le Troisième Œil – Les Chevaliers d’Industrie – Création 2021
- 14h – La Parenthèse d’Oubli – Collectif Micro Focus
- 15h – Radio 2000 Opus2 – Cie du Grand Hôtel – Création 2023
- 16h – PETIT DESASTRES – Cie Légers demains – Création 2024
- 17h – Radio 2000 Opus 2 – Cie du Grand Hôtel – Création 2023
- 18H – Répétitions – Cie du Jeu Visible – Création 2024
- 18h45 – VOX – La Subliminale cie
- 19h30 – Carcasse – Collectif Micro Focus – Création 2025
- 21h – La Faiseuse de Diables – Cie À corps et âmes – Création 2025
- 22h – Las Vegas Eternel – Les Chevaliers d’Industrie – Création 2024
- 23H – Les Vovós + Surprises Magiques – Cie À corps et âmes + Collectif de La Cour aux Miracles
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