Rafa Picola, un des membres de l’École Magique de Madrid (un des plus doués de sa génération) expliquait dans la Circular n° 216 du mois de décembre 1996, sa démarche pour présenter des effets mentaux.
Comme chacun d’entre vous, j’ai dans mon répertoire quelques effets de mentaliste que je place, personnellement, à la fin de mon spectacle. Ces effets sont, pour les spectateurs, à la frontière entre l’illusion et la magie. Ils sont, dans leur esprit, ce qui se rapproche le plus de la véritable magie. La manipulation digitale étant exclue de leur forme de pensée, il ne leur reste plus beaucoup de chemins pour trouver une explication rationnelle à ce qu’ils viennent de voir. Comme disait notre maître Ascanio, l’atmosphère magique est à son comble !
Mon expérience, dans ce domaine particulier de notre art, est relativement limitée mais suffisante, me semble-t-il, pour tenter de partager quelques impressions avec vous. Et, peut-être, qu’ensemble nous trouverons des réponses à certaines questions. A savoir, si le mentaliste doit-il dire qu’il possède des pouvoirs ? Ou bien, s’il doit dire que tout ce qu’il réalise n’est que technique d’illusionnisme ?
Dans l’introduction de Mental Club Act n°2 provenant du Jinx, Annemann nous conseille, avant d’entamer le premier effet de mentalisme, de faire une introduction courte. Celle-ci doit annoncer au public, que les expériences qui vont suivre, sont basées sur des expériences psychiques et des lectures de pensées. Il nous dit que, si on se dirige vers cette direction, l’esprit de nos spectateurs acceptera plus volontiers ce genre d’expérience. Il nous conseille de ne pas inclure de gag et aussi, de ne pas être trop sérieux ou trop comique. Il nous dit que si l’on raconte que nous possédons le pouvoir de lire dans la pensée, le public le croira à condition de le prouver.
Plus loin dans ce même livre, il nous conseille de jouer le rôle d’une personne normale avec des facultés anormales. Les gens préférant ce style de personnage à quelqu’un qui serait en dehors de la normalité.
Quelques pages plus loin, il nous donne le texte de l’une de ses présentations. Voici un court extrait : « … Je suis ici en tant qu’artiste jouant le rôle d’un homme pouvant lire dans la pensée. Vous êtes les seuls à pouvoir juger les sources de mon pouvoir… ». Bref, il donne la possibilité aux spectateurs de se faire une opinion sur les expériences qu’ils vont voir. Il ne leur impose rien. C’est à eux de trouver leurs propres explications à ces jeux de l’esprit.
Dans le magnifique livre de Corinda, 13 Steps to Mentalism, nous trouvons au « step 7 », une interview réalisée en présence du mentaliste Anglais Fogel (1). Celui-ci nous dit qu’un mentaliste doit, avant toute chose, être un « entertainer ». Il nous conseille de ne pas mélanger la magie avec le mentalisme. La magie, même si elle est présentée sous forme de miracles apparents, est considérée par le public comme du truquage. Donc, si on mélange l’un et l’autre, les gens diront de votre effet mental que c’est juste un autre truc (2). Il nous conseille de ne pas trop prétendre posséder de véritables pouvoirs mais de laisser les spectateurs juger par eux-mêmes.
Dans le « step 13 », Corinda nous donne son opinion sur le sujet. Il suggère de dire que tout ce qu’il fait est normal et pourrait être fait par n’importe qui. Il nous dit qu’il a expérimenté différentes approches de présentation et qu’il arrive à la conclusion que la présentation de trucs psychologiques est la meilleur des réponses à donner à un public.
Chaque fois que cela est possible, il fait une courte introduction en disant aux spectateurs qu’il va leur montrer quelques expériences intéressantes qui peuvent être atteintes en entraînant l’esprit humain. Il explique, ensuite, que tout le monde peut réaliser ce genre de choses et que c’est simplement une question d’étude et de pratique. Il flatte la capacité incroyable du cerveau humain sans se flatter lui-même.
Puis, il explique que les gens pourraient facilement penser qu’il y a quelque chose de psychique dans ses expériences mais que ce n’est pas là que se trouve la réalité. Que tout cela demande beaucoup d’entraînement, de travail, et une grande compréhension de la psychologie humaine. Au bout du compte, c’est quelque chose que tout le monde peut faire en entraînant son esprit.
Corinda ne laisse donc aucun doute sur la source de ses expériences. Dès le départ tout est clair dans l’esprit de ses spectateurs.
Eugene Burger, dans son livre Srange Ceremonies, nous parle de la manière dont Tony Andruzzi (3) et Philip Willmarth qui pratique la « bizarre magick » présentent leurs effets. Il nous donne leur définition respective de leurs magies. Pour le premier c’est « De la magie faite par magie » et pour l’autre c’est « Faites-le vraiment ! ». Il nous parle aussi de Charles Cameron qui dit : « L’argument habituel est que le spectateur devrait croire dans les pouvoirs du magicien pendant son spectacle mais retrouver la réalité à la conclusion de celui-ci (comme dans les films). C’est du non-sens. Ou vous êtes un magicien avec des pouvoirs magiques ou vous n’en êtes pas un. C’est aussi basique que cela! ». Pour ces trois « magiciens » c’est clair il faut prétendre posséder des pouvoirs si l’on pratique ce genre de « magie ».
A mon tour de partager mon opinion sur ce sujet. Je pense que tout dépendra de l’effet psychologique que vous avez envie de créer sur vos spectateurs. Mais, contrairement aux trois possibilités qui sont exposées plus haut, j’estime que seulement deux peuvent être utilisées en public. Une étant à rejeter immédiatement.
Si votre envie est de leur faire passer tout simplement un bon moment, il est évident que vous ne prétendrez aucunement posséder des pouvoirs. Par contre, si votre objectif est de créer une atmosphère pesante (qui peut aussi s’avérée très divertissante), où vos spectateurs vont vivre une expérience qui sort de l’ordinaire, il vous faudra laisser planer un doute sur l’authenticité de vos expériences. A ce moment là, c’est à vos spectateurs de se faire une opinion sur vos capacités psychiques. Mais en aucun cas, il faudra présenter ces expériences de mentalisme comme réelles. Je pense que l’on peut transformer des vérités, faire découvrir d’autres réalités mais qu’il ne faut pas tromper un public. C’est mon opinion et je la partage. Mais je ne détiens pas la vérité absolue.
Pour conclure, vous avez compris que je partage la manière de faire d’un Annemann ou d’un Corinda mais que je rejette celle d’un Andruzzi ou d’un Willmarth. Et, si vous me le permettez, j’emprunterai volontiers cette conclusion qui termine le spectacle d’Hiawatha (4) et qui dit : « Si mes histoires ont été vraies, utilisez-les pour votre divertissement. Mais si mes histoires ont été fausses, utilisez-les pour votre sagesse. Je vous ai touché d’une certaine manière, qui est la vrai magie et nous devons… garder la magie…vivante ! »
J’aimerais terminer cette « participation » par une petite histoire Zen :
« Un moine Zen accompagné de ses trois disciples fait visiter à ceux-ci son jardin. Un des disciples aperçoit, sur une des laitues de son maître, une limace et l’écrase de son pied. Le deuxième disciple regarde son maître et lui dit : « Maître ce qu’il vient de faire est mal. Il faut respecter la vie, n’est-ce pas ? ». Le maître le regarde droit dans les yeux et lui dit : « Tu as raison ! ». Le premier répond alors à son maître : « Maître cette laitue est votre source d’énergie. C’est elle qui vous nourrit, qui vous donne de la force. J’ai bien fait de tuer cette limace. ». Le maître le regarde droit dans les yeux et lui dit : « Tu as raison ». Sur ces paroles le troisième dit à son maître : « Maître, si l’un a raison, l’autre ne peut pas avoir raison, n’est-ce pas ? ». Et le maître le regarde droit dans les yeux et lui dit : « Tu as raison ! ».
Notes :
– (1) Maurice J. Fogel (7 juillet 1911 – 30 octobre 1981). Il devint mentaliste professionnel en 1939.
– (2) Je ne suis pas d’accord avec Fogel. Je pense que l’illusionnisme et le mentalisme peuvent se suivre dans une même séance. Tout dépendra de la manière dont on introduira nos expériences de mentalisme. Personnellement, j’annonce ces expériences comme un jeu entre l’esprit de mes spectateurs et le mien. Et que, même si la manipulation digitale n’intervient plus, il existe un autre moyen plus puissant et plus fort de communiquer : la communication psychologique. Ils seront mes transmetteurs, je serai leur récepteur. Tout cela dans un seul et unique but : le divertissement.
– (3) Tony Andruzzi est décédé.
– (4) Hiawatha Johnson Jr. est un grand conteur qui combine à la fois la magie, la musique et la bonne humeur.
Bibliographie :
– Mental Club Act de Annemann, Jinx programme n°2, (Magic Wand publication, 1956).
– 13 Steps to Mentalism de Corinda (Copyright 1964 T. Corinda).
– Strange Ceremonies de Eugene Burger (Kaufman and Greenberg, 1991).
A voir :
– L’interview de Carlos Vaquera