Quels furent les premiers fabricants et marchands d’appareils de Physique amusante avant le début de notre siècle (XXe) ? C’est ce que nous allons essayer de vous démontrer en puisant aux sources les plus autorisées d’une documentation, peut-être incomplète, mais certainement digne d’intérêt pour l’Histoire de la Magie.
On trouve à la fin de chacun des quatre volumes de Guyot (1706-1786), première édition 1769-70, une sorte de catalogue mentionnant le prix de toutes les « pièces de récréation » contenues en ce premier volume (2ème, 3ème et 4ème) que l’on trouve chez le Sieur Guyot. Citons au hasard : « Boête aux fleurs », « Boête aux Dés », « Les Cadrans magiques », « L’Étoile magique », « Le Cadran mystérieux », « Le Vase magique et sa Console » « La main artificielle »… Cette nomenclature se termine par les lignes suivantes : « Le Sr Guyot chez lequel on trouve aussi cet Ouvrage, demeure à Paris rue Ticquetonne, chez l’ébéniste ; on ne le trouve pour les pièces que l’Après diné. On peut lui écrire de Province directement » (Tome I).
Par cette précision, on peut déduire que, si Guyot vendait des appareils, ceux-ci étaient construits sous sa direction par « l’Ébéniste », chez qui il demeurait. Ajoutons pour la petite histoire, que la maison appartenait à Mr. Neret, Procureur au Parlement, et que Guyot en occupait le « corps de logis du devant » (Tomes II, III et IV). Je ne pense pas qu’il soit possible de remonter plus loin pour trouver ce que l’on peut appeler un « marchand » d’appareils de physique amusante.
En 1843, Alphonse Giroux, 7 rue du Coq Saint-Honoré, à Paris, annonçait au public l’ouverture de ses « beaux Salons d’Étrennes », et présentait certains automates, « chefs-d’œuvre de l’art mécanique, exécutés par M. Robert-Houdin » (voir L’Escamoteur n° 64). Et, plus avant, dans la Gazette des Enfants et des jeunes Personnes du 1er janvier 1837, au sujet de ce même Alphonse Giroux, on trouve ces quelques lignes sous le titre : « PROMENADE DANS UN MAGASIN D’ÉTRENNES »
« … Mais regardez ici, à votre gauche, cet élégant et gracieux comptoir où se pressent confondues ces mille boîtes de toutes formes (…). Il y en a pour les jeunes garçons, il y en a pour les demoiselles ; boites de tapisserie, boîtes de feuilles pour faire des fleurs en papier, (…) boites de tours d’escamotage, boîtes de physique expérimentale », etc…
Les boîtes de physique amusante existaient déjà en 1836 (et nous savons qu’il y en avait aussi en 1830). Quel en était le fournisseur ? Était-ce Charles, François, Joachim Aubert, fondateur en 1808 de la Maison « Mayette – Magie – Moderne » (dirigée ensuite par Michel Hatte puis Dominique Duvivier) qui, vers 1830, vendait les premiers appareils de physique amusante, faisant, ainsi, leur timide apparition sur le marché de France. (L’Escamoteur n° 84). Peut-être André Voisin, habile « mécanicien-ingénieur » qui, en 1834, ouvrait, 81rue Vieille-du-Temple à Paris, un magasin consacré exclusivement à la vente d’appareils de prestidigitation, depuis les plus simples, jusqu’aux plus compliqués, et qui fournissait tous les grands magiciens de l’époque, Robert-Houdin, en particulier.
Son petit-fils, Émile Edouard, lui succéda jusqu’en 1900 et donna un essor plus important encore à la fabrication et à la vente d’appareils de toutes sortes, y compris les grands trucs qui figurent encore actuellement aux programmes des magiciens (catalogues de 1885). Ponsin (né en 1801), dans sa Nouvelle Magie blanche dévoilée (1853-54), écrit : « Je donnerai dans le courant de cet ouvrage, quelques explications sur la construction des pièces mécanisées qui servent dans ce genre de physique (…) l’on trouve toutes ces pièces à Paris, chez plusieurs ouvriers mécaniciens qui travaillent pour les professeurs, et les font parfaitement par la connaissance qu’ils ont acquise des conditions voulues dans la facture de ces objets… »
Plus loin, page 248 du vol. I, parlant du tour des gobelets, il ajoute : « Je ne donnerai pas la description de ces gobelets : on la trouve partout, et il n’y a point de ferblantier qui ne sache les faire, soit en fer-blanc, soit en cuivre ».
En effet, en remontant assez loin le cours de l’histoire, on constate que tous les escamoteurs utilisaient surtout les gobelets et les muscades. Le tableau bien connu de Jérôme Bosch (né vers 1450, décédé en 1516), nous en montre plusieurs. En même temps qu’Émile Voisin (1857-1918), ou vers la même époque, Marchal et Buffard, fabricants, ouvraient Passage de l’Opéra, 10 boulevard des Italiens à Paris, un magasin d’Instruments de Physique amusante, Électricité, Automates, Pièces mécaniques, Ébénisterie. Le catalogue de quatre pages, grand format, était illustré par une belle gravure rappelant, en certains points, celles d’André Voisin reproduites par Le Journal Amusant, du 2 janvier 1858, et par l’Illustration, Journal Universel, du 29 août 1863.
Pendant ce temps, la maison de Charles Aubert passa successivement entre les mains de son fils, de sa veuve, de M. Valadier, de Léon Baudot (1852-1927), vers 1872 ou 1873. Ce dernier, en 1898, vient s’installer en boutique, 8 rue des Carmes. En 1913, Baudot cède l’établissement à M. Henri Billy, lequel, en 1933, le remet entre les mains de M. André Mayette, secondé par M. Michel Hatte, son gérant libre. En 1891, un anglais, Herbert-Shakespeare-Gardiner-Williams-Charles de Vere (1843-1931), vient s’installer à Paris, d’abord 39 rue de Trévise et, ensuite, 13 passage Saulnier, devenu vers 1902, rue Saulnier, sa maison portant le n° 17.
En 1909, après la mort de Camille, fils de de Vere, Horace Hurm (1880-1958), prit en association avec M. Prévost, la succession momentanée du magasin que de Vere reprit plus tard à son compte avant de le céder, en 1924, à son ouvrier Jules Vinson (1883-1955) qui, en compagnie de sa femme, l’exploita pendant plus de vingt ans. Signalons aussi, parmi les marchands d’appareils, L.J. Rousselin, installé 26 rue Rodier à Paris, qui fabriquait et vendait, en plus de nombreux articles farces et attrapes, des petits appareils et accessoires de prestidigitation.
Vers la fin de ce même siècle, un prestidigitateur très qualifié, Jean-Auguste-Charles-Joseph Faugeras (1868-1955), dont la renommée sous le nom de Caroly allait être mondiale, fondait à Paris, 11 rue du Cardinal-Lemoine, une maison de vente d’appareils de magie et de physique amusante où, bientôt, affluèrent les magiciens les plus connus. On y trouvait tout ce qui concernait la prestidigitation, les marionnettes, l’ombromanie et même la cinématographie dont les vues se vendaient au mètre pour le prix de 2 Fr. (catalogue n° 2 de 1902).
Le 1er octobre 1908, il s’installe 20 boulevard Saint-Germain, dans un vaste magasin à l’enseigne alléchante de « Académie de Magie ». En 1902, il créait L’Illusionniste, seul journal magique français qui prospéra jusqu’en juillet 1914, à la veille de la Grande Guerre. Le 1er janvier 1930, il céda son établissement à son neveu, Charles-Paul-Augustin Faugeras (1896-1950) qui, pendant quelques années, sous le nom de Caroly Il en assuma la charge avant de se retirer dans I’Yonne où il tint un bazar en compagnie de sa femme. Personne ne prit la succession.
Nous avons voulu, dans cette étude, faire revivre pour nos lecteurs les plus anciennes maisons françaises d’appareils de Physique amusante en évoquant la mémoire de ceux qui les ont créées. C’est pourquoi nous avons omis volontairement de mentionner ceux qui ont créé un établissement similaire depuis le début de notre siècle.
– Texte extrait de la revue Le Magicien n°107 (Avril 1968).
A lire :
– L’interview de Georges Proust.
Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants-droit, et dans ce cas seraient retirés.