Texte, mise en scène et scénographie : Marc Lainé. Avec : Bertrand Belin, Jessica Fanhan, Marie-Sophie Ferdane, Adeline Guillot, Yanis Skouta. Avec la participation de : Dan Artus, Thomas Gonzalez, Laurie Sanquer, David Hanse, Farid Laroussi. Musique originale : Superpoze. Lumière : Kevin Briard. Vidéo : Baptiste Klein. Son : Morgan Conan-Guez. Costumes : Benjamin Moreau.
Nommé il y a trois ans à la Comédie de Valence, Marc Lainé poursuit le travail qu’il avait entrepris avec Vanishing Point, Construire un feu, Nostalgia Express La Chambre désaccordée, Nos paysages mineurs. Une œuvre cohérente, à l’écart des sentiers battus où il essaye et réussit à faire une synthèse entre arts plastiques (il a été élève aux Arts Déco à Paris et est un remarquable scénographe), théâtre et cinéma fantastique.
Après Sous nos yeux, un spectacle créé l’an dernier et devenu un très beau carnet de beaux dessins signés Stephan Zimmerli et reproduit sur papier grand format dans les ruelles bordant les petits canaux dans Valence. Dans le second volet, Marianne, une réalisatrice de films vit seule dans le Vercors. La maison est confortable, le paysage de toute beauté mais elle ne peut faire face au départ subit et inexplicable de Lucas Malaurie, son mari. Elle a du mal à se concentrer et essaye avec difficulté d’écrire une adaptation contemporaine du Faust de Goethe. Son amie Léa, une scénariste (qui se révèlera avoir une liaison avec son compagnon) vient la voir. Comme Charles, son producteur, le lui a demandé, elle doit l’aider à finir son scénario. Mais Marianne ne goûte pas du tout la chose et va très vite se montrer odieuse et lui proposera de la ramener vite fait à la gare. Julie, une autre amie qui a aussi fait l’amour avec Lucas, arrive mais Marianne perd de plus en plus le contrôle d’elle-même et est à la limite de la démence. Une nuit, elle reçoit un appel et croit entendre Lucas… Puis Medhi, un inconnu, surgit dans la maison et lui aussi, a curieusement, la voix de Lucas mais pas du tout son physique. Marianne l’interroge et pense qu’il est en fait possédé par l’esprit de Lucas, même s’il n’en a pas vraiment conscience. Terrifié, Medhi s’enfuit. Marianne qui veut rester en contact avec ce mari disparu, cherche à revoir Medhi. C’est un jeune artiste qui habite Pantin en banlieue parisienne et il construit des maquettes des endroits où il a eu des crises d’épilepsie. Lucas semble réussir à maîtriser son corps pour parler avec Marianne qui a une relation ambigüe avec Medhi. Le fantôme de Lucas devient jaloux et menace Medhi si Marianne continue à le voir… Dans le troisième épisode de cette histoire fantastique, Medhi vit maintenant à New York et son travail artistique va faire l’objet d’une rétrospective. La réalisatrice l’appelle, lui dit qu’elle est là et qu’elle veut le rencontrer. Ce qu’il accepte. La fin, un film en train de se faire sur ce scénario, est une anacoluthe facile et qui a le goût du déjà trop vu…
Marc Lainé a toujours eu le goût des fantômes, ou du moins des personnages fantomatiques qui s’invitent sans prévenir. Le théâtre, rappelle-t-il avec raison, en fait souvent usage. Et cela depuis Eschyle, Dans Les Perses, la première et magnifique pièce du théâtre occidental (Ve siècle avant J.C.), apparaît déjà l’ombre du roi perse Darios qui fait le lien entre un glorieux passé et un présent qui l’est beaucoup moins. A cause d’une guerre contre les Grecs qui ont détruit toute la puissante flotte et l’immense infanterie perse. Et puis il y aura Hamlet, et la vision de la mère dans le Lorenzaccio d’Alfred de Musset, les fantômes des nôs japonais et ceux de la guerre de 14 chez le grand Tadeusz Kantor. Avec, à chaque fois ou presque, la figure du Père… sans compter les nombreuses pièces de théâtre pour la jeunesse.
Réalité, fiction, mensonge, vérité, illusions, bref, tout ce qui fait la vie réelle et celle, concentrée, sur un plateau de théâtre. Reste à mettre en forme cette histoire à la vaste dramaturgie dont les dialogues sont bien écrits, mais qui peine quelquefois et surtout dans la dernière partie, à être convaincante. Le fantastique en général est plutôt un genre romanesque que scénique et là, Marc Lainé semble avoir du mal à l’exprimer après la première heure. Sans doute à cause d’un texte qui a, dans les deuxième et troisième parties, quelque chose de bavard. Et les spectateurs à l’évidence étaient moins attentifs… L’auteur et metteur en scène avait-il absolument besoin de ces deux heures vingt-cinq ? Non, ma mère ! Reste à Marc Lainé – et il n’est pas trop tard – à prendre une paire de ciseaux et à élaguer son texte, surtout dans la dernière partie… C’est un travail souvent difficile pour le metteur en scène et pas très agréable pour les acteurs mais le spectacle y gagnerait beaucoup.
Il y a ici une grande qualité de réalisation et, quand Marc Lainé conjugue théâtre et cinéma, c’est pour une fois, justifié par le propos, singulier et brillant. En partie, grâce à la précision et à la grande poésie des décors et maquettes qu’en scénographe expérimenté, il a aussi conçu, ce qui donne une belle unité au spectacle. Une pensée pour Guy-Claude François, son professeur de scénographie dont on retrouve ici la rigueur et la générosité scénique. Et quel plaisir de voir Marie-Sophie Ferdane seule sur un rocher en carton avec, derrière, une grande image des monts du Vercors. Ou cette terrasse avec vue sur tout New York. Et une fois filmées, ce sont des scènes plus vraies que nature… Comment ne pas apprécier cette balade entre jeu des acteurs sur le plateau et leur image traduite au-dessus sur grand écran par le biais de caméras. Très bien tenues et à l’endroit exact par des cadreurs de premier ordre, ou automatisées. La réalisation vidéo de Baptiste Klein dans un espace-temps absolument rigoureux est d’une rare précision, avec des contre-champs jamais gratuits qui éclairent bien la situation. Et il n’y a jamais ces petits trucs vulgaires (très gros plan obscène au sens étymologique des visages, vues des acteurs regagnant les coulisses, plans de coupe gratuits, etc. comme en font souvent les jeunes et moins jeunes metteurs en scène). Et le spectacle doit aussi beaucoup aux lumières de Kevin Briard et aux bruitages de Morgan Conan-Guez.
Marc Lainé sait, et bien mieux qu’avant, diriger au cordeau sa bande d’acteurs -dont certains complices de longue date- tous remarquables, même si le travail est parfois encore un peu sec mais c’était une première : Bertrand Belin, oui, le chanteur mais qui, ici, ne chante pas, Jessica Fanhan, Adeline Guillot, Yanis Skouta et Marie-Sophie Ferdane : mention tout à fait spéciale à celle qui joue cette mystérieuse et fascinante Marianne, presque toujours sur scène. Seul Bertrand Belin (Lucas) n’apparait pas sur l’écran : normal pour un fantôme ! Mais très présent sur scène, il donne aussi sa voix dans un exercice de haute voltige à Yanis Skouta (le jeune artiste, prisonnier d’un fantôme). Un travail original d’un créateur – ce qui n’est pas si fréquent dans les Centres Dramatiques Nationaux – et de haute tenue, bien servi par ses équipes techniques et artistiques. Même si, encore une fois, des coupes sont indispensables, ce mariage cinéma/théâtre est pour une fois, solide et efficace.
– Source : Le Théâtre du Blog.
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