L’un des derniers spectacles de ce bon Festival Spring (organisé par la Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie/La Brèche à Cherbourg – Cirque-Théâtre d’Elbœuf) qui promeut les nouvelles formes de cirque en Normandie… Cela se passe au Théâtre de la Renaissance à Mondeville, une petite ville autrefois ouvrière, de quelque 9.000 habitants, tout près de Caen, où, jusqu’en 1993, prospéra la Société métallurgique.
Et dont les habitants ont bien de la chance d’avoir à leur porte une programmation éclectique avec entre autres : une soirée Offenbach par l’orchestre régional de Normandie, Hyacinthe et Rose de François Morel… et ce spectacle d’illusion et de magie dont les directeurs artistiques sont Clément Debailleul et Raphaël Navarro, s’ouvre, fait un peu insolite, sur quelques minutes remarquables avec Matthieu Saglio, au violoncelle et Madeleine Cazenave au piano, devant une salle des plus attentives ; on retrouvera ces musiciens accompagnant plusieurs numéros.
Il y a d’abord, imaginé par Etienne Saglio, un petit morceau de tuyau d’une dizaine de centimètres de diamètre qui sort magiquement d’un chapeau haut-de-forme posé sur une table, puis s’en va faire un tour… Petite mais magnifique entrée en matière.
Greg Lackovic interprète Raymond Raymondson, un magicien clownesque qui rate la plupart de ses tours – vieux numéro bien usé ! – mais, à vouloir être comique à tout prix, il a bien du mal à être convaincant, même si, gestuellement, il se montre très à l’aise.
Beaucoup plus intéressante : la performance corporelle d’Aragorn Boulanger qui prend des poses avec une précision absolue, poses qu’il transforme radicalement en quelque secondes et grâce au noir qu’il télécommande, sur la musique de Madeleine Cazenave. Sur des thèmes comme le déséquilibre, la fuite ou la disparition. Ce qui suppose une souplesse physique et une concentration mentale de tout premier ordre.
Les numéros de cartes, qu’il s’agisse de magie traditionnelle ou nouvelle, relèvent toujours de quelque chose de fascinant. Mais ceux d’Arthur Chavaudret, jeune magicien qui parait avoir dix-huit ans, passionnent vite les spectateurs. Entre autres, ce numéro où il choisit deux garçons et deux filles dans la salle qu’il place autour de lui. Grâce à une caméra et un grand écran, nous assistons à cet impeccable numéro de close-up à quelques mètres.
Il demande à une des jeunes filles de choisir une carte dans le jeu, de la marquer de coups de crayon et de la montrer au public. Il étale le jeu sur la table et fait bien constater que cette carte a disparu. Comme on peut le voir à l’évidence sur l’écran. Il s’en excuse mais pense qu’elle est peut-être dans la poche intérieure de sa veste, dont, bien entendu, il la tire aussi sec. Classique mais éblouissant ! Tonnerre d’applaudissements.
Le numéro suivant ne participe pas vraiment de la magie, quoique ! Philippe Beau a en effet le pouvoir de créer avec ses seules mains, un espace de rêve poétique de la plus grande intensité. Un grand écran blanc et un petit projecteur pour réaliser une série d’ombres : animaux, personnages solitaires, ou en couple. Comme dans une sorte de courte chorégraphie virtuose qu’enfants et adultes regardent absolument fascinés. « L’imagination, disait Karl Kraus, a le droit de se griser à l’ombre d’un arbre dont elle fait une forêt ».
Etienne Saglio manipule toute une série de boules lumineuses de plus en plus nombreuses, jusqu’à dix, semble-t-il, et aux magnifiques trajectoires comme autant d’étoiles filantes. Numéro enrichi de techniques numériques, dit le programme. Qu’importe : un résultat bluffant, et là aussi d’une rare poésie, plus qu’ensuite, sa manipulation décevante d’une plaque de polystyrène assez répétitive sur fond de piano…
Au total, le dénominateur commun à tous ces numéros semble bien être un détournement de la réalité avec une palette d’émotions que crée un magicien avec l’aide de la musique en direct. « Il joue, dit Jacques Delord, d’abord une histoire merveilleuse où l’effet magique n’est que langage. Un langage qui touche au cœur, à cette réserve d’émotion que les hommes et les femmes portent depuis avant leur naissance et qu’ils conserveront jusqu’au terme de leur vie. Le rôle du magicien consiste à réveiller la magie qui dort en l’autre. »
Contrat ici bien rempli devant un public, n’ayons pas peur du mot : populaire de cinq à soixante-dix-huit ans au moins. Ce qu’arrive rarement à faire le théâtre contemporain qui tend, de plus en plus, à être un endroit élitiste où se retrouvent les professionnels d’un certain âge, comme pour se rassurer sur leur avenir…
A lire :
– La magie nouvelle
– Le silence du monde
– Notte
– Vibrations
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